Miroir 鏡子

L’art de l’instant

L’art de dresser l’instant, murmure furtif d’un espace qui s’ouvre, âme accueillante. Comme est beau l’effacement, l’oubli du verbe actif, l’oubli de tous les mots qui rêvent sans pouvoir atteindre la rive ! J’ai oublié, dit le vent, j’ai oublié, tout ce qui n’est pas la source vive, j’ai oublié, au cours du voyage, les océans multiples des feux et des dérives. J’entends, saisi par ton âme née au creux de mes bras, j’entends la main s’étonner depuis le berceau de notre union, l’air, l’eau, le feu, la terre et la lumière, j’entends chacun te ramener un présent. Vois-tu comme le temps n’a rien de réel, et que sur la ligne, je murmure le souvenir d’un autre temps, celui d’un autre lieu ? Si tout disparaît, je suis cette disparition et si tout apparaît, je suis cette apparition. J’ai tout perdu, et c’est pourquoi je suis libre. Lors que tu ne me vois pas, je suis derrière chaque feuille qui tombe, et je suis soudain le jaillissement d’une parole, dans les rayonnements d’un soleil intérieur. Le parchemin a comblé un vide, et je lis à l’aube, je lis le frissonnement de ton Amour. Dévêtue de toutes les vêtures, une couronne flamboie à l’éveil du Souffle. Quand je disparais, vois-tu comme le vent me cherche et me ceint de ses mains tandis que je vacille et que soudain, frémissent les corps de chaque conscience. A la lune, notre amie, je me suis confié, et elle m’a ouvert à l’éloge de la grandeur. La poésie n’est pas un leurre, déclare-t-elle, mais un corps qui se consume après un long voyage, qui s’exhume de tous les rêves, alors que s’effacent, une à une, des traces de poussière, poussière soulevée par toutes sortes d’incohérence. Entends-tu l’instant te parler, délicat et aimant, te dire ce qui fait être substance ? Cher, tu m’es encore plus cher d’avoir entendu le vent, plus encore, d’avoir suivi les ruissellements que contiennent nos fruits gémellaires, ceux qui ont atteint ton cœur tremblant et sur la table, je tends la main pour rencontrer l’éloquente confiance, celle de nos yeux qui se font révérence. Ici est le parfait bonheur.

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Peinture de David Brayne

Douceur d’un ami

La douceur d’un ami, exceptionnelle douceur, réunit toutes celles qui sont en nous, puis au-delà, cette douceur devient la manifestation du muet étonnement, langage universel de l’âme. Nous sommes ce monde que nous percevons à travers une seule palpitation, celle qui nous donne à l’union. Ardemment, durant mon enfance, j’en avais le pressentiment. J’épousais ciel et terre, mais la terre et le ciel m’épousaient aussi. Il n’y avait aucune sorte de séparation, aucune. Certes, il fallait courir rejoindre un drôle de monde, franchir le portail de l’école, s’assoir avec les autres enfants, écouter l’instituteur ou l’institutrice. Enfant, il me fallut déployer de grands efforts pour ne pas m’échapper par la fenêtre et voler vers les nuages. Il me fallut résister une multitude de fois, face à la puissante attraction d’un autre monde, celui qui jouait avec mes sens. Paradoxes se chevauchant, j’aimais beaucoup apprendre et me concentrer sur le tableau noir, les traces d’éponge se mêlant à la craie. Je regardais l’adulte qui se tenait debout, face à nous et l’écoutais presque religieusement. Mais, je retrouvais l’ami, surtout au milieu de la nature. Il dilatait mon âme et je me sentais littéralement disparaître dans ces sensations étranges, me fondre avec quelque chose que je ne nommais pas. Il n’y a quasiment pas de violence en nous, ni de sentiments de révolte, ni de désirs de conquête. Tout est là. Tout est extraordinairement là.

Danse du Haïku

Excursion en montagne, le 24 janvier 2022.

Plait-il à l’instant de faire une révérence, ou bien plait-il à l’instant de se laisser attraper, fugace, comme une perle qui pointe à la plume d’une rencontre ? Osmose et fusion, au milieu du Souffle qui suinte. Discipline résurgente, comme une visite du vivant. Tiens ! que vois-je ? Qu’entends-je ? Cela est l’aube d’un firmament. Déclaration brève, non rebutante, une sorte de porte ouverte à la magistrale Beauté. Nous marchons en silence, et le paysage se transforme en une douce et profonde intimité, dialoguant avec l’étonnante suspension d’un soleil à l’horizon. J’ose à peine jeter un coup d’œil en arrière, et la silhouette des arbres alignés surgit sur le chemin étroit menant à la montagne. Lointaineté. Le soleil a disparu, mais sa lumière continue à donner au chemin une forme nouvelle. Une lumière qui vient d’un au-delà de l’astre. Je pose prudemment le pied sur la pente caillouteuse et parfois verglacée. Mon bâton m’aide à ne pas glisser. Je vais d’un pas prudent et remarque que le chemin révèle une féerie. Le givre jette sur les feuilles du chêne et les herbes sauvages, une suave laitance, tandis que les vieux murs en pierre blanchissent à la lueur du jour déclinant. De petites fluorescences apparaissent et clignotent discrètement. Sont-ce des étoiles tout le long du sentier, ou bien des créatures surnaturelles, scintillances qui nous font signe ? Le paysage s’immobilise et la présence est soudainement si puissante que je respire à peine. La nuit finit d’envelopper la montagne. Nous sommes chez nous partout. Partout est une maison.

La montagne décline,
Le soleil, notre ami,
Comme il nous suit !

Lire

Se vider pour lire ; se vider pour accueillir ; la toute première lecture, ces ondes furtives, au sein d’un grand Verbe, des milliers de touches légères, des sons qui se propagent, et encore lire, oui, lire, car lire c’est entrouvrir l’instant de son cœur. Telle est la première poésie qui fut la multitude de signes, déferlant tout d’abord en nous-mêmes, puis au large du rayon transperçant d’un ciel, transfigurant toutes choses ; tels sont aussi les mots que l’on cueille à la rosée de l’aube, sans penser qu’un jour cela a bel et bien commencé, et sans penser aussi que cela finira. Lire est une sorte de comptine, de précieux arrêts, d’une suite d’apnées au milieu d’une immense vague. Ah ! que dire de la merveille qui nous attrape et nous retient ? Que dire de ces instants qui ne s’écrivent plus, qui sont simples moments, fusionnants en eux-mêmes, tantôt grondants et tantôt joyeux ? Puis, lire pour se remplir, lire les mouvements d’une mémoire au sein d’un monde étonnant. Lire pour entrer dans les gorges profondes de mots écrits à la sueur des fronts. Lire pour apprendre et laisser le fruit d’un instant devenir l’enseignant. Lire et s’étonner, trouver un autre différent, un sentier, des cris et des pleurs, des silences offusqués, des mots inconvenants, des phrases suspendues dans le tourbillon du vent. Lire et aimer. Puis, lire pour de nouveau se vider. Laisser le torrent charrier tout ce que l’on connaît et traverser les peurs viscérales, les frissons de l’épouvante au milieu de nulle part. Nulle part. Cela résonne comme un abandon, un ultime naufrage, des hurlements. Puis désapprendre et ne plus lire. Tout quitter sans se retourner et soudain, comme en impesanteur, s’envoler.