Ces airs d’autrefois

Le cœur a toujours eu chaud,
Il avait mille pattes,
Il dansait,
Un air plein d’entrain,
Celui de mes ancêtres lointains,
Ne m’en veuillez pas,
Des airs de balalaïka,
Des couleurs sur les toits,
Le cœur a toujours eu ces sursauts,
Plus cela va vite,
Plus il est léger,
Et des plaines enneigées,
Quand nous dansions,
Avec mes trois bambins,
Nous faisions,
Kaline Kakaline,
Rions aux éclats,
Puis, je leur chantais,
Katioucha,
Sans oublier,
Dorogoï Dlinnoyou*,
Ne m’en veuillez pas,
L’âme slave,
Est remontée, d’un orient lointain,
La robe virevolte,
Et je ne sais pourquoi,
Je revois,
Nos épaules qui font ces entrelacs.

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Mouche

Etions-nous hantée par le mot ? L’on y touchait avec le doigt, juste de l’encre noire sur une page blanche. Mais, était-elle si blanche cette page ? Notre corps disparaissait. Nous n’avions pas d’âge. Nous avions un an, puis deux, puis trois, mais nous n’avions pas d’âge. Une main nous serrait très fort. Était-ce un étau, était-ce autre chose ? Le mot pouvait bien être un point, ou bien une mouche, pourquoi pas ? Celle-ci dansait avec ses drôles de petites ailes vitraux. La mouche se frottait à la page blanche, y traçait un sillon et il était noir. Beau noir de l’accomplissement, le parfait, la couleur sans nuance. La mouche voletait ici ou là. A bien considérer les choses, nous n’avions véritablement pas de corps, ou bien le corps avait-il été façonné dans une matière inconnue ? En y pensant longtemps, je le crus possible. En cette réalité de l’instant, tout était possible, n’est-ce pas ? La mouche effaçait les mots, en traçait de nouveaux ; parfois, cela était de petites tâches, très bénignes au demeurant, de si petits points et il fallait pouvoir en trouver le décodage. Pourtant, le mot avait bien commencé quelque part. Il avait dû apparaître dans l’obscurité des temps reculés. Ou peut-être en pleine lumière ? Les mots ont toujours gigoté. Ils ne tenaient pas en place. Il fallut beaucoup de temps pour les voir enfin s’aligner. Néanmoins, lors que vous remontez jusqu’à l’origine du mot, vous comprenez que ceux-ci ne vous appartiennent absolument pas. Ils viennent d’un monde bien précis, bien probable. C’est la mouche, voyez-vous, qui me le confia alors que je lui donnais à boire…

Dix mille pachydermes

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Dix mille pachydermes sont passés,
Mais aucun Baobab sur le chemin,
Le soleil effleure la savane,
Comment avez-vous survécu au déluge ?
D’une graine, dix mille encore égrènent,
Point de girafe au long cou,
Les caïmans pâlissent devant les pâturages verts,
Ne soyez pas ignares, les crocodiles le disent :
Quelques larves avérées et quelques criquets.
Non, ne soyez pas crédules !
Rien de tout cela n’a existé.
Comment ? Vous doutez ?
Je vous le dis de net : je ne vous crois pas.
Vous n’êtes ni ceci ni cela.
Avez-vous existé ?
Est-ce le parfait déni ?
Oui !
Je ne vous crois pas.
Mais vous, êtes-vous bien là ?
Comment, vous ne le savez pas ?

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Œuvre de Annie Walkowiak

Traversée

Chers amis,

Une traversée remuante sur toutes les strates diverses du corps et de la conscience. Cette belle traversée, si éprouvante qu’elle soit, nous donne à prendre encore un grand recul sur toute chose. Je suis ici, et je n’y suis pas. J’y suis toujours. Au-delà des flots, l’eau demeure intacte et fidèle à elle-même. Peut-être serai-je de retour, peut-être non… Je vous souhaite de tout cœur, une belle traversée, aussi.

A bientôt…

Béatrice

Le monde est un Cantique

Combien de fois, à la lueur de la lune, les êtres insolites revêtus de moussus luxuriants, traçaient sur certaines roches agrippantes, nos rêves entremêlés, et c’est d’avoir longé les frondaisons odorantes que nos âmes, toutes deux, se sont épanchées abondamment. Nous marchions le cœur palpitant et nous semblions aussi grands que le vent. Elles parlaient, à l’aube naissante, ces vestiges du généreux Amant. Nous entrions dans le murmure et nous respirions l’exhalaison de nos élans, comme ne sachant plus vivre autrement. A l’heure qui trépasse, élégance d’une continuité, il est un soupir riche de sillons d’argents et nous reposons sans cesse, les clés du firmament sur quelques partitions de mousses. Nous ne savons rien et ce sont les bruyères qui nous ouvrent un mystérieux espace. Combien de chants opalins, de nacres ondoyants à nos lèvres sidérées par ces jaillissements ! L’or est un ruisseau dans lequel baignent certaines créatures apparues depuis la lune blanche, puis glissant vers les dunes d’un sortilège exaltant. L’onde sereine palpe l’horizon et dit : Comment ? Des petites ailes poussent pour taquiner les larmes de l’enfant. Comme elles effleurent ces allégresses et comme elles sont désormais la clarté secrète d’un enchantement ! Je les ai vues, mille fois et encore mille autre fois. Quand elles apparaissent, elles entament le plus beau des chants. Je répète tout comme l’onde : Comment ? Et ces êtres éthérés rient et dansent de par les grâces précieuses d’un cristallin. Alors, au fond des bois où je vis, un autre chant plus puissant s’élève et l’on me souffle : Vois ! le monde est un Cantique, et nos cœurs résonnent sans discontinuité, au pouls de notre Amant.

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Illustration de Georges Soper

Nous ne sommes pas dupes

Peinture (détail) de CHIE YOSHII

Nous ne sommes pas dupes, nous ne l’avons que très peu été.

Nous n’avons pas vécu grisée par la duperie, mais nous avons tout de même été dupe de nous-mêmes. Cette seule faille nous a valu de retenir les temps de nos deux mains, peut-être aussi de nos deux mâchoires ; cette faille a eu pour effet de retenir les temps, puis le temps d’un monde qui n’a jamais eu véritablement d’impact sur nous, car nous étions libre, libre jusqu’à la moelle, libre jusqu’à ce qu’un immense éclat de rire nous ceint de ses deux bras et nous montre combien nous tenions le bon fil. L’homme n’aime pas entendre la vérité, oui, c’est vrai. Par conséquent, comment expliquer que nous avons eu l’audace de nous tenir face à elle, et même de plonger dans son flot vagabond ? Nous avons couru, comme tout le monde, oui, nous nous sommes prise au sérieux, comme tout le monde, puis, quelqu’un a tiré, derrière notre dos, cette chemise, la chemise de nos prétentions, manquant même de nous étrangler. Il nous a retenu d’une poigne ferme et nous a demandé : où vas-tu ? Quelle sorte d’extravagance nous a prise ? Quand le temps s’arrête, nous entrons nu dans la vallée. La vallée est d’abord la vallée de la peur, incisive, oui sans conteste ; elle est assurément le rendez-vous avec la vérité et la vérité est extraordinaire. Peut-être vous en confierai-je quelques secrets ?

Noël

Joyeux Noël à tous * Merry Christmas to all

Parce que chaque instant est le premier, et parce que chaque instant est le dernier, le souffle si précieux, parce que nous buvons à Celui-Seul qui abreuve, nous sentons la joie de devenir autre, mourant et vivant à chaque réalité, découvrant Son Secret. A la mort nous Le voyons, à la vie nous Le voyons, et quand nous L’accueillons, au dernier souffle, Il est Le Premier. Cette nuit, à chaque instant, est la nuit, et l’aube d’une nouvelle journée. A chaque étreinte, nous sommes Son Décret, et chaque jour, Il œuvre, quand la nuit est la douceur de notre rencontre.

***

Je vous souhaite de vivre ces moments de douceur, au foyer de votre cœur, cette nuit et toutes les nuits à venir. Je vous souhaite le plus beau cadeau qui s’offre, celui qui n’est visible que par le cœur, aux yeux grand ouverts, en la lumière de votre maison intérieure. Puissiez-vous être touchés par Sa Grâce, et vous en souvenir, nuit après nuit, jour après jour. A tous, douce et luminescente nuit d’Amour, de paix et de joie !

Béatrice D’Elché, le 24 décembre 2021

Confidence d’un servant

機密

L’art de dresser une table au milieu d’un salon, sans prétention, en posant une simple chandelle. Celle-ci tremble de toute sa flamme dans la nuit éclairée par le petit geste d’un souffle. Mettez-y un capuchon, ou bien une feuille d’érable d’un vermillon prononcé. Grenade émerveillée au-dessus d’une nappe mordorée. Quel est donc ce poussif élan forcené, au-delà des pins sylvestres ? Plait-il à sa majesté de poser son séant à la place indiquée ? Non, par ici, majesté, un fauteuil d’une couleur grenat vous est réservé. Comment faites-vous pour continuer de vivre sans être indigné, sans même vous révolter ? La vie ineffable trace une certaine conformité, et lors que ce monde vous assigne à une résidence, portez-vous bien, innombrables petits numéros dans la vaste machinerie ! Comment faites-vous pour croire aux sornettes des palefreniers, des bas lignages et de certains chimpanzés ? Ah non ! je ne suis pas le moindre du monde contre la race des primates. Ce sont de petits animaux drôles et quelques fois espiègles, pouvant causer, néanmoins, de sérieux dégâts. Comment ? Que dites-vous ? Il me semble que nous tenons depuis quelques temps un fameux discours de sourds et de muets. Veuillez ne pas m’en tenir ombrage. Je suis, vous le savez bien, un enfant gâté.

Chers lecteurs

Étant absente pour une durée indéterminée, je ne puis ni suivre vos publications, ni publier mes écrits. Je vous remercie pour votre présence, et pour tous les précieux commentaires que vous laissez sur ce blog. Je ne puis y répondre avec attention comme je le souhaiterais, mais je le ferai dès que possible.

À bientôt chers amis.

Béatrice

Intelligence

#art de Convallaria maialis

L’intelligence ne meurt pas, puisqu’elle se cache là même où les pierres restent muettes. Tentez de la saisir et voici qu’elle vous rit au nez. L’intelligence a des milliards d’années, mais que dis-je, elle ne relève plus d’aucun nombre et se tient droite sur la citrouille, comme un homme qui marche lentement sous les étoiles. Elle a les allures fières d’un têtard, que dis-je, plutôt celles d’un lézard. Elle s’inscrit partout où vous semblez ne rien voir, puis elle vous vient par derrière tel un enfant qui vous surprend avec ses deux bras vigoureux et qui ne veulent plus vous lâcher. Elle trébuche sur le caillou d’un très implicite sentier et l’on voit passer un énorme cheval qui vous montre ses dents. Cheval de trait, dans un pré dont on ignore l’âge. Cette intelligence se glisse sous l’oreiller, puis rafraichit les rêves que l’on tarde à oublier. C’est un peu baroque, je vous le concède, mais que dis-je, la sauterelle vient de me confier quelque bonne nouvelle et peut-être que je suis sur le toit d’un parapluie qui vous dit merci comme l’on dit bonsoir, sans jamais se lasser, puisque le vent du large vous taquine et que la petite mélusine s’endort sagement dans un lit de mousses sauvages. Je rêve enfin de t’étreindre et de ne plus jamais desserrer mes bras fous de toi.

Peinture de Edward Robert Hughes