
L’art de l’instant
L’art de dresser l’instant, murmure furtif d’un espace qui s’ouvre, âme accueillante. Comme est beau l’effacement, l’oubli du verbe actif, l’oubli de tous les mots qui rêvent sans pouvoir atteindre la rive ! J’ai oublié, dit le vent, j’ai oublié, tout ce qui n’est pas la source vive, j’ai oublié, au cours du voyage, les océans multiples des feux et des dérives. J’entends, saisi par ton âme née au creux de mes bras, j’entends la main s’étonner depuis le berceau de notre union, l’air, l’eau, le feu, la terre et la lumière, j’entends chacun te ramener un présent. Vois-tu comme le temps n’a rien de réel, et que sur la ligne, je murmure le souvenir d’un autre temps, celui d’un autre lieu ? Si tout disparaît, je suis cette disparition et si tout apparaît, je suis cette apparition. J’ai tout perdu, et c’est pourquoi je suis libre. Lors que tu ne me vois pas, je suis derrière chaque feuille qui tombe, et je suis soudain le jaillissement d’une parole, dans les rayonnements d’un soleil intérieur. Le parchemin a comblé un vide, et je lis à l’aube, je lis le frissonnement de ton Amour. Dévêtue de toutes les vêtures, une couronne flamboie à l’éveil du Souffle. Quand je disparais, vois-tu comme le vent me cherche et me ceint de ses mains tandis que je vacille et que soudain, frémissent les corps de chaque conscience. A la lune, notre amie, je me suis confié, et elle m’a ouvert à l’éloge de la grandeur. La poésie n’est pas un leurre, déclare-t-elle, mais un corps qui se consume après un long voyage, qui s’exhume de tous les rêves, alors que s’effacent, une à une, des traces de poussière, poussière soulevée par toutes sortes d’incohérence. Entends-tu l’instant te parler, délicat et aimant, te dire ce qui fait être substance ? Cher, tu m’es encore plus cher d’avoir entendu le vent, plus encore, d’avoir suivi les ruissellements que contiennent nos fruits gémellaires, ceux qui ont atteint ton cœur tremblant et sur la table, je tends la main pour rencontrer l’éloquente confiance, celle de nos yeux qui se font révérence. Ici est le parfait bonheur.
**********
Peinture de David Brayne