Engagement solennel (1)

Traversant ce monde, je ne serai pas une égoïste. Je ne penserai jamais à mon seul confort, à ma bohème bourgeoise. J’abhorre toutes formes d’expressions narcissiques, toutes sortes d’égocentrisme éhonté, tout conformisme aveugle. Il m’est impossible de concevoir cette vie comme l’exultation jouissive de ma personne. Jamais je ne me suis inscrite dans cette dimension de vie et jamais je ne m’engluerai dans celle des autres. Cela me semble abjecte, réducteur et inhumain. Je ne puis envisager le monde, l’existence, la manifestation de mon être comme une flambée nerveuse de mes projections. Jamais je ne cautionnerai les comportements aveugles d’un monde enclin, en permanence, à la consommation de l’être, autophagie amorcée comme une légale destruction de l’âme. Jamais je ne m’inscrirai dans l’insouciance effervescente du plaisir immédiat, de l’individualisme surdimensionné.

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Forme et fond

Ecrire au son de la voix, la fragilité d’un instant de présence, aux cimes d’un timbre inconnu, et se laisser suspendre par le resserrement soudain d’une main ; puis se laisser étreindre par la légèreté d’un matin, car cette perception a reconnu la douce brise de la trame, lors que ce frémissement nous immobilise et qu’il retient de sa force extrême, notre cœur encore ébaubi. Il était, en un temps, quelque peu reculé, une jeune fille qui marchait au sein de la plus grande solitude, écorchée à vif par les murs implacables de l’inertie. Elle traçait sur les voiles du ciel, une ou deux phrases. Tout le monde ne peut être ainsi submergé par l’élan vital, et elle le savait. Cela semblait presque cruel. Cela était une déclaration de guerre, mais aussi un affranchissement après de longues batailles. S’extraire des nues de l’inertie : telle était son aspiration. On lui donnait, parfois, une hache, un lasso, un burin. Mais elle se contentait de les laisser tomber sur un sol semé d’herbes folles. Elle parcourait les champs de blé avec, souvent, un livre à la main. Était-ce l’ardent désir du bâton intime, celui qui n’existe que dans notre âme ? L’on était à se cogner partout. Pourtant, il devait bien exister une béance, une sorte de folie qui émerge depuis les entrailles de notre vie ? La brèche était palpable. Elle y mettait un doigt, tout comme Saint Thomas le fit sur la plaie de Jésus. Il avait touché et vu la réalité. L’on devenait, alors cette brèche et l’on s’y engouffrait sans remords. Traversant l’inévitable brisure, les ténèbres de la nuit, l’on se retrouve à l’autre bout. Il ne suffisait pas d’en parler, et les beaux parleurs, hélas, couraient le monde. Il fallait entrer dans la blessure. Mais, l’on n’y entre pas vraiment. Un jour, la blessure s’ouvre et l’on reste pantois devant cette immersion. Et lors que l’on en revient, l’on ne revient jamais comme avant. Je sais dit-elle au vent, au soleil, aux oiseaux, aux arbres, je le sais parfaitement que tout le monde n’entre pas dans ce monde-là. Il coûte bien trop cher. Il est le fond dans la forme. Il est le sacrifice inévitable de tout ce qui appartient à l’égo. Voici Totem et voici Tabou. Voici mon sang et voici ma chair. Voici la résurrection des quatre oiseaux d’Abraham de notre écartèlement.

Lignée

Nous n’avons pas aimé l’intrusion systématique des violences répétées d’un monde qui condamnait la délicatesse d’une démarche et nous n’avons pas aimé de voir si peu d’Amour. Les uns et les autres ont considéré que le corps n’était pas un Temple, et chaque jour, sans voir en lui, leur frère, leur sœur, leur mère, leur père, ils ont commis des viols collectifs, des incestes, des fratricides, des génocides par leurs yeux dépravés, par le vol illégitime des corps, outrance manifeste au nom de la liberté. Je n’ai pas aimé cette liberté, moi qui a vu en l’autre la dignité de l’être, la beauté de son âme, l’origine de sa présence. Je n’ai pas aimé la haine de certains devant la pureté d’un velours, les soieries des parures, le respect des alcôves. Non ! Je n’ai pas aimé cette brisure constante, ces pillages et ces débordements, à la fois narcissiques, pervers, immatures. Je n’ai pas aimé les tartuferies de la liberté, ni de la contre-tradition. Je n’ai pas aimé que l’on jette ma sœur en pâture aux loups, que l’on abuse de son secret féminin, de sa puissance élévatrice et qu’on en fit le siège de la luxure et du vice. Il me souvient des légèretés et des petits pas dans les jardins où l’on savait savourer la poésie d’un clignement royal de paupière et que l’on y lisait la profondeur du langage du Sacré. Et j’aime ces mots cachés sur les lèvres du cœur, et les intimes confidences des âmes. J’aime que le corps ne soit pas une marchandise, mais le Temple de la Vision pure. Les acharnements impitoyables pour faire de la chair la luxure d’une déviance sont simplement une orgie sans nom, une démonie macabre et je ne suis pas prude pour autant, mais, aujourd’hui, qu’on le sache, les hommes et les femmes vont parler. Ils vont retrouver le secret merveilleux de leur lignée. Ils vont réapprendre à devenir le Temple sacré.

Universalité n’est pas dissolution

Je sais, je vais faire réfléchir quelques-uns qui passent, d’autres passeront sans lire, et d’autres encore seront perplexes et d’autres, encore, reconnaîtront. Mais, je vous salue, tous, un à un et vous souris.

Parcourant ce monde, j’ai regardé l’ivrogne, les gens du voyage, les étrangers, les proches, les savants, les ignorants, avec le même cœur. J’ai écouté. Je le confie volontiers. Ecouter est semblable à l’entre-deux-vagues. J’ai filé sur un pont qui glissait, presque aussi rapide qu’une flèche de lumière. Mais, j’ai fait ce geste de m’en retourner vers mes frères. Je ne me suis jamais sentie d’ici, la mémoire, puissante réminiscence, refaisant surface presque à mon insu. J’ouvrai les yeux comme une parfaite inconnue et regardais crucialement autour de moi. Il fallut faire les gestes, les faire au fur et à mesure que se voulait se maturer ce monde en moi. Pourtant, le regard observait et chaque élan, chaque remous, chaque paisibilité avait son langage merveilleux, sa correspondance enseignante. Je ne me distinguais pas des autres, même si je rencontrais, chez eux, ces volontés, terrifiantes de tout réduire, de tout avaler, de tout corrompre d’une main tremblante et assaillie par la peur. Je n’avais pas peur sauf de ne pas être, l’Être. Où que je me sois tournée, je L’ai vu. Sans diminution, sans parure. Les yeux voient par le cœur et le cœur voit par Lui. Serait-Il à ôter de Sa Création le poids d’un atome ? J’aime Son Regard unifiant, relatif et absolu. Parfois, Il fait survoler un oiseau au-dessus de la marée et celle-ci s’allume de son regard jaillissant depuis la seule réalité possible. Il est certains qui s’échappent de n’avoir jamais cru à la limite. L’infini est une puissance qui élargit la poitrine. L’infini est ce cœur surdimensionné qui prend l’ampleur de son abnégation, à la faveur des rondeurs d’une pierre érodée par l’eau distillée d’une fine pluie. La patience, la lenteur, l’Amour. Ainsi, nous entrons dans l’universalité. Et c’est en mourant que la vérité se révèle. Dans le fond, nul ne peut réduire cela à ceci ou à cela. Néanmoins, quelle merveille d’avoir été touchée par la flèche du cœur au cœur ! Je tiens encore cette flèche et la regarde me parler. D’elle, ruissèlent mille et uns signes.

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Tableau d’Albert Aublet (1851-1938)

Les signes qui vous parlent

Plus le monde semblait dériver, plus il errait dans la nébuleuse gigantesque, et plus il s’assombrissait de l’absence, plus il m’emmenait sur les terres d’un royaume illimité. Plus le monde s’évadait du centre et plus il m’y poussait. Plus je rencontrais les ruines de l’âme, plus je cherchais à retourner vers l’Origine. Je n’ai pas su être autrement, ni enfouir les signes prodigieux de la vie. Ni elle ne vous ment, ni elle ne vous trahit. Elle vous plaque contre-vous même et d’une poigne ferme, elle maintient votre regard alerte et lucide. Dans les profondeurs de l’océan, lorsque le tumulte est violent, elle ne vous épargne pas, ni ne vous permet aucun subterfuge. Vous la regardez avec la fascinante hébétude et vous pleurez, oui, vous pleurez de ses chaudes larmes d’Amour. Celles-ci vous submergent, vous inondent, vous ravagent et vous refaçonne à l’image du tremblant baiser virginal. Elle vous parle constamment, ici, ailleurs, dans les détails, dans les grandeurs. Vous ne refusez aucun de ses signes et ils vous transpercent en vous faisant mal du seul bien véritable. Alors, vous ne composez pas, ni construisez, mais vous êtes émerveillée par son Intelligence, par sa sagesse, par ce qu’elle vous enseigne, par ce qu’elle vous révèle. Comment ne pas le voir, comment ne pas en témoigner ? Alors, vous la laissez vivre en vous et vous entrez dans son puissant secret. Sachez-le ! Le silence parle. Le silence révèle son langage. Le silence vous emmène aussi loin que votre cœur est à s’ouvrir, à offrir sa nudité, à tomber à genoux, à saisir ce qui est insaisissable, car l’insaisissable ne vous quitte plus. Vos mots, vos phrases, les lettres qui dansent sont une écriture qui vient d’ici et d’ailleurs. Par son toucher, par sa patiente compagnie, vous accueillez ce qui est à la mesure de votre terre, de votre océan, de votre ciel. Vous l’accueillez et alors, Dieu se révèle à vous. Il prépare Son Jardin. Il prépare Son Royaume. Il ne vous quitte plus comme Il ne vous a jamais quittés. Jamais !

Murmure

Quand même tu viendrais nuire à mon âme, et quand même, ta trahison ferait de moi une âme en lambeaux ; quand même, l’aube se changerait en nuit, et quand même, le ciel écraserait de tout son poids mon corps ; et quand même, tu viendrais manger mes entrailles par le feu de ton absence, et quand même mes tumultes me jetteraient aux récifs implacables, et quand même, je hurlerais de douleur, submergée par l’immensité de ce mystère, je ne cèderai pas. Je demeurerais évanouie à la morsure du venin de ton indifférence, au venin de ton ignorance, et par ces épreuves, je trouverais la lumière, buvant à sa radiance, à sa glorieuse virginité et c’est vers elle, non que dis-je, en elle, que je marcherais, à l’éclatante écume de sa puissance élévatrice, je lui lancerais : Oh ! j’ai mal, viens ! J’ai mal et ton intensité ravage mon être, jusqu’à l’insolente brisure et je crierais encore : Viens ! Les rafales de lumière valent mieux que celles des ténèbres. C’est donc ainsi. Quand même, tu ne peux comprendre ces vérités, quand même tu serais le pire des manants, je ne me laisserais pas envahir par aucun poison, et si la trahison fait mal, l’Amour, Lui, est entier. C’est par Lui que je renaîtrai et c’est par Lui que mon poing jaillira de mes souffrances et le défi le plus sauvage sera de proclamer : Victoire ! Victoire ! Fiel ! Je ne te laisserai pas assiéger mon âme. Je ne te laisserai pas détruire mes verts pâturages. Dussé-je mourir, je combattrai jusqu’à la dernière larme, et allongée, sans force, sans vie, je t’appellerai, Ô lumière ! Avec mon cœur, jusqu’à mes lèvres meurtries, dans un cri ou bien dans un murmure.

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Photographie de Roberto de Mitri

Chevauchée

Je me souciais peu de devenir ceci ou cela. Cela était. Nous regardons ce qui est, simplement. Nous arrivons au monde et soudain, la flèche nous atteint. Nous ne savons pas véritablement ce que cela peut bien être, mais sans cette flèche, y aurait-il ce regard, qui, suspendu, balaye alentour, puis se trouve au creux même d’une noyade ? Une percussion en ondes sismiques. Il en existe plusieurs, et il en existe de toutes sortes. L’onde parle. L’onde se prolonge au-delà de la secousse. L’onde se matérialise de diverses manières. Puis, elle vous attrape. Elle vous tient dans ses bras et vous relie à toutes ces choses qui sont les étapes d’une secousse atemporelle. Je ne me souciais pas d’entrer, forcenée, dans le monde de la compétition. Quelle sorte d’insertion et quelles sortes de négoces ? Je ne voulais pas marchander la vie. Je ne voulais pas être une marchandise. Quelle sorte de rendement ? Je n’étais ni homme, ni femme, et pourtant, quelque chose me maintenait en cette subtile conscience. Conscience !

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La Dame des mondes

Chaque jour est un jour vivant. Chaque jour se marie au ciel. Chaque instant est un instant qui ouvre. Chaque battement du cœur est un souffle nouveau. L’esprit du Divin est un instant qui sème, et chaque grain est une lumière au monde. Chaque jour qui passe est un jour qui nous étreint et chaque jour qui nous étreint est une rencontre. Chaque feu qui s’allume est une cuisson ardente et chaque cuisson est une œuvre. Chaque instant qui s’égrène est une apnée et chaque apnée est une offrande. Chaque parole est un autre monde éclos et chaque éclosion est une grâce qui enchante. Chaque regard est une connaissance et chaque connaissance est un verbe qui éclaire. Chaque larme est une seconde transpercée d’éternel et chaque seconde est une invitation à la douceur d’un arrêt. Chaque allégorie est une image et chaque image est une phrase. Des voiles qui se soulèvent, des liens qui fusionnent. Chaque arrêt est un entre-les-mondes et chaque monde est une exhalaison enchanteresse. Chaque mouvement a son centre et chaque centre est une rose. Au milieu d’une étendue vierge, la rose est une Dame. Elle se penche sur les mondes et nous appelle au milieu de nos rêves, l’étendue de notre cœur.

©Béatrice d’Elché, Chaque jour est un jour vivant, Mon carnet2

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Peinture de Annael Anelia Pavlova :

Chaîne initiatrice

Nous avions jeté, aux flots, le vacarme de nos pensées et les rêveries interminables. Nous avions ficelé ces lots avec la corde de nos mots et nous avions oublié les choses que retenait notre mémoire. Assise au bord d’une falaise, nous laissâmes voguer notre esprit. Durant une longue période de notre vie, nous étudiâmes, telle une forcenée, ce qui nous façonna aussi, ce qui ébranla notre âme. Nous pourrions faire le récit d’un étrange moment, lorsque chaque herbe attirait notre attention, ou bien faire part du rire serti de rose, celui d’une Dame qui fut notre mère. Nous pourrions conter le récit réel et même imaginaire de ce que fut notre voyage. La lumière tamisée, les ombres de la cheminée, les flammes incandescentes. Nous pourrions vous raconter les paroles d’un sage, celui que fut notre père. Il avait le regard de ceux qui avaient plongé dans les plus grands précipices humains. Il avait cette façon de prendre votre main et de réchauffer votre âme. Il aimait plus que tout avoir un mot pour rire et chaque événement devenait une boutade. Nous riions jusqu’à en avoir les larmes aux yeux et la maisonnée resplendissait du feu intérieur.

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Ensemencée

La prose a cela de doux, douceur d’un vieux sentier au beau milieu de la campagne automnale, et sans nous étourdir, malgré tout, alors que les pas se font dansants, menus, dans les parfois, les arbres posent sur nous un regard inégalé. Il nous vient ce rythme alangui, mais, loin derrière, la feuille pleure, nous émeut par sa délicate présence, et sur le sol, gravitent, en densité à peine mesurée, les bruns et les jaunes de leur craquelure. Non ! Non ! le cœur n’est plus celui d’une adolescente qui cherchait, avec la déchirure des crucialités, le pourquoi du monde, le pourquoi du pourquoi. Le cœur n’est plus tendu, pareil à une voile dans les tourmentes d’un océan tempêtueux, ni même, écorché par le vent vif des interminables hivers. Il ne reste plus de trace sur la blanche écume, ni même tous ces pourquoi.

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