Moment de partage

Peinture de Dee Nickerson

Je n’ai rien préparé, tout s’est décliné, par les mains qui agissent lentement et doucement. Sur le seuil de la porte, avec notre voisin, diacre de sa fonction, nous avons échangé quelques propos, sur les temps, sur les histoires qui courent, sur notre foi commune et universelle, sur la douceur des jours, les rencontres inoubliables, les instants de lumière. Il m’a parlé de son séjour en Suisse, alors qu’il avait été appelé sur un chantier durant le confinement. Il m’a conté sa merveilleuse anecdote déroulée dans une église, désertée depuis deux mois, et dans laquelle il s’était mis à chanter et prier à voix haute. J’ai failli m’installer sur la chaire, m’a-t-il confié, mais j’ai craint que le curé me surprenne. J’ai déclamé Alléluia, Alléluia... et l’église résonnait joyeusement. Nous avons ri. Il me raconta comment il finit par percevoir un bruit à peine étouffé dans l’église : comme je ne vois pas très bien, j’ai dû me rapprocher et là, j’ai vu une petite dame âgée qui pleurait doucement. Elle était émue d’assister enfin à un office puisque le curé avait déserté son église.

Plus tard, nous allâmes, mon amie et moi-même visiter une chère disparue au cimetière de la ville. Nous empruntâmes l’allée centrale. De part et d’autre, la demeure de chacun, en ce couloir de vie me parlait, comme le vestige d’un passage. Je saluais chacun en silence, uniquement par la présence. Parfois, je m’attardais sur une inscription, sur le nom patronymique d’une famille. Je saluais encore, chacun de ces êtres, dans une révérence intérieure. Malgré tout, si présents, ces disparus, le sont-ils vraiment ? Je percevais comme un souffle soudain et je me sentis bien parmi les morts. Rien de lugubre à cela, rien qui ne soit néant. En traversant le cimetière, je les sentais tous là et je répondais à leur réalité. Le matin fut paisible et intemporel. La mort possède tous les visages. Elle vient comme elle veut. Elle est, simplement. Elle est aussi la vie. Elle a cette douceur de nous rappeler à cela.

La grève

# أبو تمام de Kh.hosny

L’amour a parcouru une rive, puis a flotté au-dessus de la terre, comme hésitant, puis une nouvelle fois a fredonné un vieil air perdu sur l’écume blanche des vagues altières. Une main s’est levée, inlassable main, constante dans sa prière, et par simple boutade, s’est amusée de la mouette. L’oiseau s’est emparé de l’ivresse titubante de la jeune fille. Un coquillage dans la poche, offert, il y a bien longtemps par un pêcheur aux yeux bleus, les grains crissants de chaque algue sur sa peau. L’oiseau s’est envolé avec la petite fille dans la hauteur des nuages. Il y pleuvait quelques grises larmes et des rayons de fou rire. La mouette est une compagne peu commune et ses ailes s’étendent aussi loin que les bras de l’enfant. La voici qui valse dans le ciel et plus rien ne compte. C’est là-haut que l’on se sent le mieux dans la froidure du vent qui nous glace. C’est là-haut que le froid nous ranime et il y fait bon vivre étourdi de tournoyer à l’infini. Entends-tu mon cœur, ce cri sur la grève ? C’est un écho écorché de bonheur…

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Peinture de Jeremy Lipking

A pleins poumons

Peinture de Anka Zhuravleva

J’ai marché de travers sur un trottoir, penchée sur les effets miroitant de la pluie, l’humeur joyeuse, éclaboussant l’ordre par trop rectiligne et il m’a fallu de longues années pour ne jamais me défaire de l’air taquin qui flotte dans l’air. Que voulez-vous, C’est ainsi. Je ne cache pas ma joie, même au milieu d’un magasin et quand je vois les gens mornes déambuler avec leur masque, il me faut briser leur muselière. D’avoir été si sombres, les hommes ne rient plus. Ils ne dansent plus et jouent à être des adultes mortifères. Quand ils se prennent d’euphorie, il leur faut quelque verres de whisky. Je n’y ai jamais cru. Je dis bravo à la vieille dame qui a oublié son masque et nous sourions toutes les deux, complices. Un homme, qui avait baissé son masque blanc, lance, dans le train, à un contrôleur, qui le rappelait aux règles sanitaires : respirez à ma place si vous le pouvez ! Oui, respirez, respirez fort le bon air de l’hiver et ressentez les gouttes de rosées vous caresser le visage. Vive le ciel, et vive le bon air à pleins poumons ! Que voulez-vous, il s’agit de ma folie et sans whisky, je vous prie !

Veuillez considérer cela comme le plus extravagant des interludes qui se puisse être.

Rosée

Peinture de seung hwan chung

Rosée de pluie sous mes pieds,
Gerçure de neige,
L’herbe qui pleure,
La terre nous parle.

Rosée d’écorces vives,
L’arbre, notre frère,
La nuit, son candélabre,
L’amour au point du jour.

Rosée effeuillée,
Dans la gorge du merle,
Comme un ciel ouvert,
Corps éternel.

La maison 房子

Deux âmes douces et bienveillantes,
Dans les profondeurs subtiles,
Quand leur geste est éloquence,
Voici leurs visages graciles.

Du cœur à cœur,
Sans nulle aspérité,
Faite de révérences,
Que trahit leur silence.

Chacune se parle,
Chacune se repose,
L’ébauche d’un sourire,
La maison, l’une de l’autre.

Fruit 水果

La fine fleur d’une plume,
Fut atteinte de nostalgie,
Sur une étendue de nacre,
Feuille d’un papier de riz,

Laissa perler une larme,
Un poème en naquit,
D’encre que lave la nuit,
Du paysage jaillit un charme,

Et le cœur d’une grenade,
Conta l’effusif geste d’un érudit.
Quand le soupir s’attarde,
La neige est de rubis.

Intense silence

Estampe de C.Chevalier

Tout disparaît selon les temps,
L’étonnement le plus pur.
Telle est la beauté du tourment,
Mais le fleuve est d’une autre nature.

Quand vient le souffle gisant,
Les étourneaux soliloquent,
Tandis que le merle chante,
Brisure de neige.

J’aime l’hiver,
Dont l’intense silence,
Pose délicat sur la plaine,
Un murmure : est-ce celui d’un ange ?

Ponant

Certains ponts durent mille ans,
D’autres dix mille,
Et d’autres plus encore,
Avançons !

Ô sage du passé présent,
Tes paroles tel un adage,
Plient le temps,
Quelques pas sur le pont.

La traversée est rude,
Mais le pont est solide :
Quelques compagnons,
La voile et le ponant.

Le froid

Le ciel vêt son silence,
De lustrales étoiles,
Ce regard
Incandescent,

Brise les glaces.
Mais le vent couvre la plaine,
D’étincelants miroirs,
Autre regard.

Le froid,
Blancheur d’un verbe,
Sur les cimes,
S’émerveille.

Cortège

Cortège d’un florilège,
Sans secousse,
Ni aucune trêve,
Les enfants veillent.

Dans le bruissement souverain,
Des pas sur la neige,
La lueur rêve,
Au bonheur du sortilège.

Des ombres dans la nuit,
Ces silhouettes,
Savantes floraisons,
D’étoiles sans âge.

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Je vous souhaite à tous une douce nuit de veille.

Béatrice D’Elché