Les engins

La lenteur d’un long chemin, celui que l’on ne souhaiterait jamais quitter est en dehors de tout espace et de tout temps, quand même nous serions née ici, je ne me reconnais pas dans les violences conjuguées des engins motorisés. Je suis née avec ces rugissements, mais je reste toujours inadaptée et ces routes de fer et de béton me sont intégralement et définitivement étrangères.

Au bord d’un lac

A la beauté, coupe est pleine,
Je marche bâton en main.
Ne me crois pas si vilaine,
Depuis l’enfance l’âme vagabonde.
De surprise en émoi,
J’ai rencontré une naine,
Elle sautait à pieds joints.
Quant à moi, je file la laine,
Au bord des sentiers muets.
C’est parce que l’année prochaine,
Je deviendrai bergère,
Et que dans les nuages,
J’ai vu passer mille et un présages.
Puis, quand vient le soir,
Au bord d’un lac je m’assois,
Et je chante le murmure des branchages ;
Là-bas, je consens à l’adage.
Ne m’en dis pas plus !
Je finirai par rencontrer le sage…

Folie et raisonnement

Certaines idées farfelues provoquent le déchainement raisonnable des penseurs, mais comme nous ne comprenons rien à leurs propos, nous voyons arriver en courant la folie qui prend toutes sortes de divagations notables. La plupart du temps la folie s’affole et prend ses jambes à son cou. Mais quand la folie inaugure les lieux de sa magistrale détermination, celle-ci s’assoit très sagement sous un arbre et compte les ailes des papillons. Pour chaque aile, elle voit distinctement les envolées légères de son détachement. La folie exprime à voix haute, au vu et au su de tous, sans aucun état d’âme, la cohérence de son absolu détachement. Les béquilles ne sont certainement pas celles que l’on croit et combien de fous marchent avec la régularité des estropiés ? Bien sûr que seule la folie dit la vérité. Mais sans doute existe-t-il deux types de folie. L’une consiste à imaginer le raisonnement, tandis que l’autre en rit ouvertement. Entre les deux, il y a la peur. Savez-vous ce que me confia la sagesse ? Les fous les plus dangereux sont ceux qui ont peur. Ils alimentent la démence en feignant de ne pas avoir peur, mais dans le fond, ils éprouvent la peur la plus incommensurable qui soit. Ce monde vit sous l’effet d’une peur à peine déguisée.

Le visage

Le visage imprime sur l’être le cœur, tout comme le cœur imprime le visage de l’être. Il n’est besoin d’aucun subterfuge pour reconnaître le visage de l’aimé, comme il n’est aucune trace qui ne marque le temps de son ouvrage. Sur le corps, voici les sillons et sur le cœur, les lignes de ton âme. Les sueurs de ton bonheur font de la respiration de ton corps une reconnaissance que je ne saurai éviter. A la plissure de tes yeux, je vois les matins de nos gestes défaits sur l’ourlet de tes draps et à la blessure de ton sourire, je perçois les vagues de ta douceur. Chaque détail est une éternité et je bois langoureusement au temps que tu ne retiens pas, puisque mes lentes divagations ont le goût du cristal et je bois en ta fervente emphase le temps qui ne fuit jamais.

L’irréel

En ce hors-temps, l’irréel côtoie éperdu de joie une goutte suspendue dans le cœur juvénile qui tressaute avec, certes, emphase, exaltation, sans retenue, des mots qui s’en veulent libérer les effets de l’instant fugace et pourtant gravés dans l’insondable présent. Poète sans l’être, touché comme par la magie des lieux du temps et de l’espace, ces minuscules et attentifs regards de grâce, plongés dans les grains les plus enfouis de la terre, nous émancipent de tout et nous valsons sur les touches palpables d’un piano, notre incommensurable brisure comme étrangement inconnu, puis flottant dans la vastité de notre liesse évasée que conjuguent des moments, conquise par un ciel généreux. Gratuité de l’instant, indifférent à tout échange mercantile, libéré des conventions, des stratégies qui n’ont jamais éclot dans notre monde, aussi libre que la corolle au vent, ivre des épanchements, buvant les miroitements de l’eau au soleil des incandescences. Poésie éternelle, suave près des indistincts moments de la beauté du cœur et le poète semeur dans la vibrante éloge, puisque des mots, il s’enivre et verse des notes que le vent emporte dans sa course amoureuse. Lyre réelle.