
Ce dont je me souviens est un état. J’aurais pu être la lampe d’un chevet, ou une suspension au plafond, ou bien le chat ronronnant sur un coussin. L’état d’un livre, d’un objet posé sur un bureau. Ne me demandez pas d’être autre chose ! Je me souviens du regard de la flamme, du flottement du temps et du cœur qui bat. Je me souviens parfaitement de n’avoir rien été, d’avoir glissé à la faveur d’un rayon oblique du soleil sur la poussière d’une fenêtre, ou bien d’un balancement de branches. La singularité d’un atome vibrant comme une galaxie entière, le toit de chaume, perdu dans une campagne gauloise. Je me souviens d’avoir gémi dans les palabres d’un mur fissuré et d’avoir écouté les cliquetis de la 2 CV de Tatie. Je vois encore mon état neutralisé dans la baie d’un sureau, et l’œil du pompon d’un béret. Il fallut un peu plus de temps pour faire face au lion. Les yeux du lion, on ne peut les oublier. Ce dont je me souviens parfaitement c’est du regard droit et fier de la montagne, des ondulés de coquelicots et des bleuets sauvages dans les blés. Hop ! Le lapin se met à courir et je le suis au milieu des champs. Mais il disparaît si vite que mon état se suspend à la sueur de mon front. Je me souviens de cet étonnement, lors que levant le bras, je voyais le sang couler dans mes veines. Il était rouge comme un poisson dans le bocal. Aujourd’hui encore, il me souvient de l’état du fauteuil dans le salon et celui du tapis rouge dévalant le long couloir. Un jour, le souvenir passa devant un miroir qui refléta une adolescente aux longs cheveux acajou. Le geste qu’elle fit, tout en se coiffant fut surprenant. Il s’agissait d’un geste totalement décalé. Le regard se fit insistant et je me demandais si c’était moi. Mais, l’adolescente du miroir me lança un étrange regard et je devins deux. Était-ce encore un état ?