Soleil et Lune

La sagesse consiste à prendre le temps de peser toutes choses et de se laisser irriguer des réalités de la vie profonde. Vivre au rythme du pouls terrestre, regarder les nuages, les fleurs, tout cela ne peut être une anecdote en passant. Quand je le vis, je me lançais à corps perdu, à corps abandonné dans les bras de son étonnante magnanimité, dans les confins de sa préciosité. Cela peut sembler aussi fin qu’un cheveu, cela peut ressembler à un proton, l’effet d’une touche précise et délicate. Cela peut aussi ressembler à des milliers d’années-lumières, à une myriade de constellations, aux vents les plus improbables de millions d’étoiles. Tant que le soleil suit sa lune, que voulez-vous qu’il advienne ? Tant que la lune suit son soleil, que voulez-vous qu’il advienne ? Tant que l’Amour est la plus puissante des lumières, et qu’un orbite se met à poursuivre ce qui le poursuit, vous ne craignez rien et vous êtes forts de cette Joie incommensurable qui vous saisit perpétuellement. Celle-ci est le plus grand de tous les boucliers. Voyez comme la lune rit aux éclats, et comme le soleil est fidèle à son amante !

Folie

Folie a le désir de poésie,
Ou bien l’inverse,
Le fou est libre.

Si tu n’es pas fou,
Tes mots cognent à la raison,
La mienne joue depuis.

Les mots sont mon corps,
Suis-moi, ou bien pars très loin.
J’ai vu les fuyards.

Je bois au nectar,
Telle est la joie perpétuelle,

Répond l’hirondelle.

Miroir 鏡子

Où vais-je quand tout est là ? Les oiseaux s’en vont sur le lit ondulé des nuages, poursuivant le signe, qui de mon regard, soudain prend tout son sens, et du sens, il n’est que l’inédit. Chaque fois que les yeux voient, tout est de nouveau à sa place, immobile et suave. Où vais-je quand le cœur s’élargit de deux extraordinaires ailes, puissantes à l’infini, d’Amour toujours vivace et c’est là que je vis. Ouvre-toi, Simsimah, perle, joyau d’un jade contenant une merveilleuse grenade, une grenade cernée toute de noir. L’œil d’un oiseau mythique. Je le vis. Son regard m’étourdit. Il me tint en otage. Comment s’extraire de l’intensité de son Miroir ? L’œil entra dans le cœur du cœur. Il me parla durant mille ans et plus, et je l’écoutais dans le silence, car nulle oreille n’entend cet oiseau rare sans faire le sacrifice de son bavardage. Il me saisit tous les mots et tous les gestes. Je ne pus bouger, mais le désirai-je vraiment ? Quand il posa une de ses nombreuses ailes sur mon corps, je crus naviguer dans les eaux d’un océan d’Amour, celui d’où l’on ne revient pas et, s’y noyer c’est devenir lui, sans plus jamais être écartelée, car l’oiseau du Miroir me fit des confidences, de sorte que mon corps se transforma et de le voir flottant dans l’extrême étincelance, J’entrai de nouveau au sein de son regard, tourbillon apaisé de notre rencontre. Mais, il est des choses que l’on doit vivre pour les comprendre. Aussi, l’oiseau me serra d’avantage et extirpa de mon cœur toutes les dualités et me dit : Vois !

Le vieillard

Un mendiant se tenait près de sa hutte et scrutait passivement l’horizon. Il étreignait, par son regard, certains nuages et s’envolait, ainsi, sur les mirages de ses pensées. Il n’y avait aucun remède à sa maladie. Elle avait fini par le ronger comme un ver ronge le bois. Il était assis à même le sol, voûté par les années, au milieu de la forêt. Les saisons avaient passé sans guère l’épargner. Il n’était ni soucieux, ni même indifférent. Pourquoi ce vieillard s’était-il ainsi éteint ? Certaines placidités sont en vérité l’antre d’une véritable mort. Alors que la morosité venait le tirailler, il vit passer un homme. Celui-ci chantait et dansait. Parfois, il s’arrêtait et tirait de la poche de sa veste un petit carnet et inscrivait ses joyeux chants. Longtemps, le mendiant le suivit du regard. Toute sa mémoire remonta et la vie entière défila comme si cela avait duré un seul instant. Il porta tout contre sa poitrine un poing de douleur et des larmes s’écoulèrent sur son visage buriné. Le jeune homme se tourna vers lui et s’arrêta un moment, puis, pris par l’évidence, s’écria stupéfait : Mais, ce vieillard, c’est moi !

Songe d’Apollon

L’éphèbe, en proie à la fougue, ferveur d’Apollon,
Se dénuda au crépuscule des joncs, son heure,
L’extase d’une submersion, et sans craindre Aquilon,
Frémit dans les eaux, les cheveux plein de fleurs.

Il clame sa force vive puis rugit tel un lion,
Et ce qui semble rauque est le soupir d’une caverne,
Virile et sauvage sur les ailes bleues d’un papillon :
Que ne fus-je le compagnon d’une mythique Athène,

L’étreignant telle une Amante et sans relâche,
L’aimer du pur Amour, et de voir en elle une sœur,
Entendre ses confidences et boire au doux breuvage

De sa parole pour enfin connaître le vrai bonheur,
Puis tenir, sans desserrer, son corps et son âme,
Et lui déclarer : Tu es mon égale, Ô Femme !

 

Oyez, oyez braves gens !

Oyez, oyez braves gens ! et c’est peu dire,
J’ai sonné du clairon et esquissé une danse,
J’ai brûlé de l’encens, c’était dimanche.
Quand vient la transhumance, quel soupir !

Oyez, oyez braves gens ! je vais vous le redire,
Demain, nous verrons le tailleur verser une rente,
Et tous les nobles écuyers sous la soupente,
De maugréer et peut-être même de maudire ?

Oyez, oyez ! gentes dames et seigneurs des villes,
Je vais sur le chemin et de brandir un tambourin,
Rire aux regards bouffis après certains lendemains.
Voici la horde d’un matin bien moins civile,

Que le marchand de pain dans une bourgade de Séville.
J’ai acheté trois semonces d’un âpre vin,
L’ai porté à la bouche tout en mangeant son raisin :
Le corps a les saveurs d’un corps couvert de résille.

Oyez, oyez ! damoiselles et damoiseaux de Paris,
Derrière une ancienne barricade meurt un jouvenceau :
Il avait, de l’amour, le vivant des purs lionceaux.
Quel cœur bat en ces temps contre la barbarie ?

Oyez, oyez braves gens, faisons courbettes et révérences,
Les lieutenants du mal poursuivent leur macabre cérémonie,
Les diables sur la scène de leur monstrueuse orgie,
Tandis que la girouette sur un clocher tourne, à l’évidence.

 

Paroxysmique paradoxe

Dédié à l’Ami, dédié à tous ceux qui sont cet Ami, car l’Ami a tous les visages des Amis, femmes ou hommes, nous sommes ces Amis mutuels.

Inébranlable forfaiture, mais Ô pur Amour !
A la seconde des ramures qui viennent de naître,
N’ai-je pas consenti à ne plus autrement être
Qu’en la transparente déclinaison d’un noble jour ?

Indéfectible outrance, Ô nitescent séjour !
Dans la clarté de nos gestes et complice Maître,
Nous vivons pour Te magnifier et Te connaître,
Et je gage qu’avant longtemps, arrive Ton tour.

Il n’est point d’instants justes qui ne se lamentent ;
Il n’est plus de remous, ni de larmes violentes,
Car au-dessus, bien au-dessus, se balance un fanal,

Et c’est par lui que les justes suivent le Guide,
Car, quand pleurent les femmes, malheur au vide !
Quelque part, à l’horizon, sombre déjà le mal.

Peinture de John Maler Collier (1850-1934)