Ton jardin

Peinture de Michael Malm, Américain et contemporain

Ô toi qui écris depuis les sources fabuleuses,
Qui me surprends au plus profond de l’âme,
Par une touche ou deux,
Ô toi qui m’invites au prix d’une larme,
Sans fioriture dans le dédale des mots,
Ô toi, dans l’esprit d’un oiseau,
Dans le temps qui passe,
Sans séparation,
Je marche auprès de toi,
Et je te regarde.
Dans le bruissement d’une flamme,
Dans le crépitement d’une source,
Dans l’émerveillement d’une larme,
Délicat et peint de senteurs,
Dans le flottement d’une eau vive,
Dans l’intention pure,
Défiant les enracinements,
S’évadant par le cœur,
Quand frissonne l’humain,
Entre chaque pétale,
Dans un écrin délicat,
Sans froissement ni velléité,
Car il est fragile,
Le parfum,
Cette chose d’étrange facture,
Chez l’humain.
Ô toi qui écris avec une plume de cristal,
Sur les feuillures de la nuit,
Qui touche le toucher de ma main,
Ô toi qui visites ces brisures,
Serties de nos chagrins,
Adoucis par le temps d’un murmure,
L’homme retrouve un chemin,
Semé de retrouvailles
J’entends une montagne,
Mais, Ô toi, je suis aussi ton jardin.

Lait nourricier

Peinture à l’huile de Jean-Baptiste Jules Trayer, la jeune mère

Il jaillit du sein maternel, le silence
Il s’empare de la poésie et l’enveloppe,
Dans les campagnes profondes de nos mères,
Puis, il abolit la poésie, ce silence,
Car, il n’est de poésie qu’en l’absence,
Et le temps soudain frémit,
Afin que la poésie frémisse aussi,
Il en fait des mots suaves, ce silence,
Puis, il furète sous les feuilles mortes,
Que l’on respire comme les vestiges d’un vieil Empire
Les mains emmêlées de douces craquelures,
Sans que rien ne ruisselle d’aucune nervure,
Les clartés d’un jour que l’on admire,
La folie se moquant du silence,
Celui qui envahit lentement nos sens,
Et déchire la nuit d’une fine morsure,
Parce que le lait s’y expose allègrement,
De chair et d’amour sans défiance,
Dans le lien indéfectible des mots et du temps
Et que viennent les nuits d’un mois finissant,
Troublées par le froid qui mange un ciel empli d’étoiles !
Le lait du mot est le nectar qui vient du cœur.

Rencontre avec T (suite)

Oeuvre de Agnolo Bronzino (1503-1572)

Nous l’attendons de tous nos vœux, ces vœux que l’on cachent même à soi-même, ceux que l’on n’ose exprimer ; nous l’attendons, après avoir vécu d’apothéotiques conversions poétiques. Nous nous installons à la cime de nos aspirations, tout comme nous ouvrons le livre avec une fièvre sauvage. Nous avions balayé de nos petits doigts le bouton de lune, les morceaux de nuages, les feuilles matinales, regardé l’automne joncher le sol de ses brumes, explorer la saison exaltante jusqu’au bout des arbres. Nous rêvions.

Puis, le moment arrive.

Il fait un tour entier sur lui-même et me regarde avec une singulière insistance. Je ne le quitte pas un seul moment des yeux. Il est insolite, son visage mangé par le regard d’un brun vert. Il a des gestes lents et brusques tout à la fois. Il penche la tête et il me semble que toute sa personne m’est familière. Nous sommes-nous parlés ? Je ne me souviens pas vraiment. Je vais vers MM et lui demande si elle le connaît. Question stupide, puisque T est évidemment dans sa classe. Il me semble qu’il me faut lui parler ; il me semble que l’inévitable relation doive enfin s’établir. Je n’avais jamais agi ainsi auparavant. Mais T n’est pas comme tout le monde. Il me semble impossible de ne pas me lier à lui. Alors, je griffonne quelques mots sur un morceau de vieux papier que je conserve toujours sur moi et lui demande à brûle-pourpoint si nous pouvons devenir des amis. Lorsque T reçoit le mot, il le lit assez discrètement, puis lève la tête avec un sourire mystérieux. Il traverse le couloir qui nous sépare en quelques enjambées et me tend la main sans rien dire. C’est ainsi que débute notre invraisemblable histoire.

La pile de livres

Peinture contemporaine de Odysseas Oikonomou

La pile de livres, près du lit, s’empile dans un désordre agencé, et depuis longtemps nous remontent les livres qui ont le parfum d’antan, nonchalamment, près d’une chaise, ou bien d’une fenêtre. Parfois, les notes de Chopin fusent avec tempérance, et aussi avec un labeur méthodique que nous retrouvons dans l’immensité de la campagne de novembre, quand nous marchons enveloppée de lainage. La tête penchée, le stylo levé comme pour une pensée. La prose défile durant des jours entiers, dans une chambre devenue grenier. L’on voit les arbres embrasser la fenêtre, tandis que le froid commence sa lente intrusion à travers les dormants. Tel est le moment solitaire épris de douceur. Le dos à peine voûté, et les pensées se couchent sur la feuille mobile d’un devoir que l’on rendra, plus tard, au professeur. La nuit submerge les heures écoulées, et debout, un frôlement de rideau, à peine perceptible. L’on frappe à la porte, et des mains attentionnées apportent à la jeune fille, sur un plateau d’amour, le thé et quelques raisins blancs, ou à d’autres moments, quelques biscuits. C’est le temps d’une pause, le temps du regard. La mère ou le père repartent dans le furtif silence. L’automne est doux. Les livres s’amoncellent autour du lit, et les pages s’effeuillent à siroter la nuit.

Défi

La joie est le propre du défi,
Paroles du bien-aimé,
Ont ri de l’absurde,
Alors tout disparait,
Telle est la réponse définitive,
Et mille bruits ne sauraient nous nuire,
Et mille autres encore n’y pourraient suffire.
De tout l’amour que j’ai pour toi
Je n’enlèverai aucun point,
Ni même la moindre virgule,
Car si la joie conquiert,
Les montagnes se soulèvent.

Je reviens

Quand la patience a le goût de la nuit,
Quand le jour a la fièvre de notre patience,
Les préambules à la volée,
Font chanter l’alouette,
Secret des buissons,
Et que le vent m’emporte,
Durant la longue marche,
Vers l’étrange horizon,
Que tous mes soupirs,
Au souffle lent de mes pas,
Quand flottent les récits,
Que confisquent nos lignes imparfaites,
Je reviens, je reviens…

Le martelet

Extraordinairement complexe, mais extraordinairement simple aussi, la répétition marque allègrement le sens de la fidélité. Celle-ci est une sorte d’exaltante discipline. Elle vient d’une prédisposition à considérer ce qui advient comme un langage. Mais elle ne projette plus, néanmoins aucune attente. Cet épanouissement est une fondamentale délivrance. Il nous est permis de recevoir ce qui est une totale résurgence. J’avais, il y a quelques années déjà, lors d’un de mes voyages, observé quelques artisans, qui officient encore dans certains pays, à l’instar de nos provinces par trop aseptisées et où l’on ne voit plus grand chose s’offrir spontanément, et celui-ci martelait consciencieusement sur du cuivre, avec une régularité fascinante. De très loin, on pouvait entendre ses coups réguliers et cela brisait à la fois le silence, mais aussi le renforçait et même l’amplifiait. Je sentais les coups du martelet comme l’expansion même de ce prodigieux geste répétitif. Quelque chose de contradictoire, mais en même temps, quelque chose qui entrait dans les profondeurs de la vie. Les coups du destin, ceux-là même que Beethoven avait tentés de reproduire au sein de son poignant silence. N’est-il pas vrai que les battements du cœur sont à nous rappeler à cette unité ? A cet instant crucial, il n’y avait aucun bruit. Il n’y avait que le silence, et c’était paradoxalement magnifique.

Le jour finissant

Le jour finissant accueille, non pas certains écueils, mais une attention soutenue d’indifférence, non pas une quelconque amertume, mais une volontaire aptitude au recul et à la profonde démission face à un monde s’effaçant sous le simple effet d’un pinceau délicat. C’est par l’eau que nous versons, sans le moindre regret, l’infinitude d’un soleil déclinant. Quand le jour se termine, je ne respire plus, je ne parle plus, je laisse les étoles du silence embrasser les derniers rayons du soleil. Je ne chercherai plus à te dire, ni à t’expliquer, ni ne t’imposerai plus mon corps, ni rien de ce qui semble te projeter hors de toi. C’est ainsi que glissent les jours, et c’est ainsi que je te rends à toi-même, car notre regard ne vient pas du même soleil ni notre fleur n’a révélé les mêmes pétales, ni encore offert les mêmes nuits et c’est ainsi que je m’en vais comme le jour. Car là où tu ne m’as pas vue, je me retire en silence, je m’évanouis dans le regard absent. Tu m’as appris à abandonner toute chose, et tu m’as appris à vivre dans cette profonde solitude. Elle est aussi vive qu’une caresse, aussi enveloppante que nos bras.

Le châle

Portrait de Thomas Gainsborough, Angleterre

J’ai coupé le laurier,
Arrondi la lavande,
Soupiré devant la sauge,
Adouci le romarin,
Effeuillée d’automne fugace,
Un instant bleuie par la montagne,
Quelques morsures involontaires,
Sur la chaste bruyère,
D’une vérité qui m’enlace,
Sans encombrantes treillis,
Je marche seule,
A la lune ombrage,
Quand tremble le murmure,
La solitude m’attrape,
Le châle d’une promenade.

Le froid

Au début, le froid nous surprend,
Au midi de son gel qui fleurit,
Le ciel n’a pas d’ombrage,
Mais le froid ravit la nuit,
Et c’est toute la ville qui s’évanouit,
Dans le silence qui pétrifie.
Puis il bourdonne et m’échappe,
Je n’ai pu déceler son sourire
Quelque part, s’est-il enfui ?