L’archéologue

Au milieu des ruines, au milieu des pierres, il était un monde. Ensevelie, cette terre, ainsi que les vestiges du passé, et au sein même de ces fragments, quelqu’un vint. Il s’accroupit et à l’aide d’un minuscule et dérisoire pinceau, il épousseta la pierre. Il parlait à ces morceaux du passé, éclatés de mille refuges, de signes muets. Pourtant, il leur parlait, plongeant en leur écueil, en leurs mots oubliés. Il leur disait des tendresses ; il leur chantait. Elles se mettaient à ruisseler de fièvre, d’étranges souvenirs, d’images tremblantes et plaintives. Certaines se mettaient à scintiller et il les comparait aux rayons d’un lointain soleil, celui d’une autre galaxie. Il pouvait rester des heures ainsi, perdant la notion du temps, oubliant la faim et la soif. Quand il levait la tête, il s’étonnait presque d’exister. Les ruines lui parlaient, lui révélaient des secrets. Certains lui étaient intelligibles et d’autres s’avéraient être une indéniable et profonde énigme. Tout son corps palpitait, et son cœur s’unissait à ces mouvements incontrôlables. Il lui arrivait de voyager très loin au milieu de ces somptueux vestiges. Ce n’était plus de simples ruines, mais des mondes et des mondes insoupçonnés qui s’offraient ainsi. Parfois, la magie était telle, qu’il se retrouvait à des années lumière de là. Il rencontrait une multitude de personnages, la plupart inconnus. Pourtant, ceux-là lui confiaient des pans ignorés de l’histoire, des chaînons manquants dont la divulgation aurait provoqué, à coup sûr, de considérables séismes. Il aimait à les écouter et leurs propos le plongeaient dans une subtile et merveilleuse féerie. Il finissait par revenir. Il revenait toujours. Mais il n’était jamais le même. Chaque connaissance l’isolait un peu plus du monde entier. Chaque nouvelle était pour lui la plus grande des épreuves. Ce qu’il ressentait était au-delà des mots. Ce qu’il rencontrait était au-delà des possibilités d’accueil de ses contemporains. Alors, il repartait. Il repartait avec l’ivresse des fous. De ceux qui avaient trouvé le trésor, l’inépuisable source de vie.

Publicité

Vieux conte de Noël

Des démons arpentaient la ville et marchaient par trois, serrés les uns contre les autres. Ils se demandaient s’ils étaient bien à leur place. Pourtant, ils continuaient obstinément de traverser les ruelles. Parfois, ils couraient dans tous les sens et se postaient devant, derrière, au-dessus, au-dessous et face aux gens. Ils s’estimaient très rusés, voire beaucoup plus intelligents que les hommes. Ils sautillaient, faisaient d’atroces grimaces, se vantaient à qui mieux mieux. Il leur arrivait de se quereller comme le font fréquemment les singes. Mais ce qui les occupait par-dessus tout, et cela de façon quotidienne, c’était leur moquerie à l’égard des hommes. Selon eux, démons qui savaient tout sur tout, il n’y avait pas plus idiots, plus simples d’esprits que ces misérables êtres. D’ailleurs, ces derniers trouvaient tout à redire. Ils établissaient entre eux des codes que l’on pouvait très vite discerner : n’étaient-ils pas l’incarnation de la hargne, de l’hostilité, de la rancœur, de la jalousie, du fiel, de l’amertume, des sempiternelles critiques, des rivalités puériles ? Le pire de leurs nombreux travers, et non des moindres, étaient, bien entendu, l’orgueil, le terrible orgueil. Celui qui aura pu assister à leurs interminables débats, aura tôt fait de constater qu’ils passent la majeur partie de leur temps à tout remettre en cause, à s’étaler sans vergogne et à user de leur pouvoir de manipulation afin de semer la confusion et le trouble. Comme ils étaient intelligents, jamais, oh grand jamais, ils ne s’abaisseraient à suivre les idiots, les simples d’esprit ! Ils avaient décidé de détruire ce qui demeurait de joyeux, de tendre, voire d’innocent chez les hommes, et tout cela, en imitant cela-même qu’ils condamnaient. Pourtant, l’on pouvait aisément percevoir leur propos acides, hélas, entremêlés de sucreries et de mielleries. Alors, il advint ce qu’il advint. Un jour, un enfant se tint face à eux et les regarda longtemps, sans sourciller. Puis, il éleva la main avec Amour vers le Ciel et prononça ces simples mots : Je ne serai jamais comme vous. Je ne vous suivrai pas. Je ne vous écouterai pas. Vous ne m’intéressez pas. Votre combat n’est pas le mien. Je vous le laisse. Aujourd’hui, plus que jamais, je resterai l’idiot. Cela me va bien.

L’autre monde

Tu vins depuis un autre monde, et tout de toi me le disait. Nous chantions des volutes de regards et je penchais la tête, si près de ton épaule, tandis que s’évanouissaient les rivages. Tu vins depuis la densité des prairies, et j’écoutais ta voix, hissée jusqu’aux arbres, car d’eux nous fûmes traversés par les brises venues des pays lointains. Les branches devenaient des mâts et des cordes, les voiles d’un navire voguant sur un océan aimanté. J’aimais te déclamer les verbes de l’azurée et tu lisais, oui tu lisais dans le silence qui frémissait de ta voix grave, et nous dansions, ivres, oui nous dansions, entrelacés par le chêne et le platane. Bénis soient ces jours ! Tu vins, Ô étranger, tu vins et le monde s’effaçait tandis que l’univers nous accueillait avec les bras de Cassiopée. Nous remontâmes les déluges, et nous visitâmes les corps célestes. Nous dépassâmes la Terre, le Soleil et la Lune. Nous vîmes les planètes s’aligner en une ronde et nous les saluâmes, tandis que dans la Paume Divine, le monde se tenait en un minuscule point. Le jardin était un autre jardin. Ta lumière inondait l’aurore de mon âme et je découvris une autre Terre, un Eden subtil, une efflorescence d’un vert rayonnant. Les cascades ressemblaient aux cascades, mais, ce n’était pas les cascades. L’eau ruisselait telle une multitude de soleils fondus dans une effusion crépitante de joie.

Lire la suite

Le caillou

Le caillou éclot telle une fleur. Celle-ci apparut sous la forme d’une rose. Or, le caillou s’émut d’avoir recélé semblable fleur. A la pointe du soulier, une minuscule ballerine, l’air se suspendit. L’on n’entendait rien des kilomètres à la ronde. Le regard se posa sur ce caillou qui se mit à parler à la jeune fille. Il changea de proportion, s’étendit partout. Me vois-tu ? interrogea-t-il. Le cœur de la jeune fille battait très fort. Elle avait toujours entendu l’appel des éléments, ceux des objets et même ceux des animaux. Tout de la vie lui semblait être un regard et celui-ci avait la puissance du langage. Elle n’était pas étonnée, mais elle ressentait en son cœur une exponentielle extase. Quelle pure merveille ! Lors qu’elle tendait les mains, cela la caressait. Les craquelures automnales libéraient les effluves de la terre. Ces senteurs la submergeaient et la vie se mettait à danser. Elle remercia le caillou, la rose et toute la puissante manifestation. Tout venait de ces roches qui s’humectaient de verdure ; tout venait de ces troncs d’arbres qui demeuraient immobiles et imposants. Plus loin, à des lieux inexprimables du temps, l’Arbre lui confia cette sagesse : Ne t’attache pas à ce qui passe ! L’écho retentit longtemps. Il marqua la jeune fille d’une empreinte indélébile. Les feuilles sont l’image vivante des cycles. Efface les feuilles, ne reste que le tronc. Puis, efface le tronc ; ne demeure plus que son image ! Puis, efface l’image ! Car, ton cœur vibre encore par elle. Efface donc les sensations ! Ne demeure plus qu’un lien entre toi et l’Arbre. Tel est le secret.

___

Peinture de Nicholas Hely Hutchinson

Monde crépusculaire

Doux ruisselet, épanché de grâce, discret le long de la rive, barbotant tel un canard sauvage ! Le lilas refleurit aux senteurs d’une main qui s’y pose, et vois-tu, la révérence du jour pointe sans demande, sans imprécation, sans violence, s’écoulant comme un matin nouveau, sur le mur ancien et, la branche salue le passant. Dans le pays de l’âme, il y a une lumière qui ne dit pas ses mots : elle tremble au soir d’un monde qui s’étrangle, les nœuds d’une image infernale. Au centre, la lumière bâille et la porte s’ouvre sans bruit. L’on y aperçoit une nymphe et puis une créature que l’œil ne sait encore nommer. Des eaux lustrales, l’elfe asperge de rosée les premières lueurs de l’aube. Un bourdon enhardi vole et le papillon le suit transi d’Amour, effeuillé par le vent léger tandis que l’âme conçoit un soupir, puis un autre et le corps s’éveille et les bras chantent. Une multitude de feuilles s’échappent telles des mains éparpillées aux quatre coins du monde. Le chêne lance des glands au loin, comme le semeur d’étoiles. La roche devient l’appui des lutins mutins. Le clapotis les occultes derrière une senteur de mousse. L’on voit s’élever des poussières dorées et des noms de joie se transforment en éventail : Eléonore ! Madrigal ! Partition ! Odorée ! Saint Graal ! Donjon ! Pierre tombale. Epopée ! Chevalier ! Le ruisselet en est tout ébaubi. Paladin, destrier ! Le Gué ! C’est là que s’endort Arianne. Où nous conduit son monde enchanté ? Au pied d’une muraille, le labyrinthe et les bottes de sept lieux. L’on vient à peine de s’éveiller.

Le géant et la lettre

Il s’agissait d’un géant aux mains rustres, des mains qui ne lui servaient strictement à rien et il les laissait pendre partout, tandis qu’il marchait, le dos bien rond, le torse rentré. Ses deux mains, il parvenait à les soulever et se mettait à les tourner dans tous les sens. Etaient-elles semblables à ces marionnettes que l’on jette sur un drap blanc en ombres chinoises ? Son cerveau ne lui faisait guère parvenir les messages clairement et il tournait ses deux immenses mains avec beaucoup d’étonnement. Ce géant des montagnes se nourrissait d’herbes sauvages, lors qu’il s’allongeait de tout son corps et broutait comme les moutons. Il se lavait en plongeant dans le lac argenté. Mais, toujours, il était fasciné par ses deux larges paumes, par ses doigts potelés. Il les faisaient danser avec une grâce insoupçonnée. Ce géant solitaire marchait lentement et s’amusait à regarder les oiseaux voler. Certains s’aventuraient jusqu’à lui et il leur souriait avec une joie profonde. Un jour, cette incroyable créature trouva une enveloppe sur le sol. Etonnamment, elle avait volé jusqu’à lui. N’avait-elle pas traversé mille océans, portée par le vent, son ami ? N’avait-elle pas affronté les vallées, les forêts inextricables, les ouragans, les dragons de la contrée des vieux pirates, franchi les sept continents ? La lettre avait pour mission de le trouver, de trouver ce géant. Elle avait même failli être engloutie par un boa et lui avait échappé de justesse. Mais la lettre, qui avait bravé toutes les épreuves, se répétait avec une grande obstination : Je dois le trouver ! Je dois le trouver ! C’est alors que la délicate enveloppe, qui contenait la fameuse lettre, arriva jusqu’aux pieds de notre géant. Il se baissa et spontanément, fit usage de ses deux mains. Il saisit avec beaucoup de prudence, avec une réelle élégance, cette précieuse missive. Elle se transforma aussitôt en la plus belle des créatures jamais vue. Elle se tint sur la paume du géant avec une grâce peu commune et lui fit une révérence. Les yeux du géant s’écarquillèrent et il entendit, au fin fond de sa caverne intérieure, les battements de son cœur. Il comprit enfin pourquoi il avait deux larges mains. Il comprit, que tout ce temps, elles l’attendaient, elle, cette si fragile lettre.

Yisha

Certains jours, et ces jours n’étaient pas d’égale mesure avec celle que nous connaissons sur cette Terre, Yisha apparaissait sous la forme la plus étrange qui soit. Très peu le reconnaissaient. Il arriva même qu’il vint chez les habitants de ce monde sous la forme d’une grive. Il voletait à travers les branchages, s’installait tout près des habitants. Bien que la grive fusse très grande musicienne, quand Yisha prenait la forme de cet oiseau, il ne chantait pas. Il fixait plutôt, incognito, la personne de son choix et lui transmettait un flux puissant. Yisha aimait à se promener, invisible, dans les rues. Il saluait les âmes des mondes avec Amour. Cela réchauffait le cœur des uns et des autres, sans qu’ils sachent vraiment pourquoi. Son action discrète avait pour but de rassembler les gens, de leur enseigner certaines sagesses oubliées, de les rappeler à l’ordre, aussi. Yisha prenait toutes les appellations, toutes les formes possibles et inimaginables. Il lui arrivait de se faire appeler par son nom secret, son nom d’origine, du tout commencement, d’avant la création. Il soufflait, surtout à l’aube, les mots qui revivifiaient les créatures esseulées. Quand il se montrait sous sa forme humaine, il s’enveloppait d’un grand châle de laine blanche et couvrait sa chevelure. Ceux qui avaient un cœur aimant, un cœur prêt à recevoir, Yisha posait une main invisible sur leur torse, là où siège l’âme de lumière, et les bénissait. Il rencontra beaucoup de monde, s’assit à certaines tables, tint un discours durant des milliers d’années, compénétra les âmes, mais très peu, dans le fond, le suivirent. Il vint encore et encore. Mais très peu l’entendirent. Il apposa sa main sur les torses les plus rétifs, et ne craignit pas de fréquenter des lieux immondes. Yisha accomplissait chaque jour son œuvre. Regardez bien autour de vous, et peut-être le verrez-vous ! Plongez bien en vous, et peut-être apprendrez-vous !

Rêve d’une horloge

.

Une horloge pivote, cligne des yeux et le balancier sursaute. Il lui vient des bras et des pieds, des pupilles pour regarder. Elle s’étonne tout rond d’un drôle de monde et s’immobilise l’instant d’un vol d’épervier. Son cœur s’élance dans une course-poursuite, le temps d’un pigeonnier. Plus loin, elle prend ses jambes à son cou et se met à voler. Ne lui posez aucune question, elle devient invisible et rougit à l’heure qui cogne fort tout contre ses aiguilles. Cette horloge n’est pas de ce monde, vous en conviendrez, mais chut, le sablier la vient compagner. Il lui fait le récit d’un voyage jusqu’aux dunes d’un fabuleux désert, et savez-vous ce qui lui est arrivé ? Il a rencontré le célèbre marchand de sable et une créature ailée. Cette dernière lui révèle le secret des montagnes, pourquoi elles s’agitent le soir et comment elles attendent l’heure. Alors, l’horloge l’interroge sur leur secret, mais, la créature ailée s’envole dans un ciel parsemé d’églantiers. Les pétales rougissent et plus loin, l’horloge voit s’effacer mille océans, tandis que sont déversées des flammes tentaculaires et le monde de s’écrier : Comment ferons-nous si les océans disparaissent ? L’horloge pivote de nouveau et tremble de tout son balancier. Le temps s’est-il écoulé ? L’horloge sait que cela n’est rien devant la vérité… Rien de cela n’a vraiment existé. Le monde et ses bruits ; la ville et ses orgies ; la cruauté et les dénis ; les heurts et les combats ; les couleurs et les émois ; Elle n’y croit pas. Elle se plante toute droite, et n’y croit pas du tout. Ces gens sont des fous incarcérés, mais ils ne le savent pas.

Le tombeau

Une princesse des temps lointains – étaient-ils si lointains que cela ? – s’était fait construire au-dessous de sa chambre, une petite pièce secrète, par laquelle on accédait grâce à un étroit escalier en pierre. Lorsque tout le palais semblait plongé dans le plus profond des sommeils, la jeune femme empruntait discrètement l’escalier pour descendre dans ce qui ressemblait fort à un caveau. Cette belle princesse, animée par une sorte d’appel intérieur très puissant, en dépit de tout bon sens, avait exigé que l’on construise un tombeau, et chaque nuit, s’y glissait afin d’y dormir. Y dormait-elle réellement ? Quelques-unes de ses proches servantes la suivaient avec une déférence sans pareille. Il régnait en ce caveau un pieux silence. Une chandelle éclairait cette sombre cavité. Les servantes s’allongeaient tout autour du tombeau de la princesse. Tant de grâce et de délicatesse accompagnaient cette singulière cérémonie ! La paix descendait en cet endroit insolite et submergeait les jeunes femmes endormies. La princesse se levait toujours vers la deuxième moitié de la nuit, lors que le temps se suspend et bascule dans l’irréalité. Elle effleurait de sa main, avec beaucoup de douceur, la tête de chacune de ses proches servantes. Elles les aimait comme l’on aime ses sœurs. La princesse marchait sur la pointe des pieds et faisait le tour de la pièce en souriant. Elle savait, qu’à ce moment de la nuit, une porte invisible s’ouvrait et qu’elle pouvait rejoindre le vrai monde. C’était ce que le tombeau lui avait appris et tellement d’autres choses inouïes !

________

Peinture de Konstantin Egorovich Makovsky ( 1839-1915 )

Hathor

Les âmes se rencontrent, n’en faisant plus qu’une et les âmes se parlent, se donnant au discours, qui s’émerveille lui-même, des cœurs qui se rejoignent. Les uns se sentent en danger, dans la forêt de leur inextricable nuit sans lumière, tandis que les autres sont emprunts d’une compassion universelle. Mais pourquoi ?

***

Je surpris un étrange animal au détours d’un chemin. Mais, l’était-ce véritablement ? Alors que j’avançais en sa direction, n’éprouvant, étonnement, aucune peur, me frayant un sentier parmi les hautes herbes, celui-ci, subitement, se transforma en une femme de haute stature et son maintien forçait incontestablement une admiration sans réserve. Je n’avais pourtant pas rêvé. Il m’avait bien semblé apercevoir une sorte de mi-fauve et de mi-vache au milieu des champs. Cependant, cette femme extraordinaire se tourna vers moi, et je vis, qu’au-dessus de sa tête, un immense soleil flottait, répandant une lumière si intense, que je faillis m’évanouir. Une voûte céleste s’ouvrit et révéla une myriade d’étoiles.

Lire la suite