Taureau

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Temps irrésolu,
La force d’une troublante idée ;
Je lui prenais les cornes,
L’agitait dans tous les sens,
De velours noir et féroce,
L’animal se cabrait,
Lumière dans son regard,
La bête fulminait !
Mais je m’aperçus que l’idée persistait,
Sous le olé, l’arène en feu,
Je saisissais encore le taureau,
Devenait soudain femme :
La bête bousculait mes mots,
J’étais fragile et forte tout à la fois,
N’avais qu’un vieux lasso,
Olé ! Olé ! le temps me narguait.
Sitôt le soir venu, la bête s’affolait,
Il s’agissait d’une lutte entre ciel et terre,
Comme elle fulminait,
Je m’accrochais à ses yeux,
L’instant d’après,
Le taureau m’hypnotisa,
Je devins lui et il devint moi.

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Peinture de Thierry Bisch

Hérisson

Sous la voûte étoilée, elle filait la laine. Quand son ami le hérisson vint à passer, elle leva légèrement un sourcil et ébaucha un sourire. Quelque peu débonnaire, le hérisson le lui rendit avec grande joie. Peut-être cherchait-il tout simplement la conversation ? Elle le salua cérémonieusement. Il reprit sa lente marche. Quand la nuit tomba complètement, elle rangea ses instruments, posa les deux mains sur les genoux, et médita. C’est alors que le hérisson s’approcha d’elle et entama cet étonnant dialogue : – Quant à la Nature, est-elle ton modèle ? interrogea-t-il.

– Non, je ne le crois pas, lui répondit-elle calmement, même si celle-ci nous apprend beaucoup, même si son enseignement est singulier et nous parle. Tout est en nous, mais autre chose est notre modèle, de cela, j’en suis sûre.

– Quel peut-il bien être, se demanda le hérisson. Ai-je un modèle, moi aussi ? Avons-nous chacun notre modèle propre ?

La jeune femme leva la tête et regarda longtemps le ciel. Une paix incommensurable la submergea.

– Peut-on imaginer autre chose de si vraisemblable ? s’exclama-t-elle. Les étoiles m’emmènent inexorablement vers un ailleurs. Tandis qu’il est là, il est, simultanément, au-delà. Ne sont-elles pas, ces lumières clignotantes, toutes, à nous appeler et à rire ? Peut-être, cher ami hérisson, sommes-nous chacun le rappel de cette joie primordiale ? Peut-être est-ce cela notre vrai modèle : une joie exponentielle qui désire se retrouver. Il me souvient de cette force exaltante, un commencement où exultait un ruissellement de bonheur indicible ! Quelle belle réminiscence, constante et infinie !

– Ne sommes-nous pas dans un rêve ? lança le hérisson.

– Un rêve d’une complexité prodigieuse, qui nous parle longtemps, fabrique une chaîne et une trame d’une beauté inouïe, révèle une sagesse incontestable dans cet entrelacement et nous montre simplement le chemin. Oui, mon ami, c’est cela !

Héron

D’une segmentation s’amplifie la démonstration. Que l’on n’aille pas d’un morceau d’une étoffe saisir l’envergure d’un tissu. Pièce par pièce, le tableau se réduit. Quelle est donc la vue d’ensemble ? L’élargissement de la conscience.

Un Héron avait coutume de se tenir, longtemps, bien droit sur l’étendue d’eau, et du paysage auscultait la moindre herbe avoisinante. Depuis la ride que traçait l’eau, son regard façonnait tout un monde ; mais lorsque son amie la Sterne revenait des pays lointains, elle lui faisait le récit d’un voyage plutôt singulier. Alors, l’infime ride du miroir, où baignaient ses pattes, lui apparaissait, tantôt étriqué et tantôt d’une immensité incroyable, tout simplement parce que cette unique ride était l’interstice où plongeait son âme. Le Guêpier se posait sur la branche d’un arbre, à proximité de son frère le héron, et celui-ci s’étonnait d’être toujours aussi sensible aux couleurs chatoyantes du bel et distingué oiseau. Une abondance de textures, de sensations, de légers frémissements, le menaient inévitablement à l’immutable expression de la Beauté révélée et il levait sa patte avec une douce et grande élégance, tandis que l’univers entier s’écoulait, telle une couronne argentée, à la sommité d’une incroyable unité.

Cygne

Un cygne d’une blancheur immaculée glissa sur l’eau solitaire. Le lac s’émut de la légèreté grâcieuse du bel oiseau, étendit, soudain, depuis ses profondeurs, deux immenses ailes fluviales et saisit le mouvement translucide du cygne pour le mener, avec délicatesse, jusqu’au ciel. Celui-ci demeura imperturbable. Le lac versa, au miroir de son âme, une larme d’une douceur inégalable. Tous deux s’unissaient en silence.

Belette

Si la belette, Dame Schöntierlein, nous prête bien d’étranges intentions, c’est qu’à la lumière de nos enfantillages, elle crie presque au désespoir, mais, te rends-tu compte de son étrange propos, arrondi aux angles de sa solitude ? N’aie crainte de voir son petit museau, car dans le fond, elle se détourne des allocutions douteuses. Dans les plaines, au loin, elle s’en va quérir une force mystérieuse auprès du sieur Bison de Péonie. A lui, elle doit tout, même de courir énergiquement, sans éprouver la fatigue. Mais, après de bien longues années de mûrissement, la belette sait remercier ce qu’il advient en dépit des querelles anciennes. Auprès de Bison, Belette a appris la force tranquille des certitudes qui donnent à l’âme, une paix incommensurable et surtout inébranlable. D’où lui vient-elle ? Dans la blanche couverture de nos âmes endormies, le diamant d’une épopée a conquis la grâce, et je vous conte ici, un peu de sa douce beauté. Ne l’oubliez pas ! Son regard s’est exercé depuis une autre rive. Il enveloppe les gens esseulés.

Petite faune

Combien d’heures à observer l’observable petite faune, perdue dans les plus mystérieux scénarios, parfois si cocasses ! J’en oublie le temps qui passe et j’en oublie jusqu’à mon ombre. Le soleil se cache derrière un espiègle nuage et l’homme rit. Les yeux s’aimantent au moindre frémissement des herbes, s’attardent sur les couleurs multiples et s’enchantent des minuscules reliefs. La terre exhale un soupir et, soudain, le cœur reconnaît l’appel du silence, entre les lignes infinies d’un instant affleurant.

La fourmi

Quand il n’est plus aucune issue, j’entends le roseau souffler sur l’eau. Il danse sur des plissements infinis de vie, et si la tristesse s’attarde sur les côteaux, il suffit de s’y arrêter et la douceur nous prend dans ses bras. Parfois, l’on entend rugir le lion et parfois, l’on écoute la sauterelle. Tant de différence dans la forme, dans le poids, dans les couleurs, et malgré tout, au loin, j’entends le chuchotement de la fourmi. Une seule fourmi, et le ciel se remplit.

Roitelet

Dépossédée de soi-même, repossédée par ces dispositions de n’être jamais possédée, voilà une étrange suspension qui nous interpelle et qui balaie d’une main toutes nos possessions. Une fois que le tableau est achevé, l’instant d’après n’existe pas, le tableau, littéralement s’évanouit et l’âme de soulever des montagnes, les effleurer aussi quand le roitelet brise avec le bruit et révèle l’instant d’éternité.

Mouettes

L’usage de la dérobade,
Les clairsemés inévitables,
L’insouciance des fustigés,
Les serments de technocrates,
Les buveurs d’âpreté âpre,
Les considérations notables,
Des serveurs de la folie,
Quand le faux contient la lie.
Piètres attitudes irréversibles,
Quand à l’accueil du jour,
L’insoupçonnable défaite,
Des falaises en sucre insurmontable…
Nenni, que de fables et de mauvaise foi !
Bien sûr, il y a des coupables,
Mais qui est qui quand la lâcheté est de mise ?
Quand il n’a plus rien, l’homme s’invente des fables
Puis s’ensevelit de mots insoutenables
S’efforce de guérir sa blessure ineffable.
Quelle est donc la pluie
Qui efface ?
Sur la blanche coursive,
La mouette t’appelle,
Mais tu ne vois que tempête de sable,
Les vagues de tes vagues,
Homme indigne,
Déchu de tes nobles jours,
Aigri par tes lacunes !
Mouettes rieuses, venez !
Nos ailes infatigables
Nous n’avons avec le faux aucune excuse valable,
Vols émerveillés ont tranché dans le ciel affable
Et c’est ainsi que nous avons tout laissé.

La sauterelle

Traverser les flammes infernales ; tenir la flèche incandescente et entendre le vent arracher les lambeaux de nos afflictions ; regarder en face les voiles de nos acharnements ; apprendre, surprendre, offert sur les falaises de nos rudes franchissements, balayé par les rafales insoutenables, croupissant dans les vallées sanglantes de l’âme ; se tenir debout avec la bravade des obstinés et ne jamais abandonner. D’avoir ainsi écouté, l’on est conduit par l’esprit du monde ; il vient, cet ami, sans ne plus vous quitter. Les mots se bousculent, la chair visite les déserts, longs voyages, au soleil levant, dans les montagnes, jusque dans les mers vastes et profondes. L’on en vient à s’assoir et à sourire. Parce que le feu n’a pas été le feu, ni l’obscur sortilège, un monstre disgracieux, mais bien la sagesse alchimique. De longues heures à laisser le monde nous apprendre. Nous ne sommes ni conquérants, ni gouvernants, ni batailleurs dans aucune cité. La petite sauterelle m’apprend à lire muettement sur les lèvres d’un dormeur et soudain, je vois l’éveilleur. Il s’agit d’une lanterne, dans la nuit bouleversante, elle-même présente au chant des grillons que les étoiles allument de douce poésie. Combien de secondes sont une éternité ?