Correspondances XL

Très cher,

Une goutte de lumière sans aucun doute, parce que la lumière abonde, même au plus noir des abysses, une goutte suspendue comme éclairant indubitablement le chaos qui n’est pas véritable, car une goutte de lumière nous parle et nous dit le mystère. Une goutte épanchée, de saveur inconsommable, juste comme une rosée qui vient sur le cœur palpiter et devient ainsi la fleur éternelle. Celle-ci a bien son langage. Elle s’ouvre perpétuellement et ne vous trompe jamais. Cette fleur devient la lyre, cordée aux douces notes, magie des prières incantatoires, mémoire de l’unité. D’où viens-tu ? aurait-on la faiblesse de demander. Mais nous savons que la réponse est dans la question. Complicité inouïe avec cette lumière tournoyante, effusive, sans frontière, évoluant dans son propre cadre d’infinitude, de semblants paradoxes aussi. Quand perdue dans les promenades solitaires, nous touchons avec un détachement qui n’est assurément pas de l’égoïsme, et comment cette chose pourrait nous envahir, lors que notre essence est tout autre, les sentiers sauvages au milieu de la campagne, non loin de ces prodigieuses montagnes, ces imposantes vagues qui nous parlent comme le fabuleux océan, gorgé de surabondance exultante, jamais défaillante dans sa constance, parce que nourrie de sèves exaltées, d’amour culminant, d’union cultivée, comme l’on cultive lentement le jardin de notre âme, ce jardin qui se révèle sauvage, indomptable, et pourtant depuis son inextricable fouillis apparent, chaque chose est exactement à sa place. Nous n’éprouvons ni peur, ni doute. Effectivement, le sourire est suprême quand il provient de cette source inaltérable, inépuisable. Nous pouvons lui donner tous les noms, mais un jour, c’est bien elle qui s’empare de nous et qui nomme chaque chose. Une fois que nous entrons dans l’intimité de la Nature, Celle-ci ne nous lâche plus jamais, et nous fait le don de Son secret. Lors que Celle-ci donne, comme est légère sa main. Comme sa main pèse à peine et, délicate offrande, s’efface en nous submergeant.

Votre fidèle B.

Histoire d’agneau

Il était une fois un agneau qui rêvait de demeurer un agneau pour toujours. Il courut voir sa maman, occupée avec ses petits frères et l’interrogea tout abruptement : Maman, suis-je obligé de devenir un mouton ? La mère le regarda avec beaucoup de tendresse et lui répondit : à mon avis, on ne devient que ce que l’on est déjà. Alors, l’agneau s’en fut un peu à l’écart de la bergerie et en lui-même, se dit : si telle est la réponse, c’est que ma question contient mon devenir. Il fut satisfait de la chose et n’y pensa plus.

Intemporels souvenirs

Il me souvient des moments de brise, sur les hauteurs puniques qu’a marquées l’histoire d’un trait indélébile. Le soleil au zénith de nos souvenirs et je m’évade dans le bleu de la mer. Combien de navires sont partis depuis les fameux ports et ont traversé ainsi les mers écumées ? Aucun moment n’est réellement perdu, et je me vois encore assise sur une grosse pierre, écoutant par l’imagination, les folles escapades d’enfants intemporels. Je me suis demandée : combien de personnes ont-elles ainsi regardé passer les nuages ? Combien de fois, poussé par les yeux inquisiteurs, le cœur s’est-il ému de ces flocons facétieux ? Les lieux n’étaient pas vides et soudain, la cité reprenait vie comme par magie.

*Tableau de Sir Lawrence Alma Tadema (1836-1912)

Correspondances XXXIX

Très cher,

Quand nous n’avons plus aucun désir, l’expansion arrive. Il s’agit à proprement parler d’une ouverture qui vient au moment propice. Celui qui goûte à cela ne peut plus y échapper. A ce moment-là, nous ne comprenons pas plus, mais nous sommes saisis par ce qui ravit notre cœur. Pour certains, cela ne vient jamais ; pour d’autres, le cœur est en permanence en cette légèreté et ils ne peuvent désormais plus vivre autrement. Oh ! ils savent sans aucun doute faire les gestes de tous les jours, mais jamais ils ne s’adaptent à ce qui n’est pas cet émerveillement. D’ailleurs, ils marchent précautionneusement sur la terre, ils se promènent en ville de la même manière. Ils ne songent pas un seul instant que le bruit furibond des voitures leur ôte la vision exquise d’un moineau égaré dans les tourbillons citadins, ni n’exclut la lecture des signes qui palpitent comme le cœur venu au monde. Rien, ni personne ne peut leur enlever la mémoire vivante des choses. Ce sont les yeux qui se transforment en une multitude de papillons évanescents. Le visage d’une femme que l’on croise, celui d’un moribond qui suffoque de fantomatiques gestes dans la lenteur de la marche, l’enfant qui geint par caprice, le vent qui saisit les branchages et ces parfums subtils du langage intérieur. Quand nous ne connaissons rien, l’univers devient une page infinie et le corps s’arrête et les bras se lèvent, sans complexe, alors que le corps chante au milieu de la foule, en volutes d’amour. Plus rien n’est ombre, ni même incertitude, mais effervescence de sens que la dilatation ne sait retenir. Les perceptions de cette exaltation enveloppe chaque chose, alors qu’en réalité, nous savons que le monde périt de la séparation. Un jour, l’encre sera asséchée, mais quelque chose de juste, de beau, de pur, de vrai, d’amour nous sera révélé.

De tout coeur,

votre B.

PS : vous confierai-je ceci ? Sachez que ce qui nous semble injuste, cruel, voire laid, ne l’est absolument pas.

Complainte d’un saule pleureur

Je m’étonne, qu’ayant bu au vin des mots, les hommes nourrissent encore de l’amertume. Nous ont-ils donc menti ? Ont-ils volé au ciel les fragrances d’un raisin qui ne leur était pas encore destiné ? Qu’ont-ils fait si ce n’est recracher la vie qui les cueillit comme une sœur aimante, infaillible et constante ? Ont-ils avalé les mots sans en goûter l’essence ? Quand la nostalgie devient le miroir éhonté de narcisse, ont-ils jamais vraiment fusionné avec la vie ? Quelles sont donc pour eux les lettres alignées si ce n’est le flambeau de leur moi débridé ? Les mots, à leur tour, se tournent vers leur mensonge et viennent les rattraper, dans le puits sombre de leur ingratitude. Quelle sorte de vermine crachent-ils au crépuscule de leur sommeil profond dans la nuit de leur déni ? Les mots sont loyaux et ne transigent pas avec le faux. A la sève de leur douceur, les lettres dansent au cœur de lumière et la vie est forte de son intelligence. Poète, la vie donne quand Toi tu voles son secret. La vie a ses violences que l’homme a souhaité méconnaître. Mais la Poésie est pré-existente à Ta venue. J’ai vu les cadavres devenir des grimaces, alors que leur vie durant, ils avaient fait les gestes des danses macabres de leur méchanceté. Que l’on se gargarise des mots qui reviendront nous hanter, la vie n’a pas dit son dernier mot. Tandis que le saule pleure inconsolable d’avoir été trahi…

Ravissement

A force de voir les couleurs semées aux quatre coins du monde, ces évasements de sonorité complexe, ces étreintes vives et palpables, transfiguration des corps de beauté, sensibilité des terres ivres, libres de toute pensée, que se passe-t-il dans la suspension du regard ? Que se passe-t-il quand le cœur s’oublie dans les abîmes de l’envolée jubilante ? S’appartient-il encore ?

Fragrance

Indistincte prudence,
Quand ploient toutes nos doléances,
Blanche rosée du magnolia,
Au cœur épris, il n’est plus que ton jardin,
Quand butine quelque abeille,
Le suc d’un magistral soleil,
Et que le soir se charge de notre émoi.
Parfois, au vif d’un coquelicot,
Balance fragrance d’un jasmin,
Puis serein, le violon se grise,
D’une euphorisante déclamation vive,
Tandis que fleurissent nos complices et silencieux mots,
Dans chacun de tes profonds regards,
L’amour que je cultive coule à flot.

Doux présage

Est-on délivré d’amour,
Quand il est la seule réalité,
Quand il fait de vous sa vérité,
Puis qu’il efface toute trace,
Qu’il fait succomber l’infamie,
Et balaie de sa superbe
Tyrans et jougs innommables ?
Comment se défaire de son doux piège ?
Il est un lieu d’où l’on ne revient pas.
Il imbibe notre cœur et nous désarme,
Face à l’opulence de sa loi.
Il n’est que clapotis et sources vives.
Je n’en sors pas et vais flottante,
Égarée au milieu des épanchements,
De saveurs inéluctables.
Tel est le monde que je côtoie.
Sans doute, n’en est-il pas d’autre,
Et nous finissons comme nous sommes venus,
Déployés dans un cœur immense,
Tel le doux présage d’une ébauche inégalée.
Je remercie l’enfant de la pluie,
Des fraîches lueurs de notre Poète-Roi,
Je remercie la vie, le bruissement effusif,
Des beautés offertes dans l’intemporalité,
Semence du cœur étreint de complicité,
Vive, caracolant sur les brises.
Je ne partirai pas en vain,
Puisque l’enfant remercie de ses maigres pitances
La joie charnue des sentiers de la présence.
Je partirai avec l’amour.
C’est ainsi que je veux mourir,
Percluse d’amour pour toujours.