Très cher ami,
Je suis pleinement d’accord avec vous. Les mondanités, quelles qu’elles soient, me sont totalement indifférentes. Les salons littéraires, les exploits de la publication, les prétentions, les outranciers affichages, les postures intellectuelles, les mots sans substance, sans moelle, sans vérité me laissent de marbre. C’est bien à dix-neuf ans que j’ai tout quitté. Je me suis retrouvée dans une sorte de désert. Le vent soufflait. Le soleil était haut. L’on m’a dit : Abandonne tout ! Il s’agissait presque d’un ordre. J’ai regardé avec étonnement l’impérieux signe, avec le cœur, soudain, meurtri, mais j’ai obéi. Je n’ai pas triché. Le vent soufflait, très aride et j’étais courbée dans la poussière du grain immense. J’avais chaud, j’avais froid, mais, j’étais émerveillée d’avoir tout quitté. Je suis restée ainsi durant de longues années. Quand j’étais jeune, l’écriture me servait à vivre d’incisives introspections, des moments suspendus. Le calame bruissait, mais, j’entrais dans les plus abyssales profondeurs. Les mots me burinaient et je devenais leur instrument. J’accueillais cela avec un grand bonheur. Avec les mots, j’allais dans le silence. Mais, l’on me dit : Tu seras absente de la scène publique. Alors, j’acquiesçais. La vie a le goût puissant de la vie. Point besoin de regard, point besoin de compagnon. De toutes les façons, le compagnon arrive, tôt ou tard. S’effacer est un long apprentissage. Alors, mon ami, je suis d’accord avec vous : l’essentiel nous a dépassé. Il nous tient avec vigilance dans le véritable monde. C’est en lui que l’on découvre l’enseignement, la beauté. Nous balbutions, nous tombons, nous nous relevons et nous continuons. En cette intention, notre cœur devient un miroir. Il nous révèle notre être. J’ai vécu ma vie de femme, ma vie de mère, ma vie au sein de la vie. Mais, le milieu était le seul fil conducteur. Il a écarté les branchages. Il a montré le ciel.
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