Correspondances VIII

Cher,

Parfois, il nous semble avoir vécu un monde parallèle, sans discontinuité et chaque fois que je reviens à cette perception de vous, je sais qu’elle est d’abord et avant tout ce quelque chose qui se livre en moi. J’aimerais à peine toucher du bout des doigts, du bout des mots, du bout de ces effleurement insondables, cette marche, cette marche en vous, en moi ? La beauté s’accroche à chaque parcelle de terre, et je retiens, je retiens, je retiens ce qui m’échappe déjà mais qui me revient. Pourquoi cela revient-il ? Qu’est-ce donc ce souvenir en ces cellules micro-cellulaires en infinité qui jouissent de leur propre autonomie ? Est-ce votre parfum qui me hante, ou bien le parfum de nous ? Qu’est-ce donc que cette réalité qui ne souffre aucune trahison ? Hier, je me suis retrouvée en une petite assemblée, et les mots s’emparaient de mon corps, de la salle, des regards, des corps, des esprits, de l’amour, l’amour au centre, définitivement au centre. Je me suis vue envolée, tournoyer au-dessus de l’assemblée. La poésie parlait. La poésie tremblait. La poésie vivait. Une personne me demanda : d’où tenez-vous votre inspiration ? Je l’ai regardée en riant. Le rire circulait dans la pièce. Je voguais encore. Je finis tout de même par lui répondre : c’est la vie, c’est elle qui m’inspire. C’est partout, partout, partout. L’amour.

Bien à vous,

B.

L’empereur 黄帝 (Huáng Dì)

Médecine où la Voie du Milieu (dào)

La médecine est l’ensemble des connaissances qui permet d’activer en chacun des points du corps les énergies libératrices et régulatrices. La complexité et la multitude des voies, canaux de rencontres, de circulations, d’échanges, de compénétrations, sont effectivement les lieux de nos possibles aptitudes à entrer dans l’écoute des signes vitaux de notre être. Cette médecine ne dissocie jamais les réalités essentielles de l’homme d’avec son corps matériel. L’empereur avait dépassé les fluctuations du temps. Toutes ses humeurs se transformaient avec une régularité étonnante depuis un nombre incroyable d’années. Il suffisait d’avoir maintenu cette discipline qui consistait à observer le silence durant de longues heures de concentration. Au fur et à mesure, celle-ci se suffisait à quelques minutes. La quantité se résorbait dans l’intensité de la relation avec L’Être. Si un trouble quelconque était à se manifester, il n’en éprouvait ni la confusion émotive, ni la disparité. Le remède est dans la maladie et le médecin est le corps de conscience. La Triade donne la base solide et édifiante à tout édifice. Tel fut son périple : parvenir à la médecine. Sa complicité avec Fēng l’avait guidé durant des décennies.

L’empereur 黄帝 (Huáng Dì)

L’empereur avait la réputation de tenir trois séances par jour dans l’enceinte sacrée du Palais. A l’aube, au zénith, et le soir. Il avait établi cette coutume qui ancra les esprits les plus obscurcis dans le but de donner à la dynastie sa vérité intemporelle. Il était originaire des régions reculées de l’Asie, et avait été compénétré par les diverses sciences concernant les mouvements alternatifs des cycles de vie. Il connaissait la légende de Shîth qui reviendrait à la fin des temps du cycle actuel afin d’ouvrir les dernières portes des cinq royaumes. Il considéra que les esprits devaient se préparer à voir de nouveau la sagesse des mémoriaux et vertueux seigneurs percer malgré l’opacité des murs de Qī gè tǔdì (les sept terres). Le peuple n’est ni mauvais, ni bon en soi. Il est l’enfant rescapé des périodes antédiluviennes. Le monde s’était scindé en deux depuis plus de soixante dix mille ans. Chaque révolution solaire en atteste. Huáng Dì dictait à ses ministres les paroles de Fēng. L’on oubliait les origines de son pouvoir. Cependant, chaque nuit, celui-ci venait s’asseoir auprès de son Maître et selon les dispositions de l’empereur, la sagesse diffusait son oracle.

Il viendra le temps de la dispersion
Il viendra le temps de l’exposition
Comme il viendra le temps de la moisson
Quand les portes du monde intermédiaires s’ouvriront
Il soufflera un vent qui aura pour nom Àiqíng
Sa chaleur emportera les atomes du coeur
Fondu en Liú et les bons ainsi que les justes iront dans les pays des sept terres.

Correspondances VII

Cher,

Sans considération pour la vie, nous nous enchaînons en permanence dans les revendications égotiques. Revendiquer procède de l’ego tandis que vivre relève de l’âme. Quand nous ne désirons plus rien, quand le monde s’envole, semblable à une plume dans le vent, ou bien tourbillonne comme une feuille à la dérive, quand tout s’efface, quand tout semble même se disloquer, quand l’océan nous rejette naufragés, soudain, nous ouvrons les yeux à la vie, hébétés. Quand la vie nous prend nos pères, nos mères, nos enfants, nos croyances, nos rêves, nos émotions, quand la vie implacable nous jette loin du bateau, après le fracas des tempêtes, que reste-t-il ? La sincérité est l’authenticité que personne ne veut vivre. Chacun se vautre dans les manteaux de l’illusion. Rage, colère, haine, jalousie, guerre. Que combattons-nous réellement en projetant sur l’autre notre propre vision ? Qui voyons-nous en l’autre ? Qui est l’autre ? Celui qui a tout perdu n’a plus aucun besoin, y compris d’être. Il s’évanouit dans le grand Être. Oui, très cher, il s’agit d’un évanouissement, d’une résorption. Parce que, lorsque nous perdons tout, nous voyons celui qui vient vers nous et nous demeurons stupéfaits. Telle est la mort. Telle est la vie. Rien n’est réellement perdu. Il s’agit seulement d’un passage. D’une continuité… D’une histoire sans fin.

Bien à vous,

B.

Correspondances VI

Cher,

Je relis notre correspondance, comme la pure essence de notre élan. Suis-je à nous visiter, à tout actualiser comme vous m’en fîtes la remarque dernièrement ? Que vous ai-je donc répondu alors ? Il me semble que je revisite effectivement le jardin présent. Certes, parfois, nous avons cette tendance à penser que tout nous est acquis, que, la chose entendue, nous n’avons plus rien à entretenir. Or, le jardin est précisément ce que nous cultivons et de vous relire, de me redonner à cet instant n’ôte en aucune façon le charme de notre présente présence. Mais, avons-nous uniquement voulu nous nourrir à la sève de notre être ? Nous sommes-nous volés ces moments ? Très tôt, en ce puissant élan de nos âmes, nous avons trouvé la clé de notre accord. N’est-ce pas ? Celle-ci est à l’unisson du champ de vie qui s’offre ici, l’unique son en harmonie avec le vivant. Nous avons mutuellement franchi une passerelle et nous avons avancé chacun l’un vers l’autre, à pas égaux. Cette réalité s’impose à moi comme une évidence que je ne peux nier : nous sommes les géomètres de l’espace-temps. Non pas celui qui se donne par nos sens externes, mais tout d’abord par notre corps vibratoire, sans doute aussi notre corps de mémoire. Qui sommes-nous ? Nous a-t-on appris à laisser les choses nous parvenir ainsi, en les renouvelant ? Après avoir fait le tour de la question, un tour existentiel, d’abord embryonnaire, puis allant vers la complétude progressive en ces circonvolutions larges et bien souvent resserrées, nous avons, ce me semble, appris à être des apprentis.

Bien à vous,

B.

Steppes

Sur les steppes où souffle le vent durant de longues décennies, quand les herbes courtes côtoient le ciel caracolant, l’âme est ivre du regard. Les chevaux frôlent du sol les sabots qui résonnent : l’impétueuse présence ! Les yeux se sont plissés et fusionnent avec l’éternel chant. Entends ! La voix poursuit languissamment le silence ; l’écho d’une danse…