A l’aube blanche,
Jaillie des marches,
Lumière du Sacré-Cœur.
Paris, une promenade ©Béatrice D’Elché
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Peinture de Herbert Laub.
A l’aube blanche,
Jaillie des marches,
Lumière du Sacré-Cœur.
Paris, une promenade ©Béatrice D’Elché
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Peinture de Herbert Laub.
Le sillage est intemporel et je me souviens, et je me souviens, alors que je gisais sur la terre d’un autre monde, et lors qu’au creux d’un lit d’éther, mon souffle continuait, continuait, à Te mémorer dans l’antre d’une caverne, Tu es venu me donner au Rappel, Tu es venu me donner au Rappel, et c’est là, dans le désert que la pluie a son sens, et c’est là que je respire sans discontinuer, pour absorber Ton accord, celui en ré majeur. Chaque couleur avait son ciel et chaque ciel avait sa merveille. Comment puis-je l’oublier alors que de Ta main, l’océan s’ouvre encore ? Tu peux me dire des choses, tu peux m’en dire d’autres, je fais « oui » de la tête, le sourire aux lèvres. Tu m’as chantée et je T’ai chanté, mon corps devenu celui qui aime. Je marche encore dans la ville, le soleil éclaboussant son indolence, et la brise murmure dans l’étroite ruelle. Je meurs à chaque instant, et chaque instant me réveille. Ai-je bien clamé le vol d’une trentaine de tourterelles par-dessus le clocher vermeil ? Cette blancheur, est-ce la mouette qui vient des mers lointaines, m’invitant au voyage torrentiel ? Je suis morte à chaque souffle du puissant et magistral écartèlement. Ne sens-tu pas vibrer l’Amour d’une multitude de jours ? Comment vivre et mourir d’Amour ? C’est ici, c’est ici, c’est encore, c’est l’élan d’une création entière, alors que tout commence, dans la nuit la plus obscure.
Cher,
Il pleut aujourd’hui, une pluie fine sur la ville, une pluie caressante, une pluie chaude. Je me suis munie du parapluie pagode et j’ai marché au rythme de cette petite eau légère, descendue du ciel. Quelques gens sont sur les terrasses, sous les auvents, parfois sous les parasols. Je me demande s’ils affichent ainsi leur pass-sanitaire, ou s’ils ont vraiment envie de partager un moment, somme toute très public. Je ne sais pas. Cela m’indiffère. Je continue de marcher, portée par la petite pluie, l’âme un peu triste, les yeux en pluie, le cœur flottant avec les nuages. La ville rayonne sous l’averse. Les petites bulles chantent sur les pavés et les roses des jardins s’intensifient de couleur. Quand je suis sortie de la maison, la lavande ressemblait à un majestueux soleil pourpre. Je suis restée un moment à la regarder comme hypnotisée par sa générosité. Je lançai au ciel : Ne pleure pas ! Il me répondit : Ne pleure pas ! Nous étions à marcher sous la pluie, ensemble, bras dessus, bras dessous. J’avançais en hoquetant. Mais mon compagnon me secouait le bras. Ne pleure pas ! J’arrivai, enfin, devant, ces gens, les ivrognes, comme on les nomme et que je croisais souvent sur ce chemin. Je les regardais tous, un à un et leur souris derrière le voile de la pluie. Ils me saluèrent avec une telle révérence que j’en fus, une fois de plus, émue. Ils étaient nombreux aujourd’hui. L’un me dit : Votre parapluie est vraiment beau. – Oui, c’est un parapluie pagode, lui répondis-je alors avec enthousiasme. C’est le parapluie ne pleure pas ! Nos regards étaient, une fois de plus, emplis d’Amour. Je les connais et ils me connaissent ; je les ai toujours salués. Seulement, aujourd’hui, ils étaient là pour que je ne pleure pas, eux, à boire debout, leur bière sans terrasse, mais tellement présents.
Votre B.
La ville survolée,
Ivre du vol d’un oiseau,
Ose à peine respirer,
Brassée de froid.
La splendeur d’autrefois,
Lumière d’un souvenir,
Nos mots se voient,
Combien de tuiles sur un toit ?
La rivière a ses rondeurs,
Doux cercles qui clapotent.
J’aimerais être leur voyage,
Oraison invitatoire.
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Estampe de Tsuchiya Koitsu (1870-1949)
Cher,
Les êtres qui nous sont chers occupent l’espace de la plénitude et dans les touchers de leur complicité, nous sommes à les vivre sans perdre un seul des fruits de leur beauté. Alors, le silence est une véritable grâce, et l’amour fait succomber tout ce qui n’est pas amour. Eux nous apprennent, eux, dans leur patience, leur constance, leur présence, et ils nous donnent aussi à l’essentiel. Ils sont nos floraisons et ils sont aussi notre abandon. Auprès d’eux, nous avons suscité un monde, y compris à notre insu et nous les remercions. Ils sont autant de prétextes et de gestes pour être, auprès d’eux, et même éloignés d’eux. Ils ont dormi dans le bercement de nos bras et chauffer nos corps de leur cœur. Un être heureux est dans le pur moment et n’a besoin de rien. Alors que peut-il de plus ? Il a vu en lui tous les concepts et toutes sortes d’idéologies disparaître. Le monde nouveau est un monde créatif qui n’a aucune béquille pour apparaître, aucun doute pour avancer, aucune référence pour réussir. Quelle est cette possibilité à laquelle nous goûtons ? Quelle est donc cette émergence que rien n’atteint ? Quelle est cette force aussi qui nous unit ? Quelle est donc cette relation qui nous enrichit et nous délivre du faux ? Cher aimé, en ces moments de confinement, la vie s’observe sereinement, sans peur, sans projection, se découvrant chaque fois nouvelle. Sommes-nous parvenus à nous détacher de tout ? Sommes-nous parvenus à une terre intérieure totalement vierge et qui nous offre enfin la certitude ? De quelle certitude parlons-nous ? Voyez, les gens marchent encore dans la ville qui n’est décidément pas déserte. Dans nos campagnes et vallées, la vie n’a pas changé et les êtres que nous croisons sourient avec amour…
Je vous rejoins dans un moment.
Votre B.
Bientôt, j’apercevrai les toits de la ville,
L’esprit frôlant les longs peupliers de brume.
L’azur se campera des vergers vaporeux,
Puis s’étagera des douceurs d’une plume.
Quand aux vitres du matin triomphant,
Nous tournions autour du feu des ramures,
Et quelques pigeons faisaient rempart bien souvent,
Au jour impétueux que peuple mon écriture ;
Quelques épanchements de douleurs,
Fatalement délivré du cri de l’anathème,
Puisant la force dans l’étang de notre cœur,
Poursuivant l’éloge et l’emblème.
La haine ne nourrit aucunement l’amour.
Le pied léger, j’avance dans le creux d’un labour.
Ici ont mûri les grappes de notre séjour.
Je vais sans perdre une seule seconde,
La montagne enfante et féconde et le soleil
M’étreint ; je crains les vagues montures,
Océan de lumière, et c’est au jour qui pointe vermeil
Que soupire au trépas vainqueur, notre douleur,
La nuit chargée de sommeil et puis de veille.
Du ciel pastel,
Je garde auprès de toi,
Le rouge vif,
Quelques boutons à peine éclos,
Myosotis et pétales d’or,
Mes pas lentement,
Je vous ai vus passer.
Les yeux se sont accrochés,
Aux couleurs délavées.
La ville était silencieuse ;
Quelques adolescents,
Sur les bancs.
Je marcherai,
Longeant le ruisseau.
Cher,
Aujourd’hui, dans ce froid presque neigeux, quand les montagnes frissonnent de ne pas avoir leur blanche vêture, j’ai marché. Je faisais attention de bien me tenir droite, vous savez, à cause de la conversation que nous avions eu hier soir, comme aspirée par le ciel. J’ai croisé quelques personnes dans la ville, comme si elles étaient à dormir tout en marchant. Sont-elles si malheureuses ? Je n’ai jamais compris ces tristesses peintes sur le visage à l’image d’horribles masques. Que cachent-ils donc ? Une grisaille que des lèvres rouges rendent plus blafarde. Est-ce l’hiver, est-ce la vie ? Il peut nous arriver toutes sortes d’événements, la vie peut même nous sembler longue, et pourtant, que se passe-t-il alors qu’un oiseau vous surprend par son envol ? Le ciel descend jusqu’à votre bouche et vous courtise. Oui, l’on pourrait pleurer jusqu’au bout de la nuit, et après ? Quelle est donc cette parodie de vie qui s’épuise presque hideusement avant même d’avoir jamais vraiment fini? Après tout, à voir les passants, on se surprend à ne pas être seul, mais plutôt peuplés d’indicibles boutons de petites perles fleuries ; on se surprend d’avoir vécu ce monde avec constance ; ou bien avons-nous seulement été épargnée par une certaine misère mentale ? Pourquoi le froid de l’hiver qui brise les os fragiles des va-nu-pieds et le bout des orteils ne leur enlève-t-il pas le sourire ? Mon père, dont la famille s’était appauvrie durant la guerre, avait passé de longs hivers pieds nus, alors qu’il était enfant. Combien de fois lui ai-je pris les mains, quand il rentrait du travail, et les lui ai-je massées alors qu’elles étaient gercées par le froid ? Mon petit papa, viens par ici, mon petit papa, viens par là. Et il souriait.
Votre B.
Sur certains frontons
Quelques ricochets :
Nous n’avons pas oublié,
Elle vient,
La réalité
Du champ cultivé
Alors cultivons,
Quand nous saisissons,
Les éplorés,
Qui vont
Chacun en leur monde
Comme se faisant la promesse
Sur les trottoirs
Des villes profondes
Quand le sommeil
Fait de nous des esclaves
Mais nous voyons ces ricochets
Sur l’eau faire des ondes
Et nous n’avons jamais oublié
Les pensées butinées
Qui font ces papillons
Et des gravités du monde
Nous n’avons pas oublié
Puisque nous sommes
Ici, et le regard dans le regard
Nous sommes à nous aimer.
Parfois, Māmā l’envoyait faire certaines courses à Qujing. Son estomac se nouait à l’idée même de faire un tel trajet en bus. Elle n’en faisait rien paraître, sinon Māmā en aurait éprouvé de la peine. Celle-ci lui passait autour du cou la bandoulière d’un petit sac en cuir qu’elle faisait glisser à l’intérieur de sa tunique et qu’elle coinçait dans la ceinture du pantalon. C’est là que Māmā cachait l’argent des courses. Le bus était souvent bondé. Des femmes, des enfants, quelques paysans et même des poules et des canards faisaient partie du voyage. Les visages étaient mornes et elle baissait la tête pour n’accrocher aucun regard. Quelques fois, un agent montait et la petite fille sentait son cœur battre un peu plus vite, comme si inconsciemment elle se sentait prise en faute. A la fin du trajet, sa tante Hui l’attendait. Elle la menait dans une drôle de maison perchée très haut. Ensuite, toutes deux faisaient les courses. Sa tante Hui insistait pour qu’elle reste passer la nuit avec ses cousins, mais elle courait à la station de bus pour attraper le dernier en partance pour le village. Embrasse toute la famille pour moi. A la prochaine et merci pour tout, ma tante ! lui lançait-elle toujours avec un petit air entendu. Une fois installée dans le bus, chargée de son sac à dos empli de provisions, elle respirait un bon coup, fermait les yeux et essuyait une larme. Je n’aime pas les grandes villes, Liang, oh ! je n’aime pas du tout les grandes villes. Une journée loin de toi, Liang, une seule journée est pire que toutes les tourmentes de la terre entière.