Amour

Toi

Couronne

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Peinture de Frithjof Schuon

Je marchais

Je marchais sur une allée,
L’automne brulait les feuilles,
Les arbres s’étaient enflammés,
L’air inconnu,
Les bras du cœur,
S’enfiévraient de douceur.
Je marchais et l’écoutais,
Ni d’ici, ni d’ailleurs,
Plus loin encore.

Je penchais la tête et mon voile se soulevait,
L’étrange et surprenant regard,
Tu me dis : les mots ont cherché, ont cherché.
Je levais l’océan des yeux,
Soulevé, soulevé,
Il n’était ni temps ni lieu,
Suspendu, Tu donnas au geste son élan.
J’entendis le frou frou des anciens mondes se plier se plier.
Je me penchais sur l’onde,
Et vis le lointain rivage,
La danse, les clameurs, le vent sauvage,
Les splendeurs de Ta Main ouverte.
Que ne m’as-Tu faite vague,
Aube de ton Eternité,
Epanchée de suaves complicités.
Le chant résonne,
Du cœur éventré,
Ma destinée, ma destinée !
Je marchais seule sur une allée,
Le voile échevelé,
Le cœur ardent,
L’Amour rayonnant,
Comme un filet lancé,
Au Soleil des nuits écorchées,
Et le sang des rubis étincelants,
Nourrit la terre des esseulés.
Mais je T’ai retrouvé,
Retrouvé, retrouvé.

Vibrant vibrant

Comment s’est élevée la montagne,
Lors que l’extase subjugua son élan ?
Comment s’est soulevé son regard transi,
A l’aube, quand la Voix clama Sa Louange ?
Mais comment donc son corps
De limon devint ce chant fervent ?
Elle résonne puissante Elévation,
Et ardente par les lettres qui dansent,
Trace le chemin de la Vision.
Comment s’est donc effacée la montagne,
Sous le ruisseau effervescent de l’Amant ?
Le vibrant vibrant,
Je restai sans voix longtemps.
Ton Nom, affleurant le jour montant,
Puis, je regardais le firmament,
Combien de jours a soupiré la montagne,
Combien de jours ont frémi par le Ciel,
Tandis que les larmes écorchent les voiles ?
Voici voici l’âme fidèle qui court,
S’inclinant, se prosternant.
Voici voici le Roi sur un char d’argent,
Serti de pierres précieuses,
De miroirs étincelants,
Fluviaux diamants.
Dis-moi, combien de fois la montagne,
Aspire à Te rejoindre et saisir Ta Présence ?
L’âme s’écartèle par Ton Verbe immanent,
Et d’Amour s’offre au bruissement.
Comment le cœur se soulève,
Des mots de la Transcendance,
Dis-moi comment la lumière transperce,
L’opacité des ténèbres ?
Dis-moi, vibrant vibrant,
Comment la montagne s’est ouverte ?
Floraison résonant résonant,
Par l’Amour et se révèle,
Lors que l’instant s’étend,
Par l’effusif feu rayonnant ?
Qui es-Tu pour faire de cette Terre,
L’éventrement de Ton Chant,
Alors que Ton Royaume est Splendeur,
De Ton Eternellement.

Ishq*

Du cristallin dont l’azur bleuté,
Trempe au regard de Ta Majesté,
Suspendu à l’iris,
Fit de moi Ta troublée,
Et au vent d’une prunelle,
Scrute la pupille,
S’abreuvant de Ishq*,
Au confluent d’une eau douce,
La cornée d’une source,
Se noyant par Ton océan,
Ô mouvement !
Puis encore mouvement !
Onde sublimée,
Incessante !
D’une oscillation,
En Oscillation,
Ondée de pluie,
Ondée de vent,
Mots subsumés à l’articulation,
A l’Arboré d’une veine,
Jugule la transparence,
Le cœur,
Ô mon cœur !

Sache que je trouve un mot et l’avale, puis une perle et la prends. Je marche dans un royaume qui entraîne le mouvement et, de silence en silence, de temple en temple, de sanctuaire en sanctuaire, Ishq fait de moi ce qu’Il veut. Je t’appelle, Il m’appelle. Ne dites rien ! Je ne volerai pas une seule virgule, ni le moindre souffle, ni n’investirai l’indécente usurpation. Je suis Ta fidèle et goûte au nectar d’une Vision.

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*Ishq : désigne l’Amour Absolu et infini, l’Agape compassionnel.

La Table

Prends ce pain gris,
Incirconscrit,
Puis prends ce pain noir,
A la tablée des partages,
Quand le pain d’orge se gorge,
De nos mains et de notre puits,
Vois ! ce pain blanc avive nos mots,
D’un éternel retour,
Lors que l’alpha rencontre son frère de nouveau,
Prends le pain des souffrances,
Le pain des blés dorés au soleil,
En ce four inépuisé,
Que vêt en silence,
La cuisson des grains.
Prends, mon ami, prends,
Le pain rouge de l’Amour,
Le pain des oriflammes,
Celui des affamés,
Prends ce bruissement,
Imperceptible de l’âme,
Pain d’une Aube,
Suée de notre constance,
Quand craquelle le jour,
Prends ce pain béni,
Ecoulées à l’écume de nos heures,
Vois comme la table s’est enrichie de saveurs.
Prends le pain incontournable,
Celui de nos ruisseaux,
Lors que la fève chante,
Le coq au loin s’étonne,
Le pain des sonnaillers,
Et par ses yeux fervents,
Vois, l’unité d’un orfèvre,
Et Tes Mains, et Tes Mains,
Ont pétri sans cesser,
Le corps des assoiffés,
L’or des oripeaux,
L’Anqa à la cime d’une couronne étoilée.

Tes yeux sont nés

L’Amour a devancé toute chose,
Je m’y baigne,
Ô Amour !
De Ton Royaume,
Comment puis-je échapper,
Ma raison se taisant,
Ton implacable saisissement ?
Ô Toi, submergeant l’heure,
Soleil !
Comment Revenir ?
Comment échapper à Ton instant ?
Je cherche les mots qui s’alignent,
Croisant au silence,
L’étourdissante révélation,
Et l’éloquence de l’eau jaillit,
Je ris, et je pleure,
Ta Beauté m’étreignant,
Ô douces rosées du Jardin,
Comme jamais je ne me lasse,
De chercher l’Aurore,
Pieds nus sur les nues,
Me suspendre à Ton Excellence,
Sublimation du Jour,
Les pas légers,
Titubants.
Ô cogne donc,
Mon cœur !
Tes yeux sont nés.

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Peinture de Frank Bernard Dicksee (1853-1928)

En ce Jardin

Je T’ai aimé au couchant,
Au regard de Ton Ivre tremblant,
Tout comme je T’ai aimé au Levant,
Formant l’Arc de nos regards aimants,
Et je n’ai pas su autrement Te voir,
Lors que Ton regard était d’Orient,
Et que mon âme était d’Occident,
Mais je n’ai pas su me détacher de Toi,
Tes yeux prégnant d’hiver,
Mes yeux s’ouvrant au printemps,
La larme d’un été brûlant,
Nos cœurs se cherchant,
Non ! Je n’ai pas su T’aimer autrement,
Dans la Folie du Couchant,
L’Amour d’un Levant,
Baignant tous deux et voguant,
A la lisière de deux océans,
Notre esprit dansant,
Non ! Je n’ai pas su fermer nos yeux,
Toi d’Orient et moi d’Occident,
Parce que nous avons joints nos mains,
Et la joie de notre Union,
La joie des Cieux,
Plus grande que les Amants,
Dépossédés de leurs gestes,
Plus forte que les saisons,
Ces cycles et ces instants,
Parce que je T’aime d’Orient et d’Occident,
Brassant les mers au jeu de notre présent,
Et je T’aime entre les deux,
Ni d’Orient
Ni d’Occident
En ce Jardin.

Des mondes et des mondes

Des mondes et des mondes,
L’élégie ! Ah !
Quant au sortir d’ici,
Cela est arrivé,
Et je puis le dire,
L’aube éclot,
Depuis une nuit.
J’ai laissé le cœur,
Devenir celui qui reçoit,
Lors que la pureté d’un éclat jaillit,
L’âme s’élève,
Et l’esprit aussi.
Alors ne dis rien,
Toi que je rencontre,
Quelque chose de l’autre monde,
Celui que tu ne connais pas,
Le monde qui s’unifie,
Sans disgrâce ni parodie,
Reste en silence,
Et n’emploie pas les mots,
Ne les emploie qu’en l’harmonie,
Mon accord !
J’ai ri,
De ne jamais m’attarder,
Aux flatteries ni aux compromis,
Et mon cœur suit les pas des Anciens,
Lors qu’Ils magnifient le chemin,
De leur sagesse,
La rosée du jour nouveau,
La pureté d’une intention,
Cisèle chaque instant,
Des mondes et des mondes,
Te voilà !
Je t’ai reconnu,
Dans les brumes,
Ton exaltation,
L’amour des sens,
Le cœur transi,
Brûlant dans les affres et l’agonie,
Consume tous les mots,
Puis regarde !
Quelque chose est là.

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Peinture de Ellen Day Hale (1855–1940)