Embrasure

Les mots tissent des ramures,
Sur les lignes d’un temps inachevé,
Tandis que l’hiver s’effeuille savamment
D’argentés soupirs, de douceur mordorée.

Sur un sol qui s’oublie,
Se résorbe une mémoire,
Et je l’ai vue glisser,
Sans jamais se retourner,

Dans l’embrasure, fêlure
D’un cours d’eau serpenté,
Comme une plaintive césure,
Devenue, soudain, un vol écumé.

Cher ami

De la crudité d’une vie sur terre,
Je n’ai pas eu peur, mon cher ami,
D’avoir marché sur les sentiers,
D’avoir entendu le vol d’un épervier,
Je n’ai pas eu peur, mon cher ami,
Lorsque le soleil pleurait des larmes chaudes,
Que les hirondelles s’envolaient vers le sud,
Que nos sangs bouillonnaient sur les touches d’un clavier,
Je n’ai pas eu peur, mon cher ami,
D’avoir bu le matin des prières,
Des parfums de notre légèreté,
Que les passereaux valsent au-dessus de la ville,
Je n’ai pas eu peur, Ô cher ami,
Et je n’étais ni un homme ni une femme,
Puisque je m’étais défaite des vétustés,
Je courais et le vent m’emportait,
Je n’ai pas eu peur, Ô mon ami,
Le cœur juteux et libre d’aimer,
Je partirai dans la joie et je rirai à ma mort,
De cette crudité, en passant par le rêve,
Je me suis amusée ;
Je n’étais plus une femme, je n’étais plus un homme,
Les ailes d’une âme n’ont pas de couleur,
L’esprit s’est détaché du monde entier,
Le cœur ivre, loin de la prison des hommes,
Je n’ai pas eu peur, je n’ai pas eu peur,
Dévalant sur le sentier escarpé,
Te retrouvant dans nos poèmes entremêlés
Qu’une existence entière nous a rapporté,
Et m’en suis étonnée, m’en suis étonnée…

Long rêve

Photographie prise par l’auteur, le 29/01/2021

J’étais un homme des cavernes et me réveillais avec le chant du soleil. Je poursuivais un rêve bien au-delà des rochers, et m’asseyais pour inscrire les heures, comme l’on inscrit son bonheur, celui que l’on sait parfait. J’aime la caverne qui m’abrite et le feu qui me réchauffe. Le matin laisse passer quelque œuvre, le soir, la forêt chante et répand sa clameur. Je suis un homme des cavernes et je passe des heures à marcher dans la plaine sans me soucier de rien. La douleur ne m’arrête pas. La rivière caillouteuse ne m’indispose pas. Je la traverse pieds-nus et l’eau froide transforme ma fatigue en douceur. La nuit tombe et la lune poursuit son chemin. Cette nuit est mon amie tandis que les jours s’équilibrent et les nuits veillent. Tous vivent en harmonie et notre cœur vibre au son de l’univers. Le grand cerf s’élance vers les hauteurs et le loup partage en secret les pitances avec ses frères. Les animaux parlent et font un cercle autour des étoiles. Ce moment n’a jamais cessé d’être puisque je me rappelle de tous ceux qui ont plongé au creux de mes pupilles et s’y trouvent encore. La forêt possède un cœur et, chaque soir, je l’entends battre au diapason avec le mien. Le feu crépite entre deux pierres et il me souvient d’un futur qui déplore l’essentiel et le méprise à tort. Mon frère d’un autre monde est venu me voir. Il semble complétement démuni devant ce qui lui semble soudainement l’évidence. Je lui offre de s’assoir car je le connais bien. Mon frère pleure longtemps et je n’esquisse aucun geste. J’attends en silence que ses sanglots cessent. De longs siècles nous séparent. Je le regarde. Il lève la tête, tandis que secoué encore par de violents soubresauts, il aperçoit le grand cerf qui l’observe. Il se tourne vers moi et dans le silence frissonnant de la nuit, il essuie ses dernières larmes, celles du long rêve.

Je n’étais pas inculte, contrairement à ce que mes frères du monde futur croient et tout ce que j’éprouvais était enseignement. Nous parlions des heures entières avec les astres et ceux-ci nous répondaient aussitôt. Nos conversations étaient multidimensionnelles. Nous étions chez nous. Un brin d’herbe nous invitait au voyage. Le monde était un grand livre ouvert et la joie débordait comme une eau abondante dans un désert. Nous ne connaissions pas le malheur. Rien n’était souffrance. Comme nous voyagions dans le futur, nous savions que les hommes ne comprendraient plus rien, qu’ils en oublieraient même d’entendre, de voir et de parler. Nous n’avions aucun moyen pour empêcher cette décadence. Il nous fallait patienter et prier pour les générations futurs. Sur le sol, sur les parois des cavernes, dans les roches, nous inscrivions le langage de la paix. La paix est notre lien. Nous ne connaissons pas autre chose. La connaissance fait partie du cycle rayonnant de l’apprentissage.

Les hommes ont perdu les vestiges ; ils ont perdu le trésor. Ils errent et altèrent la vie. Ils ne connaissent plus les liens d’aucune sorte. Je respire lentement et mon frère s’est endormi près du feu. Doucement, j’entretiens le feu qui nous réchauffe et j’écoute sa chanson. Le monde futur connait une grande dérive. Je pose sur mon frère une couverture faite de laine de mouton.

Infâmie

Cessez-donc, mais que cesse donc l’inertie de la légumineuse impavidité, et que cesse cette propagation lourde de vitriol fustigeant l’intelligence, acidités déformantes, quand les canaux de la folie sont une transe ambiante et que l’eau peine à s’écouler jusque dans les robinetteries insalubres. L’on peut voir une chose et une autre, mais soudain s’échappe, violente, l’indécente ironie d’un monde déliquescent. Une impériosité de mots jaillis comme le rejet total et irrémédiable de la démence. Folie douce du poète, démence informe du magma involutif. L’ancien monde tombe en déchirure et l’absurde ruse pour devenir la main ordurière qui répand son infâmie. J’éprouve la honte des rêveurs parce que les esprits fraudeurs ne s’arrêtent jamais et font de l’humanité une monstrueuse improbité.

Peinture d’Edvard Munch

Le salon

Parfois, le soleil s’immisçait crûment dans le salon. La porte fenêtre s’ouvrait large, sans retenue, et faisait entrer, de façon presque outrancière, ce soleil. La chaleur s’y engouffrait et venait se poser sur la grande table. Je m’y installais en ayant soin de préparer le lieu. Il fallait que la pièce respirât le silence et la quiétude. Personne ne croit qu’un espace est vivant. Personne n’imagine qu’un lieu est une véritable personne. Depuis ma plus tendre enfance, je considère ainsi la vie. Celle-ci est une personne à part entière. Elle m’appelle à toujours la considérer de la sorte. Je marche sur la pointe des pieds et je n’arrive pas à me détacher de la personne. Je pose mon regard sur chaque chose et chaque chose est une personne. Tantôt, il s’agit de la fenêtre, tantôt ce sont les rideaux, puis les meubles. Un objet devient un compagnon. Je le regarde et je l’entends me parler. Je respire l’air d’une pièce, sans la séparer de rien. Elle est aussi respiration. J’aperçois la poussière sur les meubles, et celle-ci me parle. Comment voulez-vous aller vite quand le monde entier est une personne ? Une multitude d’amis vous interpellent avec leur langage singulier. Il vous faut vous arrêter et prendre le temps. Que ce soient les abstractions, les choses, les lieux, les évènements, tout est une conversation. Ils vous enseignent leur discours. Ils ont des bouches que vous ne voyez pas. Sans doute faut-il pour cela devenir l’espace, le temps, le lieu, les objets, les yeux, afin de voir, afin d’entendre. Il vous faut devenir une personne aussi. (…)

Quand je m’installais dans le salon, je posais mon carnet et je regardais tout d’abord le stylo qui allait devenir le prolongement de mon propre langage. Je regardais le carnet. Je tournais lentement les pages, relisais mes écrits. Je respirais les mots, les expirais. Je caressais la couverture du carnet, ou du cahier. Cela était organique. Le salon devenait organiquement le lieu de cet instant organique. (…)

Peinture de Dame Laura Knight (1877-1970)

Grenouille

Gourmande de sensations, éprise de vie, vie en la vie, l’effleurant ou la prenant à bras-le-corps comme on embrasse le souffle, lui disant mille fois merci et puis encore merci et encore merci, pourquoi pas ? Pourra-t-on nier l’enthousiasme, pourra-t-on ôter à notre cœur ces diamants effusifs venus nous conter l’histoire des gravillons ? Nous aimions jouer ensemble, dans la glaise que nous tirions avec nos mains et nous faisions comme les enfants fous et sauvages de petites poteries, des ustensiles venus du moyen-âge. La glaise était jaune. Tout cela séchait au soleil. Je voyais mille et une choses dans la mare boueuse et nous courions pareillement insouciants dans les herbes folles et nous cherchions les têtards. Encore hier, je pensais à la grenouille et lui disais bonjour ma sœur, elle, endormie dans les eaux profondes, attendant son jour. C’est elle qui m’enseigna la permanence. J’entendais battre son cœur et j’étais ainsi aux anges. Nous sommes venue avec l’enthousiasme. L’enthousiasme vint avec nous et le prenant comme l’on prend un amant, nous rions encore de ses airs fantasques, des absurdités de l’homme. Je confie à la grenouille : toi, tu es bien plus sage !

Secret

Pratique la vie, celle-ci te pratique,
Mais n’en abuse pas.
Tel est le secret du rêve,
Qui se met à parler.

J’aimais que l’on me fît rire,
Je vis ainsi celui qui riait.
La farce est loin d’être comprise.
Pourtant, rire est une véritable énigme.

Quand vient celui qui interroge,
Le partage est entier.
Je tendis la main,
Il tint la mienne pour l’éternité.

公案, gōng’àn

Absurdité

荒謬扼殺了一切的價值

Il n’est aucune absurdité. Mais l’absurde conquiert son propre espace. Ne cherche pas l’absurde ailleurs qu’en toi. L’absurdité est réverbératoire d’une phénoménale incohérence.

一隻鳥穿過你的雲

風攪動樹葉

Le rêve agite ses propres feuilles et nous interpelle.

Le vent avait soufflé très fort parce qu’il souhaitait provoquer l’immobilité de l’arbre ; il apprit beaucoup en remarquant son inflexibilité. Toute irréductibilité fait surgir l’impatience de celui qui la méconnaît. La sagesse est profuse, le verbe nous instruit, le livre tourne lentement ses pages. Le rêve devient réalité. Il est comme celui qui marche, attrape les nuages et les noie dans l’infinité.

Voyage IV

Avec le chaleureux assentiment de Laurence Délis, Voyage Restropective I et Voyage Restropective II, Je vous propose de continuer ensemble cette invitation au Voyage, inspirée de ses fabuleuses œuvres. Merci à Laurence pour ces belles représentations.

L’ébullition de tel ou tel propos, les distanciations de telle ou telle démarche, peu importe. Nous continuâmes de nous retrouver à l’extrême limite, frontière invisible qui nous parlait d’un autre monde. Nous avions comme suspendu littéralement les questionnements et immobiles, tous deux, nous regardions à ne plus jamais nous extraire du regard, car, en lui, voguaient nos réponses et nous étions serrés l’un tout contre l’autre, dans le froid hivernal. Ce qui était étrange, c’est que nos yeux devançaient tous les défis, et toute chose, et tout ce qui était connu, se défaisaient dans les ourlets du temps et de l’espace. Quand nos mains se retrouvaient, nous approuvions par elles nos liens immutables. Les vagues semblaient se pousser, chevaucher le temps et gagner l’au-delà. Je surprenais ton âme effervescente, celle jaillissante de mille feux. Sont-ce des prémices, me demandais-tu ? Je me contentais de faire une pression sur ta main. Nous assistions ensemble à l’éclosion de nos cœurs. Nous apprenions un nouveau langage. Nous n’avions pas peur.

Ciel

Le ciel chante,
Certains jours,
Telle l’offrande,
Perdue sans retour.

Le ciel, gouttes,
D’instant inconstant,
Et le ciel, une voûte,
Nuages d’aucun doute.

Le ciel hante,
Etendu d’amour,
Vigueur d’une note,
Suspendue au discours.