Amour

Il est des êtres voués à l’Amour, tout comme il est des êtres qui ne peuvent autrement vivre. L’Amour est une incandescence qui va au-delà de la chair, la comprenant, mais jaillissant depuis un centre dont le feu est perpétuellement actif. Sa foi repose sur la réalité de l’Amour et celle-ci a devancé toute chose, cessant même d’explorer les mots, pénétrant l’essence de toute chose, telles les particules qui dansent. Toutes les cellules le reconnaissent, immergées de sa radiance. Imaginez un corps phosphorescent de par cette seule réalité. Imaginez que les yeux, la parole, les gestes, l’odorat, le mental, que tout cela soit submergé par l’Amour. Celui-ci vous arrête, vous emplit, vous annihile, vous fait renaître et vous donne à vous-même depuis cette seule réalité. Qu’est-ce ? C’est bien au-delà d’une réponse.

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Mémoire

Il toucha la pointe :
Le cœur s’offrit,
La poésie n’existait pas,
Le cœur l’avait devancée,
Au son des timbales,
Les talons franchissent le fleuve de Léthé,
Et le corps,
Oui ce corps,
Exulte,
En rythme,
Car la mort devient vie.
Je l’ai vue,
Puis saisie,
Par deux fois,
Zahra !
La rose de tous les matins,
Plia les pas,
Nous devança,
Et les mots chantèrent,
Ce fut des mots exsudants sur un pont ancien,
Depuis la racine des cheveux,
Aux étoffes du rêve,
Les lunes et les étoiles,
Nos empreintes dans la nuit.
Ne dis rien !
Le corps parle et devient éclosion,
Le souvenir d’un entrelac.
Non ! Ne dis rien !
J’aime la pointe d’un mât,
J’aime, Ô Seigneur ! cette incandescence-là.
Non ! Ne parle pas !
La vue perle au soleil du silence,
Et j’aime, Ô Seigneur ! le flux des océans s’entremêlant,
Le flux des tambours soulevant d’autres flux.
Mais, ne dis rien, Ô mon âme !
Comme se révèle le cycle d’antan,
Le tremblement de tous les tremblements !
Le chant avait gagné les remous,
le chant avait percé,
Aux sphères élévatrices,
Le firmament en éclat,
Ecarta des pans et des pans lointains,
Et du cœur étreint,
Oh ! La mort parla,
Elle fit un juste récit,
Jour et nuit,
Zahra !
La mémoire d’un au-delà.

Nuit

La nuit arrive,
Qu’est-ce ?
Volupté et danse.

Il est arrivé ce temps imprécis où toute chose s’évanouit et ne demeure que l’instant précis et les cieux s’ouvrent et l’on ne connaît de l’heure que notre Union. Comment ? Y aurait-il un autre instant ? Je cours comme n’ayant jamais quitté ce lieu et en Lui, mon âme éprise, mon âme ne pouvant évoluer qu’en cet Amour, défait toutes chaînes et clôture toutes méprises.

L’archéologue

Au milieu des ruines, au milieu des pierres, il était un monde. Ensevelie, cette terre, ainsi que les vestiges du passé, et au sein même de ces fragments, quelqu’un vint. Il s’accroupit et à l’aide d’un minuscule et dérisoire pinceau, il épousseta la pierre. Il parlait à ces morceaux du passé, éclatés de mille refuges, de signes muets. Pourtant, il leur parlait, plongeant en leur écueil, en leurs mots oubliés. Il leur disait des tendresses ; il leur chantait. Elles se mettaient à ruisseler de fièvre, d’étranges souvenirs, d’images tremblantes et plaintives. Certaines se mettaient à scintiller et il les comparait aux rayons d’un lointain soleil, celui d’une autre galaxie. Il pouvait rester des heures ainsi, perdant la notion du temps, oubliant la faim et la soif. Quand il levait la tête, il s’étonnait presque d’exister. Les ruines lui parlaient, lui révélaient des secrets. Certains lui étaient intelligibles et d’autres s’avéraient être une indéniable et profonde énigme. Tout son corps palpitait, et son cœur s’unissait à ces mouvements incontrôlables. Il lui arrivait de voyager très loin au milieu de ces somptueux vestiges. Ce n’était plus de simples ruines, mais des mondes et des mondes insoupçonnés qui s’offraient ainsi. Parfois, la magie était telle, qu’il se retrouvait à des années lumière de là. Il rencontrait une multitude de personnages, la plupart inconnus. Pourtant, ceux-là lui confiaient des pans ignorés de l’histoire, des chaînons manquants dont la divulgation aurait provoqué, à coup sûr, de considérables séismes. Il aimait à les écouter et leurs propos le plongeaient dans une subtile et merveilleuse féerie. Il finissait par revenir. Il revenait toujours. Mais il n’était jamais le même. Chaque connaissance l’isolait un peu plus du monde entier. Chaque nouvelle était pour lui la plus grande des épreuves. Ce qu’il ressentait était au-delà des mots. Ce qu’il rencontrait était au-delà des possibilités d’accueil de ses contemporains. Alors, il repartait. Il repartait avec l’ivresse des fous. De ceux qui avaient trouvé le trésor, l’inépuisable source de vie.

Vieux conte de Noël

Des démons arpentaient la ville et marchaient par trois, serrés les uns contre les autres. Ils se demandaient s’ils étaient bien à leur place. Pourtant, ils continuaient obstinément de traverser les ruelles. Parfois, ils couraient dans tous les sens et se postaient devant, derrière, au-dessus, au-dessous et face aux gens. Ils s’estimaient très rusés, voire beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sautillaient, faisaient d’atroces grimaces, se vantaient à qui mieux mieux. Il leur arrivait de se quereller comme le font fréquemment les singes. Mais ce qui les occupait par-dessus tout, et cela de façon quotidienne, c’était leur moquerie à l’égard des hommes. Selon eux, démons qui savaient tout sur tout, il n’y avait pas plus idiots, plus simples d’esprits que ces misérables êtres. D’ailleurs, ces derniers trouvaient tout à redire. Ils établissaient entre eux des codes que l’on pouvait très vite discerner : n’étaient-ils pas l’incarnation de la hargne, de l’hostilité, de la rancœur, de la jalousie, du fiel, de l’amertume, des sempiternelles critiques, des rivalités puériles ? Le pire de leurs nombreux travers, et non des moindres, étaient, bien entendu, l’orgueil, le terrible orgueil. Celui qui aura pu assister à leurs interminables débats, aura tôt fait de constater qu’ils passent la majeur partie de leur temps à tout remettre en cause, à s’étaler sans vergogne et à user de leur pouvoir de manipulation afin de semer la confusion et le trouble. Comme ils étaient intelligents, jamais, oh grand jamais, ils ne s’abaisseraient à suivre les idiots, les simples d’esprit ! Ils avaient décidé de détruire ce qui demeurait de joyeux, de tendre, voire d’innocent chez les hommes, et tout cela, en imitant cela-même qu’ils condamnaient. Pourtant, l’on pouvait aisément percevoir leur propos acides, hélas, entremêlés de sucreries et de mielleries. Alors, il advint ce qu’il advint. Un jour, un enfant se tint face à eux et les regarda longtemps, sans sourciller. Puis, il éleva la main avec Amour vers le Ciel et prononça ces simples mots : Je ne serai jamais comme vous. Je ne vous suivrai pas. Je ne vous écouterai pas. Vous ne m’intéressez pas. Votre combat n’est pas le mien. Je vous le laisse. Aujourd’hui, plus que jamais, je resterai l’idiot. Cela me va bien.

La Dame des mondes

Chaque jour est un jour vivant. Chaque jour se marie au ciel. Chaque instant est un instant qui ouvre. Chaque battement du cœur est un souffle nouveau. L’esprit du Divin est un instant qui sème, et chaque grain est une lumière au monde. Chaque jour qui passe est un jour qui nous étreint et chaque jour qui nous étreint est une rencontre. Chaque feu qui s’allume est une cuisson ardente et chaque cuisson est une œuvre. Chaque instant qui s’égrène est une apnée et chaque apnée est une offrande. Chaque parole est un autre monde éclos et chaque éclosion est une grâce qui enchante. Chaque regard est une connaissance et chaque connaissance est un verbe qui éclaire. Chaque larme est une seconde transpercée d’éternel et chaque seconde est une invitation à la douceur d’un arrêt. Chaque allégorie est une image et chaque image est une phrase. Des voiles qui se soulèvent, des liens qui fusionnent. Chaque arrêt est un entre-les-mondes et chaque monde est une exhalaison enchanteresse. Chaque mouvement a son centre et chaque centre est une rose. Au milieu d’une étendue vierge, la rose est une Dame. Elle se penche sur les mondes et nous appelle au milieu de nos rêves, l’étendue de notre cœur.

©Béatrice d’Elché, Chaque jour est un jour vivant, Mon carnet2

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Peinture de Annael Anelia Pavlova :

Le monde

J’ouvris les yeux :
Le monde fut ;
Celui de la durée.

Qui es-tu qui fus avant mes yeux ? Mon cœur te trouva et s’y aventura. Tu étais inconnu et connu tout à la fois. J’entendis ce petit bruit au plus profond de moi. Nous dansâmes alors tout le long des jours et des nuits. Nous nous retrouvâmes et dimes : « Est-ce bien toi ? » Le monde fut, celui de l’autre monde, aussi.

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Peinture de Anelia Pavlova

Correspondances LIV

Très cher ami,

Nous n’avons pas peur de la mort, ni n’avons peur de ne rien posséder, car, nous ne possédons rien. Pas même notre voix, ni nos mots, ni nos gestes. Ils sont la manifestation de notre corps; ils sont la révélation de notre âme. Quelle joie de ne rien posséder et d’être cet instant, fugace qui nous mène au repos. Nous ne sommes ni nos pensées, ni nos possessions, ni notre nom, ni même nos messages, encore moins nos projections. Nous avons du « geste », l’ébauche. Nous sommes ce corps balbutiant ; nous sommes l’être de passage et nous nous apercevons de ce « geste », regard témoin de notre force, regard témoin d’une merveille. D’où vient celle-ci ? Où s’en va-t-elle ? Quel prodige d’aller au-delà ! Quelle merveille d’être touché par la merveille, ce prégnant regard ! Nous sommes semblables à cet enfant qui voit tout pour la première fois. Notre cœur vibre et cogne, puis nous nous penchons sur l’instant qui fait sa loi. Il nous retient de la main ; il nous bouscule et se rit de nous. Mais, comme je l’aime ce temps qui passe et comme je l’aime ce temps qui ne passe plus, qui s’engouffre au-delà du présent, au-delà de tous les temps. Je l’aime, à tel point, lui qui glisse entre nos doigts, je l’aime pour en faire un être à part entière et rire avec lui, à n’en plus finir. Il est une féerie. Il est une beauté. Moins l’on pense posséder, plus l’on se défait de l’illusion et plus nous nous trouvons face à l’absoluité. Celle-ci nous enseigne et nous parle et nous tient et nous fait rire et nous fait pleurer. Extraction des formes : nous entrons dans la pleine vérité. Et je lisais cette belle phrase, issue d’une âme éclose au ciel de l’éthéré* : l’âme peut parler de vérité si elle s’est laissée éroder par la vérité. Or, la pierre abrasive de notre cœur soulève des milliers de poussières, et chacune d’entre elles est une lettre de l’univers. Rien n’est vain. Celui qui comprend cette poussière est entré dans le secret de la matière et de l’essence. Il danse. Il applaudit. Il se réjouit et pourtant, rien ne lui appartient. Il n’est pas de plus profond appel que celui de renoncer à tous les autres appels. Entre-les-deux, l’union. Celui qui découvre le secret de la matière, de la terre et du ciel, est arrivé dans le pays que l’on ne nommera pas. Il se nomme, seul. Il nous atteint au plus incroyable phénomène de la préexistence. Il s’enveloppe de connaissance et révèle d’autres mondes, simultanément. En le plus crucial de l’instant, l’apnée, l’on bascule et l’on découvre d’autres perceptions. Il s’agit du véritable monde, du Réel. Le monde des royaumes éthérés. Le royaume de la parole vibrante et révélatrice. Je ne puis me figer dans les formes, car l’esprit souffle sur toutes choses, tel qu’Il le veut. Simplement. Et cet esprit est précisément l’infinie création, l’éternelle création. Tels des yeux de chat, la vie s’offre aux regards aimants, aux regards d’Amour, au sein même des plus terrifiantes ténèbres. Telle est la Lumière.

Votre B.

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*Allusion à un propos de Kabîr, dans son recueil intitulé : La Flûte de l’Infini, publié aux éditions Gallimard

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Painting of Gilbert Williams

Magie

Parler des choses,
Puis, se laisser dire,
Comme se laisse jaillir la nuit,
Aux couleurs ocres,
La chaleur du puits,
Laisser énoncer le souffle,
Au retour d’une vague,
Puis, de nouveau être jailli,
Par les effluves,
Comme soudain il se dit,
Les hivers d’une table,
Le long d’une fine pluie,
Se laisser porter,
Par la magie,
Les étoiles au fusain de vie.
Respire ! Inspire !
Encore !
Le flux d’une bougie,
Puis, la flamme,
Mon âme,
Laisse-la dire.
L’accroche à la lune,
Pâleurs du jour,
Lumière de nuit.
Respire, une fois,
Puis encore,
L’hiver, revers,
Et posé,
Là,
L’instant d’une prière,
Souvenir délicat.
La main tresse cette orfèvrerie-là,
Tréfonds de nos limbes,
Et scintillement de joie,
L’émotion d’une voix,
Silence évanoui,
L’étreinte d’un regard.
La richesse cousue de haillons,
Les pieds-nus d’une robe marron,
Couleur d’une terre profonde.
Respire ! Inspire !
Encore,
Laisse glisser cette larme,
Cueillir les mots d’Amour,
Percée du jardin,
Le secret de ton âme,
Et respire, mon corps,
Respire !
Ton âme s’étend jusqu’au vent des plaines,
Nos cieux imprenables,
Puis, aime, mon âme,
Aime aux quatre coins du monde,
Aime ! Plus que la mort. Aime encore !

Les yeux du chat

Ce doux moment,
Exalté telle une goutte,
Le ruisseau rejoint l’océan.

Je n’imaginais rien, tout se concevait, tout chantait et les yeux apparurent dans la nuit. Était-ce le chat d’un rêve ? Était-ce l’abondance d’un regard intérieur. Les pas menus sur la terre, léger, et le velours s’émerveille.

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Aquarelle de Maryse De May.