Les toits de la ville

Bientôt, j’apercevrai les toits de la ville,
L’esprit frôlant les longs peupliers de brume.
L’azur se campera des vergers vaporeux,
Puis s’étagera des douceurs d’une plume.
Quand aux vitres du matin triomphant,
Nous tournions autour du feu des ramures,
Et quelques pigeons faisaient rempart bien souvent,
Au jour impétueux que peuple mon écriture ;
Quelques épanchements de douleurs,
Fatalement délivré du cri de l’anathème,
Puisant la force dans l’étang de notre cœur,
Poursuivant l’éloge et l’emblème.
La haine ne nourrit aucunement l’amour.
Le pied léger, j’avance dans le creux d’un labour.
Ici ont mûri les grappes de notre séjour.
Je vais sans perdre une seule seconde,
La montagne enfante et féconde et le soleil
M’étreint ; je crains les vagues montures,
Océan de lumière, et c’est au jour qui pointe vermeil
Que soupire au trépas vainqueur, notre douleur,
La nuit chargée de sommeil et puis de veille.

Vin noir

L’azur baigne en ton regard,
Il ne s’est point couché.
J’ai veillé, puis j’ai marché,
Nourrie des espaces d’un vin noir,
Les étoiles, les ai toutes avalées.
Dans les mers pacifiées,
Quand au vert de ton espoir
Les pas de ton silence
M’ont tenue éveillée.
Vivant de ta présence,
Buvant à ton absence,
A l’olivier et la vive amarante,
J’ai épousé les lueurs d’un figuier,
Le tilleul qui m’enchante,
Le pin et le majestueux châtaignier.
Dans le jardin de l’Olympe,
Coulent de fraîchissants ruisseaux.
Ton âme a embrassé notre union
Sur les rives d’un fleuve glorieux,
Au-dessus d’un éclair légendaire
Le souffle aigu d’un épervier qui monte
Rougeur limpide du soir,
Tout le vaste écho d’un monde.

Légèreté

Le chant de la bruyère
Jusque dans l’enclos ivre
De mousses et d’oronges
Au pépiement d’une clairière
S’envolent les oiseaux,
La fauvette et la mésange,
Éclaboussant les ruisseaux
Léger à la tremblante rive.
C’est un été, c’est un hiver,
C’est la joie de la terre.
L’âme a ses épaules et puis sa chair
Dans les blés de nos branches,
A la pulpe du matin,
Savamment, guérit du froid,
Le vent de tes joues,
Hébétude du vieux hibou,
C’est dans les prunelles,
Cueillies au regard fusain,
Surprenant la robe miel,
D’une biche farouche et de certains daims.
Ils vont vers la terre en friche,
Retrouver le blé du ciel,
Le serment et le grain.

Le marché Brassens

Dans certains quartiers de la capitale, le malheur erre indéfiniment, et les entrailles fourbes de la ville s’accommodent, sans qu’aucun discernement puisse se faire, de toutes les infamies et les vilenies du siècle. Parcourant ce Paris, dans les poussières nerveuses du mouvement incessant, la misère m’a côtoyée. Je l’ai vue, comme on voit la beauté et la hideur. A l’époque, j’étais étudiante à la Sorbonne, inscrite au département des Lettres classiques, avec une mention particulière, celle de Littérature générale et comparée. Je suivais également assidûment les cours libres d’un pédagogue* qui avait étudié la gestion mentale, en avait fait son principal objet d’étude, objet d’étude qui avait été également le seul engagement de sa vie durant. Il avait observé les phénomènes de la gestion mentale, celle de l’acquisition des connaissances, celle aussi de la transmission des savoirs ainsi que de la mémoire humaine, et il avait, de fait, établi une didactique de l’enseignement. Plus tard, je pus mettre en pratique cette méthodologie novatrice avec grands succès, je le reconnais volontiers, car il s’agissait d’un enseignement qui n’éludait aucun des aspects psychiques, sociaux, et même spirituels des élèves. Quand je sortais de mon séminaire de Lettres, je descendais lentement les escaliers en bois qui grinçaient irrésistiblement sous nos pas, et je m’arrêtais au premier étage, m’enrichissant des quelques bribes du cours magistral de théologie. Puis, je poursuivais ma descente jusqu’au grand hall. J’aimais traverser Paris à pieds. J’habitais dans le quatorzième arrondissement, dans un de ces immeubles en briques rouges. Non loin de Porte de Vanves se tenait le rendez-vous incontournable, celui qui nous invite presque à notre insu, à la quête, celle qui semble être, aux premiers abords, sans but défini. Le marché aux livres anciens est à lui seul les prémices d’un voyage, celui que l’on espère secrètement, celui qui nous poursuit longtemps, celui qui nous bouscule incontestablement, jusqu’au plus profond des racines de nos convictions les plus intimes. Y avait-il autre endroit plus opportun et plus symbolique que le marché Brassens pour faire la connaissance d’Emily Kaitlyn ?

*Antoine Payen de La Garanderie

La paix, à quel prix ?

Les hommes ont toujours tué d’autres hommes, pour une raison ou pour une autre. Il me semble qu’il n’y a aucune raison pour tuer son semblable. Aucune cause n’est assez bonne pour justifier cela. Je me suis penchée sur la question depuis mon adolescence. J’ai lu tant d’ouvrages d’idéologies différentes qui ne m’ont jamais donné envie de me battre. Le seul combat est en soi. Tous ceux qui n’ont pas mené ce combat sont de potentiels tueurs. J’ai fréquenté beaucoup de gens et dès que j’ai senti la couardise, la méchanceté, les langues de vipère, j’ai marché de l’autre côté, sans regret.

Béatrice le 24/02/2020

La ville était silencieuse

Du ciel pastel,
Je garde auprès de toi,
Le rouge vif,
Quelques boutons à peine éclos,
Myosotis et pétales d’or,
Mes pas lentement,
Je vous ai vus passer.
Les yeux se sont accrochés,
Aux couleurs délavées.
La ville était silencieuse ;
Quelques adolescents,
Sur les bancs.
Je marcherai,
Longeant le ruisseau.

Retour

Quelques bourgeons attrapés
Dans le murmure crépusculaire,
Quel était donc le chant des murailles,
Que signifiait le langage nébulaire,
Si de mélancolie mon souffle suspendu,
Au rossignol, les roses épandues,
Mon cœur s’était-il alangui ?
Ou bien était-ce l’aveu de nos mots consentis ?
Je suis rentrée dans le songe d’une gare,
Puis perdue, le chemin devint rose sauvage.
Perché très haut, il parla longtemps,
Et sa silhouette devint mon chant éperdu.

Quand rien ne vous prépare

Comment rencontre-t-on Emily Kaitlyn ? Est-il possible de faire mention quelque part d’une telle rencontre sans faillir à l’exactitude même de cette rencontre ? Et lorsque le fait se produit, rencontrons-nous véritablement la même personne ? Il ne me vient nullement à l’esprit l’idée de figer une quelconque représentation concernant la moindre personne, mais je ne vois pas comment échapper à la singularité de ce qui se propose à nous. Durant de nombreuses années, nous côtoyons des gens avec pour chacun un rapport privilégié. Longtemps, j’allais volontiers rendre visite à notre logeuse. Son petit appartement suscitait chez moi une grande curiosité. J’aimais quand elle m’invitait à entrer dans sa cuisine qui lui servait aussi de salon. Tout respirait le rangement, la propreté, la rigueur. Il s’agissait d’une femme pour le moins sévère et beaucoup de locataires la craignaient. Quand elle finissait de laver le sol carrelé de l’immeuble, il ne fallait surtout pas oser poser les pieds dessus tant que ce n’était pas sec. Elle vous regardait de derrière ses petites lunettes avec un regard si réprobateur que la fois suivante, vous saviez à quoi vous en tenir. Chaque personne est un monde ambulant, mais chacun d’entre nous n’entrons pas en relation avec l’autre de la même façon. En ce qui concernait notre logeuse, Madame Adriana, la plupart la voyait et la percevait comme une vieille femme aigrie et revêche. Tel n’était nullement mon opinion. Je prenais le temps de passer la voir et lui faisais volontiers quelques courses quand elle en exprimait le besoin. Cette femme ne semblait pas plus aigrie que d’autres, ni même dépourvue de cœur. Elle avait récemment perdu son époux qui avait, d’après elle, un peu trop côtoyé la bouteille. Je l’avais certes connu et croisé de nombreuses fois. L’odeur de son haleine était assez marquée. Mais il s’agissait d’un brave petit homme moustachu, qui ne s’était assurément pas contenté de la bouteille pour simple compagnie. Chaque être est une couleur et une odeur. Chacun mérite d’être vu dès lors qu’il se donne à être vu. Sans doute, n’étais-je pas vraiment préparée à rencontrer Emily Kaitlyn. Malgré mon penchant naturel à être attentive à chaque détail de la vie, en dépit du fait que je m’intéressais, mais de loin, à tout ce qui touchait les religions et l’ésotérisme, non, vraiment rien ne me préparait à rencontrer cette dame.

Emily Kaitlyn

Il y a très longtemps, je connus une dame, qui déjà depuis son plus jeune âge, bousculait sans cesse le monde des lettres, celui des mots, des phrases, des dialogues et même celui des soupirs. Elle développait cet art, presque à son insu. En toute bonne foi, je pense que je n’ai jamais rencontré de femme semblable à elle, ni même qui pût lui être comparée. Quand je la voyais venir, alors que je me promenais dans la ville, je me sentais souvent à devoir la fuir en tournant subrepticement dans une rue avoisinante, afin d’éviter ses interminables conversations. Pourtant, tout ce que cette brave dame disait n’était pas sans intérêt. Il fallait juste être en ces dispositions particulières, que l’on a en soi, pour accueillir ses propos. Je l’invitais alors à prendre un thé à la maison. A cet effet, je prenais soin d’avoir toujours en réserve quelques sablés, petits fours et galettes de maïs qu’elle affectionnait tout particulièrement. Son thé préféré était un thé vert parfumé à la bergamote, peu courant au demeurant, ce qui m’obligeait à aller très loin pour en trouver. Une fois que notre chère Emily Kaitlyn frappait à la porte, et qu’elle se fut installée dans le salon, nous étions parties pour un après-midi entier de confidences métaphysiques et d’échanges sur nos lectures d’ouvrages ésotériques. Elle avait étudié en long et en large toutes ces étranges histoires pour le moins insolites, avec une prédilection, ce me semblait, pour l’égyptologie. Je l’écoutais avec une grande attention. Outre ces centres d’intérêts très marqués, Emily Kaitlyn était passée maître dans l’art de la psychologie humaine. En quelque sorte, cette dame évoluait à mi-chemin entre le personnage d’Indiana Jones et celui de Sherlock Holmes.