J’ai aimé marcher jusqu’aux recoins les plus reculés de l’âme, les pas de l’enchantement, la douceur de tout laisser, à l’image de Loth, sans se retourner, vivant le voyage de l’intériorité. Mais sais-tu ce qu’une seconde peut offrir au sein du périple ? J’ai aimé que les ruisseaux puisent à mes yeux la douceur d’une roche éclose. Les mains agissent, le corps se meut, mais jamais rien n’égalera l’effusion des deux mondes enfin réunis. Les murs parlent à la lueur de ton regard ; la petite araignée se plie à la faveur d’une rencontre ; l’oiseau de l’aube prononce un mot ou deux et te voilà à lui répondre. Certaines robes suspendues se transforment en gardiennes, et tu les vois te rendre ton regard. Le pinceau trace une arabesque et voilà que naissent des buissons.
âme
Poème Zéro-deux
S’est imprimée en l’être,
La non résignation possible,
D’être séparée de Lui.
Si tu avais décelé les particules, les cellules de l’Empreinte, si tu avais vu, comme je l’ai vu, le code, si tu avais posé la main sur le coeur, le coeur des convergences, la fusion de notre danse, si tu avais écouté, saisi par les possibilités, tu serais aussi entré dans la Contemplation.
Délicatesse et fermeté
La nuit, l’esprit est aux aguets,
Le jour, le regard s’étend.
Beaucoup d’actes s’accomplissent en secret.
En cette contrée de l’âme, l’esprit s’aiguise et s’affirme, sans pour autant outrepasser les règles de la bienséance. En cet endroit invisible, pour la plupart des gens, l’on prend le temps de boire du thé, d’échanger quelques mots. Sans être discourtoise, la fermeté entretient les gestes nobles de l’Amitié. L’on frappe à la porte et l’ami est accueilli avec une joie contenue et pourtant bien intense. Sans le cœur, les mots n’ont aucun sens. Sans l’Amour invariable, immutable, le monde n’existe pas. Tout le reste est un casse-tête. Les uns semblent être des barbares, des caïns aux multiples visages, peut-être même aux degrés variables de bassesses, les autres, des hommes cherchant à s’approcher des vertus de l’âme. En cette contrée, l’on avance doucement mais fermement. Lorsque le vent léger soulève les eaux et fait bouger les arbres, depuis l’abîme le plus profond, s’élèvent aussi certains des plus remarquables poissons.
Ecartelée
La roche écartelée,
Fusion d’eau,
Le cœur se met à parler.
S’il n’émettait ses coups avec force d’éternité, je ne vivrais. Non ! je ne saurais vivre. Ses bras déchirent les voiles et pourtant, l’alcôve est empourprée. L’immobilité du souffle, et la voix trace un sillon. S’il ne cognait si fort, je ne saurais vivre, car le corps marche, mais l’âme s’est envolée.
_______
Peinture de Henri Le Sidaner
Le Roi est mort, vive le Roi !
Aux confins des deux-mondes, subsista une loi. Elle fut étrangement occultée par diverses pourpres, les voiles enchevêtrés d’ombre et de lumière. Les sages s’étaient repliés dans les montagnes, et passaient la majeure partie de leur temps à répéter des oraisons mirifiques, comme il en est peu entendu de nos jours. Leurs voix s’élevaient, majestueuses et imposantes, jusqu’au firmament, et même au-delà du Dôme visible de la sphère céleste. Ils s’étaient rassemblés et portaient une tunique de couleur terre. Ils se chauffaient, dans l’hiver des hauteurs, par le bois qu’ils ramassaient, lorsque, occasionnellement, ils descendaient dans la vallée. Ces hommes pieux n’étaient plus de ce monde, et pourtant, ce sont eux qui le regardaient avec le plus de sagesse et d’intense pénétration. Ils connaissaient la loi immuable. Ils avaient bu à sa source. Hors leurs prières, ils vaquaient en silence, mus par la plus grande des fraternités. Leur cœur battait à l’unisson et, là était toute leur force. Parfois, ils s’asseyaient autour du feu et se confiaient certains fruits de leur méditation. Les uns parlaient des pouvoirs imaginatifs du spectre intérieur, et d’autres, qui avaient saisi les subtilités incarnées, au sein des mondes invisibles, hochaient la tête en enveloppant le monde de la compassion de leur sagesse lumineuse. Nul doute, qu’ils émettaient, sans discontinuer, les réalités fluviales de la connaissance, de sorte que le spectre des ténèbres puisse, enfin, être absorbé par les effluves de la lumière.
Eclosion
De l’intensité,
Des mondes
Jaillissent.
D’une présence,
L’écoute
Discourt.
D’un soleil et d’une lune,
Voile et chandelier,
Le cœur s’émerveille.
Par l’énigme,
Le temps bascule,
L’horloge s’active.
D’une floraison,
L’âme s’étonne,
Elle se connaît.
_____
Peinture de Matthijs Marris | Bruidje (Bride), 1865.
Les voyageurs de l’âme
A quoi sert un cœur s’il bat uniquement pour un corps ? Et à quoi sert un corps, s’il n’est qu’un estomac ambulant ? A quoi servent les cœurs, s’il n’est plus de lien avec le visible et l’invisible ? A quoi sert la vie, si elle n’est qu’une suite de temps qu’un gouffre emporte ? Les hommes ne cherchent plus et, ce qui les cherche s’en retourne au néant. Cette multitude s’avère n’être qu’une multitude.
Les hommes aiment discuter, mais souvent leurs propos demeurent futiles. Ce qui enferme la plupart des gens, c’est leur propre incapacité à s’ouvrir. Se sont-ils demandés d’où venaient les qualités humaines, ces nobles lumières submergeant leur âme et les détournant de l’abjection ? Se sont-ils demandés pourquoi ils existaient des êtres d’une limpide clairvoyance, ayant plongé dans l’océan mémoriel, ayant appris à reconnaitre la réalité de la manifestation et parvenant ainsi à entamer le plus beau des voyages ? Qui les appela depuis le monde des subtilités et bouleversa leur cœur ? Ils n’hésitèrent pas à affronter les plus grands dangers du monde intérieur. Ils devinrent des guerriers de l’âme. Ils s’emparèrent des flambeaux de Courage, apprirent à débusquer les ennemis de leur être et à pourfendre, de leur sabre de lumière, les pénombres de l’inconnu. Ils ne cherchaient aucunement querelle avec qui que ce soit, trop occupés par leur Quête. Elle envahissait la limitation de leur champ et étendait chaque parcelle du visible par l’union avec l’Intelligence Suprême. Ils avaient parcouru le monde et l’avaient vu comme peu de gens peuvent le voir. De fait, ce n’est pas eux qui voyaient, mais des yeux dotés de pouvoir extraordinaire leur donnaient à voir. Ils savaient qu’ils n’avaient aucunement la possibilité de transpercer les secrets de la vie. Cela les envahissait et ils observaient les effets de ce prodigieux déluge de lumière.
Mi-homme mi-ours
Il était une fois un pays très lointain, aux abords du plus grand océan. Il fallait traverser mille et une contrées, mille et une vallées pour y parvenir. Le pèlerin, dont je vais vous conter l’histoire, est un étrange personnage. Son corps était, à la fois, mi-homme, mi-ours. Il marchait avec beaucoup de peine, mais une seule chose l’occupait : il souhaitait de toute la force de son âme atteindre le pays fabuleux que je vous ai mentionné plus haut. On lui avait dit que, là-bas, son sortilège prendrait fin. Car, là où il se rendait, les gens se sauvaient de lui, tant ils étaient apeurés par sa difformité. Ils le craignaient puisque son animalité le rendait suspect et même effrayant. Parfois, certains villageois cherchaient à le tuer. Le pèlerin avait donc fui les hommes et s’était mis en quête du fabuleux pays.
Couronne
Il s’agit d’un tambour,
Qui cogne,
Sur une peau tendue,
La peau d’un cerf,
Celle d’un élan,
La peau du vent,
Peut-être celle d’un éléphant ?
Et il cogne fort,
La peau d’une main,
Durant des heures,
Sur une plaine sauvage,
Tandis que transporté,
Le corps danse,
Au rythme inlassable,
Durant la nuit,
Durant le jour,
Tressaut d’un appel,
Nos mains se joignent,
Danse de vie,
Danse de mort,
Le grand Esprit,
A la lumière d’une couronne,
Sertie des flammes d’un autre monde,
Quand l’aigle survole les âmes,
J’entends le son,
Le plus ancien,
Parce que la nuit écorche,
Et que le jour s’annonce,
Toutes les forêts s’assemblent,
Esprit des cimes montantes,
Épris d’Amour,
Entrelacs des sols,
Sur des milliards d’années,
Nos mains touchant le ciel,
Par le cœur,
Par la voix,
Sans s’achever.
____
Peinture de Frithjof Schuon
Dialogue (2)
-Maître vénéré, l’âme est malade. Comment la guérir ?
-Vois les flots emporter toute chose…
Je ne savais pas qu’ici, en ce Temple, toutes ces âmes erraient, cher Maître, et j’entends la voix douce de votre appel. Elle fait l’effet du vent léger dans les roseaux, le bruissement apaisant sur les branches de l’arbre. Que se passe-t-il ? L’abandon me gagne.