Tempête

Prolifiques emphases d’un soubresaut semblable à un mirage, mais Oh combien simple en cette brassée de santal. Abondance que l’on cache avec des haillons au sortir d’une sorte de vase, alors que les rivages dansent et flottent sur les embarcadères de tous nos voyages. Les cruciales vaporeuses d’une mousseline sans voilage, l’on remonte le temps qui se pose, enfin sur l’indicible rose. Le vent fait rage et plaque le corps tout contre le surprenant érable, tandis que ses bras enchantent le tremblement saisonnier d’une phrase. J’irai seule, brandissant un carnet, puis une plume, traçant le sillon d’une herbe grasse et dans un ravin de brume, je t’attendrai, de sorte que les senteurs boisées avivent mon cœur rivé éternellement à ton regard. Comme la tempête devient ma douceur aigüe, et comme serrant fort nos écumes sauvages, je marche ininterrompue de ta soif.

Peinture de John William Waterhouse

Miroir 鏡子

Nam Gye-u | Butterflies and Peonies | Korea | Joseon dynasty (1392​–1910)

L’Orient virginal s’élève par le feu éthérique, celui qui ne brûle pas, et les bêtes le savent, celles mêmes qui, parfois aussi fines qu’un cheveu, vous font mille et une salutations secrètes. Bercée par le songe, aussi scrupuleux qu’un crépuscule hybride, se lamentant des sèves descendantes d’une plante, voici que l’âme voyage. Elle pose une main sur la vision et comprend que l’invisibilité est de l’autre côté, du côté du véritable rêve. Le rêve s’éveille et les multitudes opaques se brisent comme un verre de cristal. En allant de ce côté, la vision est éclatante et l’âme parle. Ce ne sont plus les bruits insolites, ni non plus les fissures d’un ancestral mur, mais bien d’un univers qui plane. Est-ce au dedans, est-ce à l’extérieur ? L’âme fait quelques pas. Peux-tu nous confier, Ô Cristal, le secret d’un tel passage ? Alors, les formes informelles se rangent toutes devant elle et font une révérence. « A la rosée lustrale, il est un feu ardent. Celui dont le cœur est touché par sa lumière, connaît toutes les tourmentes, mais parvient au monde des connaissances. Substratum. Tel est doux aussi le frôlement d’une sauterelle, ou bien d’une libellule. Tel est l’indice d’une pluie estivale. Chaque seconde est une réponse au substratum. »

Folie

Il faut beaucoup de folie pour être un ami, car sans la folie, l’amitié se dissout dans les trivialités et mesquineries de la vie. Il faut beaucoup de folie pour aimer, et ne pas perdre son Amour, et il faut beaucoup de folie pour être dans le souffle même de l’Amour. Sans cette folie, sans cette exaltation de l’âme, sans cette foi en ce vide, qui se lancerait donc du haut d’une falaise sans craindre d’être fracassé par les lames d’une mer meurtrière ? Mais l’Amour vainc toutes les tiédeurs et donne au cœur une force qui au-delà de la douleur de l’Amour devient son Flambeau. Je te porte sur mon dos comme un fils porte son père, ou comme une mère qui ne lâche jamais son enfant. Je te porte par la lumière qui porte. La folie est lumière.

La licorne et l’âne

Tapisserie : La chasse à la Licorne

Un prince avisé et éclairé parlait à une Licorne. Elle était farouche et peu encline à la conversation, ayant vécu, jadis, une expérience assez douloureuse. Il lui avait fallu plonger dans les plus improbables mondes, ceux des merveilles qui se traduisent, la plupart du temps, par de la musique selon l’entendement des mortels, les mots s’étant transformés en symboles essentiels. Il lui avait fallu remonter des abysses que l’on traverse durant plus de soixante dix mille ans. Divers bassins s’étaient ouverts, chacun portait un nom spécifique. La licorne blanche et éthérée avait retenu les noms de tous ces prodigieux bassins. Ils étaient gravés en elle de la façon la plus incroyable. Pourtant, sa virginale robe était à l’image même de son âme. Elle avait trempé dans tous les éléments de la création et avait connu une infinité de mondes et autant de ponts. Il serait long ici de conter son périple, mais la licorne ne dédaigne personne. Sa nature, présentement, est ainsi, et lors qu’elle apparaît, il faut y voir le plus doux des présages et ne projeter sur elle rien du monde actuel. Elle n’appartient plus à la nature éphémère. Elle est au seuil, accueillante et bienveillante. Le sage prince lui parlait jour et nuit, et savait se tenir à distance. Il comprenait la Licorne et la saluait chaque matin. Il la remerciait d’être là. Elle avait mis du baume à ses plaies. Un paysan qui passait par là, avec une grossièreté déconcertante, demanda subrepticement : A qui donc parlez-vous ainsi, Ô prince de cette contrée ?

Je parle à l’être le plus féerique qui soit, lui répondit-il, avec beaucoup de simplicité.

Alors, le paysan regarda alentour et aperçut un âne. Il se mit à rire et se moqua du prince. Celui-ci lui répondit par une plate indifférence. A travers les yeux de l’ignorant, la licorne se montre semblablement au petit âne dans un pré.

Echo au manque

Si tu ne m’avais manqué,
Aurai-je cherché à te trouver ?
Aurais-je pu inventorier les étoiles
Et apprendre le chemin ?

Quelle sagesse dans le manque,
Et quelle sagesse dans le désir !
Une corde à la taille,
Le souvenir de toi.

Je t’aime de tous les présents,
De chaque instant de toi,
Le souffle de l’absence,
Brisé par notre émoi.

Lê Phổ (né le 2 août 1907 à Hà Đông et mort le 12 décembre 2001 à Paris)

Le manque

Tu me manques tant ;
J’ai appris que tu me manques,
Parce que tu me manques.

Le manque de toi,
M’a appris tous les manques,
Ainsi t’ai-je connu.

Lê Phổ (né le 2 août 1907 à Hà Đông et mort le 12 décembre 2001 à Paris)

Où aller ?

Seule, je sortais et faisais le tour du parc plusieurs fois. Il s’agissait d’un grand parc, peu fréquenté, au demeurant, mais riche d’endroits où l’on pouvait s’arracher du « moi ». Un grand lac, où nageaient plusieurs canards, m’attirait irrésistiblement. Des pontons, bordés de joncs et de massettes, avaient été aménagés et lorsque le soleil réchauffait suffisamment l’endroit, je m’y asseyais et pratiquais une longue méditation. Les canards s’approchaient, et leur présence me mettait dans le plus grand des émois. Je finissais par regarder leur manège avec beaucoup d’amusement. J’écoutais leur conversation parfois très véhémente. Il fallait vraiment voir comment certains se disputaient et comment leur chef, bien avisé, les remettait à leur place. J’observais ces scènes, oubliant le temps qui passe. La nature m’a toujours fait sourire. Je trouve les animaux bien plus humains. Quel ne fut pas mon ravissement lorsque je fus saisie un matin, par le vol d’un héron ! La blancheur de ses ailes avait empli le ciel et il irradiait tel un astre dans la nuit. Il m’arrivait de sortir aussi très tard, souvent vers minuit. J’aspirai à ce que la voûte céleste s’entrouvre et m’emmène ; je murmurais inlassablement cette phrase qui a fait toute ma vie : où aller ?

J’appelais l’invisible, celui que l’on palpe de ses doigts, et j’appelais avec toute l’intensité du bouleversement intérieur, cet invisible qui palpitait au-delà de la raison. Il ne s’agit pas d’une émotion, ni d’une intuition. Le destin cogne si fort que vous courez dans le sens de cet appel. Vous effleurez le ciel avec votre cœur, ou bien est-ce tout simplement lui qui vous effleure ? Vous ne savez plus.

Vous rencontrez alors les dix mille étoiles vivantes de votre espace, vous valsez avec les étoiles de votre éternelle rencontre, et vous comprenez que ces âmes qui vous émeuvent sont les âmes que vous avez déjà rencontrées dans un autre monde et le ciel se déchire, et les âmes accourent, vous les reconnaissez et vous les aimez en silence.

Illustration de Tijana Lucovik