Le Milan royal

Le matin arbore ses éternelles ramures et quand le rossignol s’invite au jardin, l’on revoit, sans que, semblable détails n’effacent le précédent, quelque chose qui traverse le ciel. Le silence plane accroché au vol d’un oiseau royal.

Histoire torturante

Un soir, je rencontrai cette femme dont l’histoire me parut torturante. Elle était assise sur le bord d’un trottoir. Sans doute ce que je vais raconter est très commun. Beaucoup de personnes doivent endurer de semblables douleurs. Beaucoup doivent être traversés par les tourmentes de l’amour. Cette femme griffonnait dans un petit carnet des mots qu’elle chantait dans la rue sans tenir compte de personne. Au début, je crus qu’elle était ivre. Avait-elle sombré dans la folie ? Son amant l’avait visiblement abandonné à la suite d’un tragique malentendu. Elle gisait au milieu de ses larmes, étourdie par la brûlure de cette terrible méprise. Cet amour avait consumé complètement son âme. Il était même impossible de lui parler rationnellement, de la ramener à une quelconque raison. Elle ne vous entendait ni ne vous voyait. Elle répétait inlassablement les mêmes mots, déversait les mêmes tourmentes. Il s’agissait d’une femme d’âge mûr. Elle était visiblement d’origine sociale élevée. Ses mots, ainsi que le timbre de sa voix me le faisaient volontiers croire. Ses traits réguliers révélaient une beauté rare. Comment pouvait-on en arriver là ? Les poèmes ainsi que les chants provoquèrent en mon âme une pénible sensation qui mit longtemps à se défaire. Avais-je absorbé sa peine ? J’étais déchirée par l’incandescence de ses propos, par l’effusion de sa sincérité. Parfois, elle poussait un cri quasi sauvage qui résonnait très loin dans mon pauvre corps soudain assailli. Mue par le désir ardent de l’apaiser, je la pris dans mes bras et recueillis tous ses sanglots. Quand elle sembla se tranquilliser enfin, elle me regarda un moment, hypnotisée par ma présence, puis me confia son carnet. Elle s’éloigna et disparut comme par enchantement, me laissant une impression de « hors du monde ».

Peinture de Mark Spain

Le bourdon

La solitude s’incline doucement vers la terre, courbée par la grâce d’un diffus abandon, tandis que l’âme reconnaît le ciel qui lui parle de mille et une farces, tel le papillon égayé par les soubresauts vifs du balancier opportun. Quand nous quittons le monde, léger, le parfum exhalé d’une pluie estivale, le soupir délicat d’un corps automnal, le renoncement à tout combat, l’amour à son apogée, le bourdon bourdonne et l’esprit s’étonne du miracle de la pure rencontre.

La plénitude

Nous sommes prompts à nous défendre d’une chose qui ne nous appartient pas. Pourtant lorsque chante l’oiseau, il sait la plénitude entière de son chant. Le cœur irradie. Ce qu’il y a en nous, nous le trouvons et nous n’avons plus besoin de nous défendre de rien. Ce qui est, l’est à tout jamais.

Surprendre

Se surprendre au matin accueillant dans les bleus de lavande, sourire aux coquelicots, déposer le délicat velours au baiser d’une blanche rose, parler au merle, surprendre l’oiseau-mouche au cœur du pourpier rose dont le suc juteux en fait un plat d’abondance, puis entrer dans le rêve langoureux du silence des roses trémières. Le jardin s’éprend d’une brassée de bruyères et la coccinelle se balance dans l’onde d’un calendula. Les torrides rayons du soleil nous amène dans la pénombre de la maison. Chaque matin, son renouveau. Sa simplicité en offrande, les mains offertes au regard surpris par le merveilleux dans la translucidité, qui pose et repose inéluctablement sa lenteur.

Peinture de Robert Reid.

La femme

Notre souvenir commence quand tout s’arrête. Notre sensibilité se révèle quand tout nous retient dans la défaite. L’épreuve nous démêle de nos encombrements et soudain, la grâce de n’être ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. La force vient de notre faiblesse. L’amour vient de notre dépassement. La paix vient de notre silence. La transformation vient de notre sublimation. Une femme sait cela quand elle ne se débat plus. D’avoir enduré, elle vit le commencement à chaque instant. Son alchimie est une puissante magie.

Peinture de Vladimir Volegov

Le cœur

C’est au chant des oiseaux, que nos paupières s’emparent de la réalité, toujours étonnées de soulever le voile des ténèbres. Aujourd’hui, j’ai perçu comme un certain décalage entre le sommeil profond et l’éveil : il s’agissait d’une sous-conscience, ou plutôt d’une conscience intermédiaire qui me donna à la réalité dans laquelle je me trouvais durant le sommeil. Ce fut fulgurant, mais bien réel. C’est comme si l’on m’avait permis soudainement d’accéder à cette dimension. Cela dura très peu de temps, mais il m’apparut clairement que j’avais surpris, l’espace de quelques secondes, un autre monde, une autre conscience. Nous ne sommes pas des êtres voués au néant. La complexité de ce monde est à nous révéler chaque jour une présence agissante. Tant de vie ! Tant et tant de signes ! Pour celui qui sait observer, la vie n’est certainement pas le fruit du hasard. Plus nous ralentissons le rythme intérieur, et plus nous entrons dans cette complexité qui s’élargit elle-même et se coordonne à nos perceptions. Si nous prenons le temps du Temps, si nous ouvrons les yeux du cœur, alors celui-ci devient le plus extraordinaire des traducteurs.

Peinture de Carl Vilhelm Holsøe

Notes de piano

Par moment, je ne peux m’empêcher de vivre cette emphase, ces gouttes d’eau perlée sur le plus suave des claviers. Il est comme une sorte de pluie fine sur les temporalités de notre moment qui s’évade dans la légèreté et les yeux subjuguent la lenteur du geste. L’union des souffles tempèrent à peine la gamme des touches et si nous courbons la tête, le corps épouse le corps à corps du noble instrument. Des heures entières qui s’écoulent au rythme incessant des bras voguant avec la précision d’un amant, qui du bout des doigts, chante les rivières mystérieuses du souffle caressé. Insaisissabilité d’une évasion quand ruissellent les vagues de l’exaltation. Doux et imprenables moments. Voici qu’est scandée ma fragilité au bord du rêve quand dispose d’un instant, la lucidité.

Peinture de volegov vladimir

L’Empereur 黄帝 (Huáng Dì)

擾亂世界的程度就像他們的噪音掩蓋了他們無能為力帶來的沉默一樣

Dérange le monde autant que leur bruit masque leur incompétence à faire jaillir le silence, conseillait le sage à L’Empereur. Celui-ci n’osa pas demander en quoi consistait, au juste, le fait de déranger le monde. Pourtant le sage venait chaque matin et répétait la même sentence. Comme L’Empereur Huáng Dì était aussi un sage, il comprenait que ceci s’adressait d’abord à lui-même. C’est en cette disposition qu’il se retira dans le vaste jardin du palais. Aucun conseiller, ni ministre n’avaient le droit d’y accéder. Fēng le rejoignait par moment et tous deux marchaient sans parler. Quand L’Empereur ralentissait sa marche, au point que son ami pensait que celui-ci voulait se poser et s’entretenir avec lui, mais il n’en était rien, il se passait comme un long moment de silence frémissant. Fēng respectait son Empereur et attendait patiemment que celui-ci se confiât à lui. L’âme de Huáng Dì était si légère que sa respiration ressemblait au chant d’un ruisseau. Le jardin était à son image et les oiseaux chantaient dans les branchages avec l’enthousiasme des innocents. C’est alors que L’Empereur comprit. Il revint au Palais et dicta une nouvelle loi que l’on promulgua dans tout le royaume : Tous les sujets avaient pour obligation de créer un jardin personnel. Où qu’ils fussent, tous se devaient de le créer, même s’il s’agissait d’un minuscule jardin. Tous les moyens seraient mis à la disposition des gens. Ainsi, l’Empereur se donnait le devoir de les visiter à tout moment. Aucun des habitants de ce royaume ne pouvait y déroger. Cela provoqua effectivement une effervescence peu commune. Chacun réagit à sa manière ; chacun fut confronté à lui-même. Personne ne put finalement échapper à son silence.

Dérange le monde autant que leur bruit masque leur incompétence à faire jaillir le silence