Cuisson

Lors que le soleil se mit à parler,
J’entendis au loin les clameurs de l’aube ;
La lumière dansait dans la majesté.
Les larmes hébétées, le cœur sursaute.

La terre brune s’offrit sans fioriture,
Le soleil continuait son noble chant,
Et l’âme, malgré les grandes écorchures,
Souriait au vent, chantait en marchant.

Tu fis de moi un arbre, plaintive danse,
Un cœur à l’agonie, le triomphe incessant,
Les tourments devenus notre confidence,

Le goût d’un fruit mûri, la rose des champs ;
L’éclosion de mille cascades bourdonnantes :
L’Amour cuit et les veines sont bouillonnantes.

 

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Peinture de Robert Burnes

Rêve d’un discours

Je fis ce rêve inégal, et tu me visitas.
Le bleu d’une étoffe flottait sur nos deux têtes ;
Tu vins en parlant longtemps ; cela m’étonna.
Es-tu à formuler au coucher cette requête ?

Je t’écoute et je me dis que ton cœur t’échappe.
Mais l’air bleu qui plane est chargé de ton discours.
Les âmes… mystère que la raison inadéquate
Ne peut percer sans briser son âpre parcourt.

J’ai marché sur un chemin semé d’embûches.
Quelle grâce d’avoir pu sortir de l’obscure nuit !
Ce long tunnel de vie, le grand préambule,

Mène, à n’en pas douter, au soleil de minuit,
Là où les terres touchent l’infinité du ciel.
C’est là que nos âmes émues se nourrissent de miel.

 


Peinture de Frank Street (1893 – 1944)

Sanglier

Une bête étrange vivait dans la forêt ;
Par ses yeux intenses, je fis un long rêve,
Cousu de sombres arbres, d’herbes et de fourrés.
Cette bête, qui marchait la nuit sans trêve,

M’apparut dans une vaste clairière enchantée ;
Je m’émus de son regard et fus éprise.
Que me voulait-elle, lors que j’étais hébétée ?
Je n’osais respirer, touchée par sa robe grise.

Voici que la lumière fut comme un pont entre nous ;
Son œil, tel un faisceau, dont j’étais sous l’emprise,
Me fit le récit d’une aventure pleine de remous.

J’éprouvai pour la bête un émoi, et sans méprise,
L’énorme sanglier, d’une noblesse incontestée,
Disparut lentement, scellant notre amitié.

 

Songe d’Apollon

L’éphèbe, en proie à la fougue, ferveur d’Apollon,
Se dénuda au crépuscule des joncs, son heure,
L’extase d’une submersion, et sans craindre Aquilon,
Frémit dans les eaux, les cheveux plein de fleurs.

Il clame sa force vive puis rugit tel un lion,
Et ce qui semble rauque est le soupir d’une caverne,
Virile et sauvage sur les ailes bleues d’un papillon :
Que ne fus-je le compagnon d’une mythique Athène,

L’étreignant telle une Amante et sans relâche,
L’aimer du pur Amour, et de voir en elle une sœur,
Entendre ses confidences et boire au doux breuvage

De sa parole pour enfin connaître le vrai bonheur,
Puis tenir, sans desserrer, son corps et son âme,
Et lui déclarer : Tu es mon égale, Ô Femme !

 

Paroxysmique paradoxe

Dédié à l’Ami, dédié à tous ceux qui sont cet Ami, car l’Ami a tous les visages des Amis, femmes ou hommes, nous sommes ces Amis mutuels.

Inébranlable forfaiture, mais Ô pur Amour !
A la seconde des ramures qui viennent de naître,
N’ai-je pas consenti à ne plus autrement être
Qu’en la transparente déclinaison d’un noble jour ?

Indéfectible outrance, Ô nitescent séjour !
Dans la clarté de nos gestes et complice Maître,
Nous vivons pour Te magnifier et Te connaître,
Et je gage qu’avant longtemps, arrive Ton tour.

Il n’est point d’instants justes qui ne se lamentent ;
Il n’est plus de remous, ni de larmes violentes,
Car au-dessus, bien au-dessus, se balance un fanal,

Et c’est par lui que les justes suivent le Guide,
Car, quand pleurent les femmes, malheur au vide !
Quelque part, à l’horizon, sombre déjà le mal.

Peinture de John Maler Collier (1850-1934)