
Quelque peu voûté, cet homme se tenait là, avec la pudeur de ceux qui s’effacent devant l’implacabilité de leur destin, le visage assombri par des années d’alcool, ou peut-être pire, le regard embué de douceur, les traits emprunts de beauté juvénile, encore perceptible sur le doux visage et je ne pus faire autrement que de m’arrêter. Nous nous connaissions de vue, et avions déjà échangé, à certaines occasions, quelque mot. Je le regardais et plongeais dans son regard évanescent et perdu. Sans doute, trouva-t-il étrange que je m’attardasse de la sorte. Malgré sa peau ternie et rongée par la vie, il m’apparut superbement beau. Fragile, tel un oiseau à peine sorti de son nid, il avait la sincérité de ceux qui ne possèdent plus rien. Il avait placé un bol rouge sur la pierre, face à lui, et attendait la générosité des passants. Il était peu loquace. Cet homme se tenait debout et attendait, tout simplement. Il fut soudainement gêné par mon silence. Je me mis donc à babiller, à faire la joyeuse. Je l’entraînais dans la tendresse et l’enveloppais de bonne humeur. Il fallait, d’une façon ou d’une autre, que je lui dise qu’il était beau. Il le fallait. Il le fallait comme la seule chose possible en cet instant. Il fallait qu’il sente que ma présence était au-delà, bien au-delà de cette apparence. Je savais qu’il logeait dans une maison abandonnée et délabrée, au cœur même de la petite ville. Alors, quand je lui demandai si tout allait bien, il me répondit : Oui, tout va bien ; il ne fait pas froid.