Liang 亮

Ceux qui ont le moins vécu sont ceux qui sont enfermés dans les concepts les plus endurcis, me disais-tu un soir, alors que tu fumais les dernières volutes d’une pipe que tu avais savamment sculptée dans un bois de merisier. Je regardais s’effacer la silhouette des montagnes et se perdre dans la multitude d’étoiles qui arrivaient en troupes comme pour nous surprendre. La vie est si forte qu’elle nous appelle afin que nous puissions enfin l’entendre. Je posais la main sur ton épaule, Liang, et je pleurais doucement, parce que je savais ce que tu voulais dire par là. J’entendais tes pensées s’envoler dans un bruissement libre, toi, mon Liang, dont les cheveux blanchissaient en silence. J’entendais ton soupir s’évader dans le murissement des années qui t’avaient enseigné. Nous partirons ensemble sans regret…

Liang 亮

Bonne année Xīnnián hǎo 新年快樂

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Pendant près de quinze jours, avec Māmā, la maison était passée au crible. On avait sorti tous les ustensiles ménagers, marmites, casseroles et poêles ; les armoires avaient été vidées, nettoyées ; le linge lavé et séché, puis plié dans les petites malles et commodes qui étaient réservées à cet effet. C’est à quatre pattes qu’elle lavait le sol après l’avoir épousseté à l’aide d’un petit balai. Petit frère patientait devant tout ce remue-ménage et parfois, quand le soleil apparaissait au milieu des nuages, elle se donnait un temps de récréation et le faisait courir dans le pré en face de la maison. Tout le monde riait. Le village était en émulation. On suspendait les lanternes rouges ; on tendait des guirlandes en papier de même couleur. Le rouge prédominait partout. Maintenant, la maison respirait le bon, le frais. Quelque chose de léger flottait dans l’air. Zǔfù et Zǔmǔ avaient préparé les offrandes que l’on plaçait dans une assiette creuse. De l’encens brûlait sur le petit autel. La jeune fille avait découpé de jolis motifs qu’elle avait collé sur la fenêtre du salon. Le soir, elle racontait des vieilles légendes et Petit frère jetait la couverture sur son visage et se cachait sous le moelleux du lit. Alors, elle se mettait à le chatouiller et Māmā lui disait d’arrêter, parce qu’il sera trop excité pour dormir. Bientôt, le grand jour arriverait et la cérémonie serait joyeuse. La famille irait au temple et prononcerait ses vœux pour la nouvelle année. La nuit aura entendu les pétards et un repas serait servi avec joie, car la joie accueille la joie. Mais, la jeune fille avait le cœur serré et secrètement ses pensées s’étaient envolées jusqu’à Pékin, là, où Liang étudiait. Pensait-il encore à sa bonne amie, ou bien l’avait-il définitivement oubliée, noyé qu’il était dans la capitale ? Ô Liang, je fais semblant de rire. Est-ce mal ? Si tu n’es pas là, que m’importe que L’Empereur de Jade en personne entre dans la maison.

Liang 亮

Dans la petite maison, le feu crépitait et même ronronnait grâce à la théière en fonte qui se trouvait toujours placée sur le feu, jour et nuit, à diffuser une chaleur rassurante. Souvent accroupie, Māmā préparait le repas. Elle lavait dans une bassine les légumes, puis les découpait en fines lamelles sur la planche. Quand il faisait trop froid, elle cuisinait à l’intérieur. Mais la plupart du temps elle aimait être dehors sur la petite terrasse et s’activait avec une telle souplesse que la jeune fille en restait sans voix. Tandis que la marmite faisait son office, Māmā s’activait à la lessive. Comme elle aimait la regarder, trop jeune encore pour mettre les mains dans le bac à eau. Sa mère tordait le linge, le frappait avec une pelle en bois. Puis, elle rinçait le tout dans un autre grand récipient en versant dessus une belle eau transparente et lumineuse. Liang, je sais pour quoi je suis venue au monde. J’y ai réfléchi. Je crois que nous venons tous pour une ou plusieurs choses. Nous devons bien le faire. Nous devons accomplir avec beaucoup d’amour tout ce que nous sommes venus faire. Nous devons ressembler à nos actes. Liang, je sais que je suis venue au monde pour toi. C’est cela ma mission.

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Liang 亮

Elle se remémorait ce jour fatidique, quand pénétrant dans la cour de l’école, le maître l’avait retenue violemment par sa longue natte brune et lui avait demandé pourquoi elle ne portait pas son tablier. La violence du geste, la brusquerie des mots l’avaient atteint comme un coup de poignard en plein cœur. Elle balbutia un pardon, mais le maître l’avait regardée avec du noir dans les yeux. Alors, elle avait fait demi-tour et s’était enfuie en courant et même Liang qui passait par là, surpris par son visage défait, n’avait pu la retenir. Jamais, jamais, je ne remettrai les pieds dans cette école. Tu m’entends Liang ? Je ne saurai jamais ni lire, ni écrire. Jamais ! Des années plus tard, alors que des milliers de gestes s’étaient déployés partout, dans la nature, dans le jardin, autour du feu de la cuisine, les longues soirées d’été à tisser et à chanter, Liang lui avait dit : Tu nous as enveloppés de tant de présence ! Elle avait pleuré.

Liang 亮

Parfois, Māmā l’envoyait faire certaines courses à Qujing. Son estomac se nouait à l’idée même de faire un tel trajet en bus. Elle n’en faisait rien paraître, sinon Māmā en aurait éprouvé de la peine. Celle-ci lui passait autour du cou la bandoulière d’un petit sac en cuir qu’elle faisait glisser à l’intérieur de sa tunique et qu’elle coinçait dans la ceinture du pantalon. C’est là que Māmā cachait l’argent des courses. Le bus était souvent bondé. Des femmes, des enfants, quelques paysans et même des poules et des canards faisaient partie du voyage. Les visages étaient mornes et elle baissait la tête pour n’accrocher aucun regard. Quelques fois, un agent montait et la petite fille sentait son cœur battre un peu plus vite, comme si inconsciemment elle se sentait prise en faute. A la fin du trajet, sa tante Hui l’attendait. Elle la menait dans une drôle de maison perchée très haut. Ensuite, toutes deux faisaient les courses. Sa tante Hui insistait pour qu’elle reste passer la nuit avec ses cousins, mais elle courait à la station de bus pour attraper le dernier en partance pour le village. Embrasse toute la famille pour moi. A la prochaine et merci pour tout, ma tante ! lui lançait-elle toujours avec un petit air entendu. Une fois installée dans le bus, chargée de son sac à dos empli de provisions, elle respirait un bon coup, fermait les yeux et essuyait une larme. Je n’aime pas les grandes villes, Liang, oh ! je n’aime pas du tout les grandes villes. Une journée loin de toi, Liang, une seule journée est pire que toutes les tourmentes de la terre entière.

Liang 亮

Un jour, elle se perdit sur la route qui menait à la grande ville. Une lueur ensablée avait tout balayé et sous les rafales violentes, titubante, elle dût s’attacher à un arbre. Elle se couvrit de la tête aux pieds d’un long châle. L’air n’était plus qu’un énorme sifflement qui voulait rageusement tout arracher sur son passage. Elle appela dans le noir, de toutes ses forces, de toute son âme : Liang ! Liang ! Mon ami Liang ! Le visage semblait crisser sous le sable. Elle eut peur de plus jamais le revoir. Elle eut peur de ne plus sentir la main de son ami. Elle eut peur, peur… Et elle sanglota durant de longues minutes. Et puis, soudain, elle sentit des bras l’entourer et la serrer très fort. Là, là, ma petite, tout va bien, je suis là.

Liang 亮

Le murmure de nos jeunes fleurs de l’été persistant, le temps de notre hiver encore printanier, je suis surprise par ces fleurs qui suspendent les saisons, et je suis étonnée des suavités de la terre qui ronronne encore. Que s’est-il passé pour qu’en dépit du froid, du gel et de la nuit glacée, les fleurs butinent le soleil comme imprégnées de fidélité, de constance entêtée et se gorgent de l’amour échevelé ? Dis-moi, Liang, est-ce que l’hiver s’est trompé ?

Liang 亮

Chaque fois que nous marchons ensemble, Liang, je vois les choses différemment. Est-ce le fait d’être à tes côtés, ou bien est-ce autre chose ? Quand tu baisses le regard, je baisse le regard, et si tu vois l’insecte se contorsionner sur le chemin caillouteux, je le vois avec toi. Si tu regardes les nuages qui filent dans le vent, je les vois aussi. Que s’est-il passé, Liang ? Pourquoi mes yeux changent-ils en ta compagnie ? Mais plus encore, quand tu n’es pas là, mes yeux voient comme si c’était toi.

Liang 亮

Elle écoutait attentivement la lecture assidue de Liang. Durant tout ce temps, ses mains tressaient une couronne de fleurs. Le printemps avait couru dans les prairies et les arbres semaient leur enchantement quand le soleil obliquait presque dangereusement sur les épaules de Liang. Elle se levait précipitamment alors et se mettait derrière lui pour faire de l’ombre. Dis-moi Liang, pourquoi les hommes sont-ils si hostiles, pourquoi sont-ils si suspicieux, si méchants ? Est-ce que c’est écrit dans ton livre ? Parle-t-on de ces choses-là ? Je me suis souvenue comment la voisine avait lancé du venin à Māmā, parce qu’elle l’avait vue entrer dans la maison du vieux Li Xiuying et lui offrir un repas. Est-ce que c’est mal Liang ? Est-ce que les hommes aiment faire le mal ?

Liang 亮

Quand tu reviendras, Liang, je me tiendrai bien droite. Quand tu reviendras, Liang, je t’aurai préparé des lu dou gaos*, et des Zongzis** et nous rirons ensemble derrières les joncs, près de l’étang. Tu me liras autant que tu veux les contes de notre souveraine Chine et je ne t’interromprai pas, mon Liang. Quand tu reviendras Liang, tu auras grandi, et peut-être que tu m’auras oubliée. Mais, je viendrai encore en courant, Liang, et moi, je sais que tu seras toujours là, parce que moi, Liang, je ne peux pas t’oublier.

Liang, brillant élève du village, avait été envoyé à Pékin pour poursuivre ses études à l’université Tsinghua (清華大學). Il fut absent durant de nombreuses années, afin d’obtenir son diplôme d’ingénieur. Il n’y avait pas à l’époque grand moyen de communication, et les déplacements étaient plutôt rares.

*Gâteau aux haricots mungo

**Boulettes de riz