Marronnier

Sers-nous fort ce matin frileux,
Encercle-nous de montagnes fantomatiques,
Quand vient se déverser l’écume d’un ciel bleu,
Viens donc et nous prends pour toujours
Au centre du regard énigmatique,
Libère de légèreté les ailes de l’oiseau,
Quand du brisement d’un rayon,
Le marronnier nous attend avec amour.
Frémit l’effeuillement des frondaisons,
Du clair-obscur des vibrantes parures,
Le doux murmure aux battements du cœur,
Sans peine ni langueur ; être.
Je redescends des côteaux avec lenteur.
La ville s’éveille des gisements de la veille.
Vois-tu les serins éclore des vents marins ?

Automne

J’ai cueilli la lavande.
Sens-tu comme le romarin vif,
Au cœur de mon cœur,
L’aubépine rouge,
A le goût du givre ?
J’ai souri à la rose-thé,
Parfum de solitude,
Les bras chargés de soleil,
Aux confins de la plénitude :
Même souffrir a le jus du groseille
Entre nos mains semées d’émerveille.

Insigne

Insignes étreintes,
De mémoire de pluie,
Rive de notre révérence soumise,
De grâce et d’implicite,
Insignes instants,
D’eau gorgée de surprenantes questions ;
Les délicates dentelles,
Infimes dans l’arc-en-ciel,
Que boit un horizon.
Eurythmie du luminaire,
Au diapason crépusculaire,
Insigne bonheur,
Le tison d’un tremblant cœur,
Deux mains qui glissent,
De palpables douceurs,
Sur la terre promise,
Et la beauté nullement ne brise,
Mais par la lenteur acquise,
S’enchante de l’indéfini,
Perpétuel être,
Toi m’as suffi,
Et c’est ici,
Dans le miroitement de notre félicité,
Les luxuriances réponses,
D’une divine beauté,
Sans qu’aucune inconvenance,
Pèse sur ce qui s’énonce,
Plume qui se pose,
D’insignes insignifiances
Sur la jetée qu’écume en silence
Le rouge d’une fleur.

Poire

Je remercie ces moments de nous avoir visités, sans que jamais nous ne soyons à usurper leur merveille, lors qu’en croquant dans la juteuse poire, nous sommes à voir son cœur et ses nervures, histoire sublime du chemin de vie, jusqu’aux pépins qui parlent de l’origine et de la finalité, mon regard hébété de l’arbre que le fruit contient. Combien de fois, en visitant le pays floral de toutes ces beautés, je t’ai vu, et le ciel qui s’inverse dans le miroir de ton reflet et la lumière fuse en volée de pétales dans le cœur émerveillé.

Entrelacs

Image prise ce jour, quelque part en Gaule profonde…

Chaque grain avait sa grappe, et chaque grappe avait son soleil tandis que nous nous émerveillions des entrelacs du givre. Le soleil argenté, l’auréole de ton blé sur les buées de la lune, car la brume annonce l’automne dont je me souviens, nos pas légers sur les feuilles, au sol embaumé, non loin des rigoles. J’étais ivre de ta présence, comme la connaissance du fond des âges, profondément ressenti à travers la particularité d’une odeur que la terre nous rappelle avec toute la puissance d’un mois de septembre. Quand tes yeux plongent avec cette intensité dans notre regard, mon âme de femme étreint la nuit et je remonte tous les courants, sans que ne cesse un seul instant mon élan vers toi. Puis la femme marche sous le parapluie des arbres et par volute les pins s’épanchent et les montagnes vaporeuses s’élancent prestigieuses. Ô notre entrelac !

Le nuage passe 雲通過

Le vent souffle et sans doute amène-t-il comme un languissement crucial d’autres objectives paroles ? Sans aucune considération vindicative, il penche sur les obliques vagues, ces herbes hautes ainsi que les branches des arbres. J’ai rencontré beaucoup d’hommes murmure le singe, et certains de mes frères ont des vues bien étroites. Si les hommes se heurtent, les singes se disputent violemment quelques bouchées prises à la dérobade. Je suis vieux et mon poil blanchi. Quand je vois passer le héron sur les vastes plaines d’Afrique, je souris, mais quand je vois se poser certains vautours autour des carcasses amoncelées, leur marche me semble plus pitoyable que la blancheur remarquable des os gisants. Mon esprit est clair et si vous me voyez dodeliner de la tête, c’est parce que je vous regarde. Ce que je pense n’est qu’un nuage qui passe.

Aquarelle sur papier de Johann Wilhelm de Graaf

Roitelet

Dépossédée de soi-même, repossédée par ces dispositions de n’être jamais possédée, voilà une étrange suspension qui nous interpelle et qui balaie d’une main toutes nos possessions. Une fois que le tableau est achevé, l’instant d’après n’existe pas, le tableau, littéralement s’évanouit et l’âme de soulever des montagnes, les effleurer aussi quand le roitelet brise avec le bruit et révèle l’instant d’éternité.

Musicien 音樂家

Je rencontrai le musicien assis sur le sol défriché de son âme. Il chantait la solitude de quelques vieux refrains venus d’Orient. Je le rejoignis en silence.

Jamais ne me quitte, Ô voix !
Comme tu perces mon cœur transi,
J’ai marché longtemps jusqu’à toi,
Eperdue de nuit,
Comment puis-je te quitter alors ?
Sur les versants fleuris du passé
La neige danse encore,
Jamais ne me quitte, Ô voix !
L’éternité parle de ma langueur,
Qu’as-tu fait de moi ?

Mouettes

L’usage de la dérobade,
Les clairsemés inévitables,
L’insouciance des fustigés,
Les serments de technocrates,
Les buveurs d’âpreté âpre,
Les considérations notables,
Des serveurs de la folie,
Quand le faux contient la lie.
Piètres attitudes irréversibles,
Quand à l’accueil du jour,
L’insoupçonnable défaite,
Des falaises en sucre insurmontable…
Nenni, que de fables et de mauvaise foi !
Bien sûr, il y a des coupables,
Mais qui est qui quand la lâcheté est de mise ?
Quand il n’a plus rien, l’homme s’invente des fables
Puis s’ensevelit de mots insoutenables
S’efforce de guérir sa blessure ineffable.
Quelle est donc la pluie
Qui efface ?
Sur la blanche coursive,
La mouette t’appelle,
Mais tu ne vois que tempête de sable,
Les vagues de tes vagues,
Homme indigne,
Déchu de tes nobles jours,
Aigri par tes lacunes !
Mouettes rieuses, venez !
Nos ailes infatigables
Nous n’avons avec le faux aucune excuse valable,
Vols émerveillés ont tranché dans le ciel affable
Et c’est ainsi que nous avons tout laissé.

公案, gōng’àn

Histoire de corbeaux

Deux vieilles femmes, sur un perron, bavardaient assidûment, comme aux jours de leur prime jeunesse, en médisant et en calomniant à qui mieux mieux. Deux corbeaux tournoyèrent au-dessus de leur tête. Elles lui lancèrent de durs propos comme on jette des pierres à tout mal venant : « – Oiseaux de malheur, allez-vous en ! » Alors les corbeaux leur répondirent en déchirant le ciel par des croassements lugubres. « – Femmes futiles, vos bavardages valent moins que nos croassements ! »