Miroir 鏡子

L’enclos

Le nouveau monde s’approche tant l’ancien est usé ; une écume à bout de souffle, un sursaut dans ce qui est dévasté. Les décombres parlent et disent ce que peu désirent entendre, alors, tu viens en secret, et nous conversons durant un indicible moment, tandis que les mains s’ouvrent sur un enclos enclavé, les touches noires et puis bleutées. Elles ont les sucs d’un rythme éprouvé. Nous survolons chacun toute une vie, puis une autre et nous n’osons voir ce monde transpercé. Non ! Nous n’osons même le dire. L’as-tu senti ce léger clapotis du monde nouveau ? T’a-t-il effleuré ? Ce frémissement de la cité et l’œuvre du vent qui souffle sur les cœurs préparés. Recevez ! Recevez ! lance-t-il, avant que tous périssent. Les portes se sont-elles fermées ? J’entraperçois un long couloir. Il n’est pas de ce monde. Une passerelle ? Je marche seule et l’entends me suivre comme épris, comme ivre. Je lui tends la main et lui dis : Viens ! Allons, continuons ! Nous nous serrons très fort l’un contre l’autre, car la peur nous submerge. Mais, l’inconnu se transforme en être de lumière. Nous lui emboîtons le pas. Vite, vite ! Le temps presse. La porte est impitoyable et les gonds bruissent et grincent avec impatience. Vite, vite ! Viens, continuons, la vision est face à nous comme un monde nouveau. Il ne s’agit pas d’enclore un chemin, mais de l’ouvrir avec précaution. Une substance luminescente touche notre cœur. Est-ce une flèche ? Est-ce une lance ? Elle brûle, elle fait mal. Le vent reprend son périple et nous rassure : N’ayez peur, les êtres sincères baignent dans le lac de Lumière jusqu’à septante fois, mais parviennent toujours de l’autre côté !

____

Aquarelle de Jeremy Ford

Ciel

J’ai vu le ciel palpiter,
C’est là que je vis,
Des corolles d’azurée.

Je n’irai pas ailleurs,
Ma douceur d’éternité :
T’avoir rencontré.

Je ne changerai pas une seconde,
Te parler encore,
T’aimer.

Vision

Le monde a disparu,
Englouti,
Et voici que suspendu,
L’étang sème,
Flottement impromptu,
Je meurs à l’instant,
Plaines éternelles,
Le son des gloires des inconquis.
Entends-tu la vision qui égrène ?
Etrange oraison,
Sur un fil inconnu.
Le monde a disparu,
Qui donc est apparu ?

Correspondances XLIX

Très cher,

Nous avons cette propension à ne voir que le bien chez l’autre. Nous ne savons pas projeter autre chose que cette réalité. Nous avons appris à aimer dans la relativité, à ne voir en l’autre que le meilleur. Plus encore, nous sommes venue au monde avec cela. Néanmoins, ce qu’il nous a été donné de comprendre en cette vie, c’est que le meilleur chez l’autre est dépassé par l’absoluité d’un autre meilleur. Seul Lui est l’absolu, synthétisant le meilleur du meilleur. Ce qui ne nous a pas été enlevé, c’est précisément que nous continuons de voir par ce meilleur. C’est parce que nous voyons le meilleur du meilleur que nous voyons ainsi. Aussi, sans être dupe de rien, nous avons vu cette réalité lumineuse qui ne meurt pas. Elle est liée au fait d’une réciproque reconnaissance avérée ; elle est liée au fait que la relation essentielle est touchée par l’esprit et en témoigne. Mon très cher bien-aimé, l’Amour qui nous lie est un Amour qui s’inscrit en ce par-delà. Il s’agit de la plus pure amitié, celle où toutes les projections s’effacent, celle où les cœurs se rejoignent, où les yeux deviennent des phares, quand palpitent nos âmes. Nous avons trouvé notre humanité au détour d’une allée. Elle nous a surpris. Elle nous a suspendus dans sa totale et vibrante légèreté. Elle nous a amusés. Elle nous a appris. Elle nous a même heurtés et libérés notre espace intérieur. Mais, nous nous sommes parlés et nous avons entendu. Là-bas, deux cygnes survolent le lac, et au-dessus de nos têtes, le ciel s’est couché sur le miroir de notre regard. Les plissements d’un sourire effleurent les courbes d’un arbre. Je vous tends la main. Cela suffit.

Repertorium

L’on me dit : Entre !
Il vint sans transition,
L’océan de nos mots.

Il me dit : Plonge !
Je plongeais bien plus loin,
Etoile du matin.

Il me dit : Viens !
Je m’accrochais à une larme,
Notre ciel turquin.

Il me tint la main,
Mon cœur fit un tour,
C’était le Sien.

______

Illustration d’Alphonse Mucha