Traversée

Chers amis,

Une traversée remuante sur toutes les strates diverses du corps et de la conscience. Cette belle traversée, si éprouvante qu’elle soit, nous donne à prendre encore un grand recul sur toute chose. Je suis ici, et je n’y suis pas. J’y suis toujours. Au-delà des flots, l’eau demeure intacte et fidèle à elle-même. Peut-être serai-je de retour, peut-être non… Je vous souhaite de tout cœur, une belle traversée, aussi.

A bientôt…

Béatrice

Miroir 鏡子

La beauté exhala un son et fit de moi un tourment et depuis, je poursuis chaque cri, comme le plus pur des serments.

Il s’affaissa sur un sol poussiéreux et ne voulut plus se relever, attendant que tu vins le chercher. Alors Beauté devint son obsession, et la voix le tint prisonnier, quand son cœur fut écartelé et que des fleuves s’échappèrent sans qu’aucun de leurs jaillissements ne soit altéré, il se troubla et entendit Beauté lui parler. Cela frappait si fort qu’il lui lança : Pitié ! Il regarda de tous les côtés, et les ténèbres envahirent l’espace, mais ce fut un flot de lumière inconnue qui le rattrapa. Il osa l’hérésie la plus sacrée qui soit : il but le vin des fous. Il devint mille fois ivre à en perdre la raison. Il piétina celle-ci autant de fois qu’il le put. Puis, de nouveau, il but le vin du royaume des anges tandis qu’il se jetait à leurs pieds immenses, les suppliant de voir son état misérable. Mais l’ange reçoit les ordres et ne fait rien sans sagesse innée. Etrangement, leur froide rectitude chauffait son cœur et il finit par comprendre leur secret. Pourtant, sa poitrine recevait le pieu des condamnés. Il en avait les mains ensanglantées. Il était allongé et pleurait. Comment, toi, tu pleures ? interrogea le Miroir. Il se noya dans les larmes du monde des esseulés. Rien n’y fit, car Beauté avait l’apparence de la cruauté. Elle le serra si fort qu’il croyait être pulvérisé. Est-ce que tout allait imploser ? L’infini n’était pas assez grand pour sa douleur. Quand Beauté se fit insistante, il finit par tout abandonner. Son corps, son âme, son cœur. Alors Beauté lui appris à voir au-delà.

Pureté

Comment expliquer le fait de n’avoir jamais eu vraiment de combativité pour ce monde ? Comment même expliquer qu’au lieu que cela soit un handicap, il s’agisse plutôt d’une profonde joie ? Tout laisser à celui qui veut s’en emparer. Quelle explosion de rire ! Puis, marcher de cette marche un peu déséquilibrée, en dehors de toutes luttes. Marcher avec l’assurance des boiteux. Une assurance liée au total détachement.

Il me souvient d’un cycle où tout allait si vite. L’on devait se dépêcher. Mais l’on ne savait plus pourquoi. Il fallait courir comme les fous insensés. L’on était rattrapé par une vague hystérique. Les pensées à toute allure, les gestes marqués par de fausses efficacités. Les paroles moulées fraîchement dans les hachures de la précipitation. J’observais cet empressement, cette dévoration de cupidité et d’avidité. Alors, je fuyais sur le sentier de la solitude, avec, par moment, mon carnet à dessin sous le bras. Je trouvais toujours un écrin de verdure, une prairie parsemée de fleurs estivales, un petit oiseau à écouter, un papillon à suivre. Je dessinais, bien maladroitement, dans la brise légère, les marguerites et les tournesols. Je crayonnais les herbes folles. En bas, le ruisseau me rattrapait. Les clapotis devenaient surnaturels dans le silence des montagnes. Je bronchais très peu devant les hostilités des uns et des autres. Un pas en amène un autre, me disais-je. Le souffle divin vous tire vers le parfait silence des retrouvailles. Parfois, ce silence naît de toutes nos déchirures, de nos revers de mains, balayant tout sur notre passage. Parfois encore, ce silence naît de tous nos heurts face aux murs des impostures. L’on marche. L’on se tait. Le sans-verbe (le sans-verve ?) est reposant. L’on rencontre alors l’espace. La pureté ineffable.

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Peinture de Anna Billing (1849–1927)

L’arbre

L’arbre parle,
Sous une voûte enlacée.
Un autre l’écoute.

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L’intensité du moment arbre est époustouflant. Combien de fois son regard m’émeut. Je retiens mon souffle. J’entre en son apnée. L’arbre a un cœur, une longue histoire. Il devient humain. Que dis-je ! Il ne le devient pas : il l’est.

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Peinture de Tomás Sánchez Requeiro

Secret

Je t’ai caché, mon secret,
Je t’ai voilé,
Comme le firmament,
Je t’ai enveloppé,
Dans l’étoffe de mon cœur,
L’intimité de mon silence,
Je t’ai porté, mon secret,
Je t’ai bercé,
Comme l’océan d’un fleuve,
J’ai caché le sillon,
Il était efflorescence ;
Alors, je t’ai soutenu, mon secret,
Je t’ai ceint,
Comme l’étreinte,
Si profonde,
Puis, je me suis tue,
Courbée dans le sanglot,
Submergée par ta réalité,
Je t’ai retenu, mon secret,
Avec mes deux mains,
Je t’ai plié dans les souvenirs
Puis, tu as surgi, mon secret,
J’ai fini par gémir,
Et fini par te le dire
Comme le souffle de notre intimité,
Sur l’autre rive,
Puis, tu m’as cachée, Ô secret,
Enveloppée dans la grandeur,
La tendresse de ta constance
Alors, je me suis échappée, mon secret
J’ai fini par partir,
Quand tu m’as tenue, mon secret
Dans la nuit,
Et mon âme t’a reconnu.

La Voix

La Voix est montée loin.
Sais-tu ? Elle est allée encore plus loin.
A peine disparue,
Voyageant jusqu’à ce que je La retrouve.
Elle s’est tournée vers moi, avec étonnement,
Ai-je souri, ai-je pleuré ?
Elle avait le visage éthéré,
J’ai fais un geste,
A-t-Elle souri ? A-t-Elle pleuré ?
Peut-on aller plus loin ?
Chaque goutte de pluie,
Sur une terre,
Saisie par la gravité,
M’a-t-elle rappelé l’Ether ?
La Voix a pénétré mon cœur,
Puis l’a emporté.
La Voix est devenue Lumière,
A-t-Elle chanté ?
Les mains sont devenues un livre,
Chaque paume comme une interrogation,
La douceur d’un appel.
Sous la terre,
Le corps évanoui,
Tapissé des feuilles du retour,
Flottant au-dessus de tout,
Je l’ai saisi avec mon cœur ;
Il me livra le secret.
Ai-je pleuré ? Me suis-je mise à rire ?
Tu as aimé l’Amour.
J’ai acquiescé sans réserve.
C’était si vrai, si vrai…

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Peinture de Reneal