Il ne fait pas froid

Quelque peu voûté, cet homme se tenait là, avec la pudeur de ceux qui s’effacent devant l’implacabilité de leur destin, le visage assombri par des années d’alcool, ou peut-être pire, le regard embué de douceur, les traits emprunts de beauté juvénile, encore perceptible sur le doux visage et je ne pus faire autrement que de m’arrêter. Nous nous connaissions de vue, et avions déjà échangé, à certaines occasions, quelque mot. Je le regardais et plongeais dans son regard évanescent et perdu. Sans doute, trouva-t-il étrange que je m’attardasse de la sorte. Malgré sa peau ternie et rongée par la vie, il m’apparut superbement beau. Fragile, tel un oiseau à peine sorti de son nid, il avait la sincérité de ceux qui ne possèdent plus rien. Il avait placé un bol rouge sur la pierre, face à lui, et attendait la générosité des passants. Il était peu loquace. Cet homme se tenait debout et attendait, tout simplement. Il fut soudainement gêné par mon silence. Je me mis donc à babiller, à faire la joyeuse. Je l’entraînais dans la tendresse et l’enveloppais de bonne humeur. Il fallait, d’une façon ou d’une autre, que je lui dise qu’il était beau. Il le fallait. Il le fallait comme la seule chose possible en cet instant. Il fallait qu’il sente que ma présence était au-delà, bien au-delà de cette apparence. Je savais qu’il logeait dans une maison abandonnée et délabrée, au cœur même de la petite ville. Alors, quand je lui demandai si tout allait bien, il me répondit : Oui, tout va bien ; il ne fait pas froid.

Noël

Joyeux Noël à tous * Merry Christmas to all

Parce que chaque instant est le premier, et parce que chaque instant est le dernier, le souffle si précieux, parce que nous buvons à Celui-Seul qui abreuve, nous sentons la joie de devenir autre, mourant et vivant à chaque réalité, découvrant Son Secret. A la mort nous Le voyons, à la vie nous Le voyons, et quand nous L’accueillons, au dernier souffle, Il est Le Premier. Cette nuit, à chaque instant, est la nuit, et l’aube d’une nouvelle journée. A chaque étreinte, nous sommes Son Décret, et chaque jour, Il œuvre, quand la nuit est la douceur de notre rencontre.

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Je vous souhaite de vivre ces moments de douceur, au foyer de votre cœur, cette nuit et toutes les nuits à venir. Je vous souhaite le plus beau cadeau qui s’offre, celui qui n’est visible que par le cœur, aux yeux grand ouverts, en la lumière de votre maison intérieure. Puissiez-vous être touchés par Sa Grâce, et vous en souvenir, nuit après nuit, jour après jour. A tous, douce et luminescente nuit d’Amour, de paix et de joie !

Béatrice D’Elché, le 24 décembre 2021

La nuit

Il nous souvient certains moments d’âpre conscience, évadés du rêve, crucialités de la nuit, près de la grande fenêtre du salon. La petite fille n’est pas vraiment une enfant, car la conscience est au-delà même de nos âges. Maintenant, elle le sait. Quand la conscience submerge l’être, il ne reste plus ni espace, ni enclos du temps. L’intense regard, le profond ciel de notre âme, vogue au-dessus de sa propre conscience. Ni question, ni énigme, ni même trouble : la réponse est aussi limpide qu’un éclair dans la nuit. Il s’agit d’une réminiscence, d’une synthèse de tous les âges, d’une goutte nacrée de la mémoire. Elle est aussi chaleureuse que la main d’un ami, peut-être, bien plus encore, car cette présence écarte tous les voiles de l’oubli. Il n’est aucune rébellion, aucun heurt, aucune espèce d’affrontement. Cette présence nous submerge, puis elle se met à parler. Son langage semble étranger et pourtant si familier. L’on aimerait se retourner et l’enserrer avec l’Amour d’un corps, bien piètre corps qui appréhende soudain un hors-espace illimité. Mais le cœur se met à rire, car le langage presque inaudible envahit le ciel de notre âme, puis, c’est la présence qui nous enlace. Cette nuit n’a plus aucun nom, n’a que son instant, uni seulement à la clarté. Celle-ci, ni ne heurte, ni ne contrefait les aspérités. Elle est la limpidité de l’âme retrouvée, la joie profuse de son dialogue intime, de son audible et sustenté enseignement. Oh ! la fenêtre n’est plus une fenêtre. Quel est donc ce scintillement perlé des larmes de la conscience ? Quel est donc cet épanchement, suinté de la force vive d’une vérité éclose à la pointe du jour ? De l’autre côté, la petite fille sourit à l’enfant et lui dit : Enfin, le monde se révèle tel qu’il est. L’aube des connaissances jaillit. Il a dit vrai…

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Peinture de Alla Tsank .

Éternité

Œuvre de Louis Janmot

Le soleil baigne à la pointe du jour et l’homme fait quelques pas. Au loin, furtifs, les craquements de l’aurore, bleutée de pourpre et d’argenté, étreint, du souffle léger, le corps du Poète. Il se voudrait s’emparer de l’instant, mais, le cœur serré, la beauté le transperce sans guère l’épargner. Dans la blanche solitude écartelée, il lève un regard vers l’éternité. Sais-tu que les mots sont arrivés avec le parfum de toute chose déjà éclose ? Le poème vient du cœur, la rose entrouverte, l’effusion tremblante d’une roseraie. La vie possède sa victoire, et le monde périt sous le regard des absents. Vous me dites que la vie est l’Amour et que l’Amour est une lente progression vers la mort. Puis, vous me dites que la mort encore est l’accueil inévitable de l’Amour. Vous me dites aussi qu’un simple plissement du cœur est une porte ouverte vers l’éternité. Je vous tiens la main depuis tout ce temps, depuis cette même éternité, le saviez-vous, et je chante ces mots que vous trouvez avec la frénésie des vainqueurs. Vous pleurez chaque mot qui sont tels de suaves embrasements et vous me voyiez esquisser, à la pointe de mes mains, chacune de vos palpitations. Vous posez la tête sur l’épaule invisible de la grâce. Parfois, vous courez vers moi et je vous enlace. Nous nous tenons serrés l’un contre l’autre et nous respirons nos êtres avec l’intensité des gens libérés des affres et des soubresauts du siècle des ténèbres.

L’étoile

Si j’avais été une étoile,
Sans doute serais-je née, il y a fort longtemps,
Et pour descendre tel un soleil,
Je me serais parée de nos cheveux d’argents.
Si j’avais été une brillante étoile,
J’aurais animé de nos remous le ciel,
Fusionnée dans le vaste gouffre de mes affres,
Evanouie dans son intense regard,
Eteinte dans l’océan de mon chaos,
Dissoute dans l’extinction de notre union,
Puis, tremblante des vains mots.
Si j’avais seulement été son étoile,
Au coucher des deux pôles,
J’aurais mis en ébullition l’espace,
Vêtue de mes haillons,
Affranchi lacs et montagnes,
Cime de mes nuits sublunaires,
Les sables de mes cristaux de larmes,
Mes appels dans l’ombre crépusculaire,
Ondes d’une singulière mise à terre,
Indifférent joug de notre resplendissance,
Trépassant encore sous ses pas,
Transpirant de mille et un éclats,
Des lumières d’une aurore clémente,
Pleurant l’anneau de notre mariage,
Froid boréal d’un étonnant voyage,
Jusqu’au grand Nord, l’éternel Amour,
Jusqu’aux blancheurs de nos jours.