Quand il n’est plus aucune issue, j’entends le roseau souffler sur l’eau. Il danse sur des plissements infinis de vie, et si la tristesse s’attarde sur les côteaux, il suffit de s’y arrêter et la douceur nous prend dans ses bras. Parfois, l’on entend rugir le lion et parfois, l’on écoute la sauterelle. Tant de différence dans la forme, dans le poids, dans les couleurs, et malgré tout, au loin, j’entends le chuchotement de la fourmi. Une seule fourmi, et le ciel se remplit.
tristesse
correspondances XXXII
Cher,
Le toucher est venu comme une apothéose de toucher, et c’est un arbre qui nous interpelle, comme ce dialogue avec cette femme, perdue dans la forêt, parce que la forêt est une douce sollicitude, au milieu des promenades que nous vivons au-delà de chaque promenade. La féerie ne se rencontre pas, car elle n’est nullement séparée du regard pulmonaire. Je sais que cela paraît étrange de dire que le regard est un souffle, mais je ne pense pas vouloir « entrer » et m’incarcérer dans aucune logique qui soit. La logique est un instrument de mesure, une méthodologie, mais elle n’a de réalité mathématique qu’en l’exposé de la chose. La féerie est au-delà de tout ce que l’on connaît et est souvent occultée par la raison. Ce qui advient ou ce qui n’advient pas n’est pas une règle apparente, mais elle peut le devenir. La visibilité des choses est l’effet de la chose, et ne relève pas du fait de la visibilité. Combien d’espaces qui ne sont pas perçus et qui pourtant sont des angles de perspectives qui ont leur pleine authenticité ? Il me vient cette extraordinaire perplexité qui me renvoie à la vie sous toutes ses appréhensions possibles. La vie a ce droit d’être et nul ne peut s’y opposer. Nul ne peut nier l’autre sans se nier lui-même. Vous souvenez-vous de cette Mme T. qui furetait partout dans les ragots avec son ton vil et que je comparais à une Thénardier*. Comme il est étonnant que son patronyme débute par ce T. Elle venait se poster dans chaque coin de rue et reniflait le scandale à plein poumon. Je l’avais connue un peu avant mon premier mariage. J’étais encore jeune et quelque peu distraite. Je ne connaissais rien du monde. Nos parents nous avaient offert une vie si pleine d’amour, si pleine de sincères présences, de constances et de longs dialogues ; ils avaient favorisé le déploiement d’une grande fraternité et ils avaient veillé à faire de nous des êtres sensibles et altruistes. Nous n’éprouvions guère de jalousie viscérale, et même nos conflits internes étaient formateurs. De fait, nous ne connaissions absolument rien. Aujourd’hui, je peux en rire. La méchanceté est une maladie. Cette femme était assurément malade. La plupart des gens sont malades mais ne le savent pas. Comment a fini cette Mme T ? Son visage ravagé par le temps, a surtout subi les ravages de sa méchanceté. Je ne l’avais guère aperçue depuis fort longtemps, mais voilà qu’un jour, la vie vous donne à voir les effets de la maladie. Mme T s’était écroulée, comme beaucoup de gens et le sort voulut qu’elle finisse seule, dans un lit d’hôpital. Vous décrire les affres inscrits sur son visage est inutile. Je suis repartie avec le cœur triste. Vous confierai-je ceci : Nous souffrons beaucoup de ces sortes de méchanceté incarnée et qui s’épuisent, un jour, avec le cœur empli de vide. Plus tard, je la vis en rêve. Je la vis à plusieurs reprises, en des temps différents. D’une cave obscure et chaotique, je vis sa demeure se transformer, progressivement, en cellule de lumière.
Bien à vous mon ami,
Votre B.
*Thénardier est le patronyme d’une famille « misérable » que Victor Hugo met en scène et décrit dans son roman Les Misérables.
Le chat
Si je n’avais pas le cœur apaisé,
L’herbe envahirait tout le jardin,
Sauvage d’une pluie sur les toits.
Le chat imperméable sous son poil gris,
Rôde dans le grenier désert au milieu des objets,
Tandis que sur les feuilles veinées,
Le vert de ton cœur me rappelle que c’est la fin de l’été.
Le ruisseau
Le ciel craque de partout,
Il a déchiré le ventre d’une mère,
Il a laminé le visage d’un père,
La terre cruellement blessée,
Ouvre ses bras froids :
Pleurer, lui, le ruisseau qui l’enterre.
Le bol de café
Quand je vins te trouver,
Tu avais soudain disparu,
Envolé,
Que s’est-il passé ?
J’ai commencé à douter de ton existence.
Je bois le café, dans ton bol, doucement, le sirotant presque, ton café, ton parfum, entêtant, celui du petit-déjeuner, et tandis que j’entends le coq chanter, les premiers rayons du soleil réchauffent la maison. J’ouvre la porte, comme autrefois, pour que la fraîcheur qui picote un peu la gorge envahisse la pièce, et c’est bien au seuil de cette vieille porte, sur le petit gravas de pierres que tu te tenais, droit. Non, je ne m’y enferme pas : Je savoure l’instant celui de ta présence. Il n’y a plus de couleur, ni d’odeur, ni de toucher, et pourtant tout est là. Tu m’enveloppes. Pourquoi ai-je crié au vent que les matins devaient disparaître avec toi, qu’il n’y avait que toi qui emplisses chaque atome de mon être et que ta présence est plus forte que ton absence ?
Les pierres boursouflent sur le vieux chemin crayeux et le soleil avance plus peureux que mes pas. Peut-être est-il tout simplement étincelant au milieu des vagues bleues, ou c’est moi qui clignent des yeux ?
Les fausses chansons
Les fausses chansons,
M’ont piégée avec leur tambour.
Les violons pleurent au vent du soir.
Qu’ai-je à faire, ces dimanches sont déserts de toi,
Et s’ils veulent se soûler dans les villes,
Je préfère prendre le vélo et m’emplir de campagne.