Les grappes

Quelqu’un vint ce matin, comme une sorte de trêve, projetant sur les dernières vignes du coteau un soleil doux. Je l’écoutais longtemps car, il me sembla qu’il était un ami. Les dernières grappes pendaient généreuses telles des mamelles et les feuilles tendaient leurs mains semblables à des prières. Au retour, je surpris les empreintes marquées sur le sol qui étaient celles des feuilles d’érables. Etonnantes feuilles gravées sur un sol gris. Quand vous écoutez la voix d’un ami, vous êtes seul au monde, et lui seul existe. Cet ami fait votre vie. Il colore l’instant de sa chaleur. C’est ainsi que je vis ces grappes. C’est ainsi que je vis mon ami.

Rêve

J’ai aimé le rêve que tu traçais sur les sillons d’une vie durant. J’ai aimé le rêve, l’attrapant aux filets de tes douceurs, pesant chacun de tes mots, sur les feuillages épars de tes pas. Je m’étais mise sur le côté et regardais comme une personne qui découvrait un autre monde. A la dérobée, je longeais tes mots qui parlaient de moi. Ton bras sous le mien, le regard égaré, ton parfum des sous-bois et nous traversions un pont. Je suis entrée dans ton monde, comme on vole un instant, et je me suis cachée dans les allées du temps, en attendant. Si j’avais vécu, c’est ainsi que j’aurais aimé te trouver. Si je n’avais pas été si loin, je t’aurais rencontré et tu aurais lu ces quelques mots. J’ai longtemps façonné l’ivresse de mes mains qui pétrissaient la pâte. Je souriais en dessinant ton visage, m’efforçant de le tirer des brumes. Si j’avais vécu, je me serais assise sur ce banc et t’aurai regardé en silence. Si j’avais existé, je t’aurai donné rendez-vous en notre jardin et nous aurions ainsi parlé avec les yeux. Je t’aurais dit : Ne parle pas encore. Laisse-moi goûter l’instant de notre présence. Laisse-moi retenir ce moment à tout jamais !

L’exil

L’on s’exile de douceur, sur un chemin de feuilles éparses, puis l’on s’arrête définitivement par le geste d’une main amie et l’on se laisse à cette hébétude, l’éternité. Le périple vient de commencer et je suis encore à regarder le papillon voler. Ne t’ai-je pas, une fois de plus, retrouver Ô Maître ?

Violon

Défaire et refaire, interminable fil conducteur que celui de l’archet dans les surprenants échos du lancé, quand me diras-tu ces grandeurs du violon promeneur ? Le vent emporte la quenouille, mais par brassée tisse l’imprévu dont je ne sais me défaire. Tissage de fil de soie d’une chenille suspendue au mûrier et je vois la blancheur de son âme douce et conquise par le nacre de la vêture d’un cocon défait.

Pluie

Quoi qu’il se passe, quoi qu’il advienne, la chevelure rougeoyante de l’âme est une perpétuelle poésie et qu’il faille demeurer seul, ou bien longer les méandres de la nostalgie, nous nous reposons définitivement étranger, traversant le sillon d’une phrase, s’y glissant, imperturbable. Que certains y croient ou n’y croient pas, qu’importe, puisque l’eau est vive de fines gouttelettes qu’une voix enchante. As-tu vu tout ce monde réfugié au fond des cavernes d’insouciance, ou bien est-ce la pluie qui les tient au fond de leur hébété silence ? Silence torturé d’indifférence n’est plus que larme sèche et n’est-il pas une multitude d’oiseaux sous les branches qui te surprennent et ce roitelet d’effluves encensées clamer la beauté ? Combien de mains as-tu serrées que tu as longtemps rencontrées ? L’on meurt comme des milliers d’étrangers, mais l’on vit d’avoir vécu la vie qu’une seule mort emporte. Quelle joie alors !