L’état

Ce dont je me souviens est un état. J’aurais pu être la lampe d’un chevet, ou une suspension au plafond, ou bien le chat ronronnant sur un coussin. L’état d’un livre, d’un objet posé sur un bureau. Ne me demandez pas d’être autre chose ! Je me souviens du regard de la flamme, du flottement du temps et du cœur qui bat. Je me souviens parfaitement de n’avoir rien été, d’avoir glissé à la faveur d’un rayon oblique du soleil sur la poussière d’une fenêtre, ou bien d’un balancement de branches. La singularité d’un atome vibrant comme une galaxie entière, le toit de chaume, perdu dans une campagne gauloise. Je me souviens d’avoir gémi dans les palabres d’un mur fissuré et d’avoir écouté les cliquetis de la 2 CV de Tatie. Je vois encore mon état neutralisé dans la baie d’un sureau, et l’œil du pompon d’un béret. Il fallut un peu plus de temps pour faire face au lion. Les yeux du lion, on ne peut les oublier. Ce dont je me souviens parfaitement c’est du regard droit et fier de la montagne, des ondulés de coquelicots et des bleuets sauvages dans les blés. Hop ! Le lapin se met à courir et je le suis au milieu des champs. Mais il disparaît si vite que mon état se suspend à la sueur de mon front. Je me souviens de cet étonnement, lors que levant le bras, je voyais le sang couler dans mes veines. Il était rouge comme un poisson dans le bocal. Aujourd’hui encore, il me souvient de l’état du fauteuil dans le salon et celui du tapis rouge dévalant le long couloir. Un jour, le souvenir passa devant un miroir qui refléta une adolescente aux longs cheveux acajou. Le geste qu’elle fit, tout en se coiffant fut surprenant. Il s’agissait d’un geste totalement décalé. Le regard se fit insistant et je me demandais si c’était moi. Mais, l’adolescente du miroir me lança un étrange regard et je devins deux. Était-ce encore un état ?

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Ishq*

Du cristallin dont l’azur bleuté,
Trempe au regard de Ta Majesté,
Suspendu à l’iris,
Fit de moi Ta troublée,
Et au vent d’une prunelle,
Scrute la pupille,
S’abreuvant de Ishq*,
Au confluent d’une eau douce,
La cornée d’une source,
Se noyant par Ton océan,
Ô mouvement !
Puis encore mouvement !
Onde sublimée,
Incessante !
D’une oscillation,
En Oscillation,
Ondée de pluie,
Ondée de vent,
Mots subsumés à l’articulation,
A l’Arboré d’une veine,
Jugule la transparence,
Le cœur,
Ô mon cœur !

Sache que je trouve un mot et l’avale, puis une perle et la prends. Je marche dans un royaume qui entraîne le mouvement et, de silence en silence, de temple en temple, de sanctuaire en sanctuaire, Ishq fait de moi ce qu’Il veut. Je t’appelle, Il m’appelle. Ne dites rien ! Je ne volerai pas une seule virgule, ni le moindre souffle, ni n’investirai l’indécente usurpation. Je suis Ta fidèle et goûte au nectar d’une Vision.

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*Ishq : désigne l’Amour Absolu et infini, l’Agape compassionnel.

Mille et une nuits (3)

Savez-vous qui est Anqa ? Connaissez-vous la légende de cet Oiseau majestueux qui épouse votre âme et la révèle ? Il existe une montagne dans un royaume hors de tout champ de toutes les perceptions ordinaires et qui n’est rien autre que la montagne sacrée. Elle chante de son sublime chant. Elle rayonne comme aucune montagne ne peut rayonner. C’est là que se posa Anqa. C’est depuis ce sommet qu’elle me parla. Pour L’écouter et recevoir son message, il nous faut nous asseoir. Point n’est besoin de quantitatif ! Ici règne votre réalité. Ne la vendez pas à vil prix !

Ô Jardin, dis-moi ! Qu’en est-il de ces ornements que Tu visitas et qu’en est-il de ces aspirations qui firent de Toi un oiseau téméraire, et qui es-Tu, Jardin des offrandes, des sacrifices, des chemins bruissant au travers d’un inspir qui me tint fermement sans que je ne pusse me défaire de son sillage ? Je suis venue jusqu’à Toi et j’ai échangé ces confidences qui firent de moi Ta servante et j’entendis Tes réponses, à l’Aube, quand Tu dressas entre le jour et la nuit un voile délicat. Mon âme T’appartient, alors que Tu vêtis la robe du noble mariage. Je Te demandais : Puis-je révéler ce secret ? Mais, Tu m’invitas au Silence. Ceci est entre toi et Moi, me déclaras-Tu. Je revins au monde avec quelques mots trempés de la Réalité éclairante et les lançais comme on lance un filet à la mer. Des pêcheurs accoururent de toutes parts. Ils avaient les mains semblables aux rayons du soleil et l’eau miroitait comme les effets multiples de l’or. Durant un instant, j’en fus éblouie. Ce que le cœur humain, le cœur noble, délivré de l’erreur, peut contenir s’étend comme rien d’autre en ce monde, alors que le vasselage d’Amour est à la fois une étonnante tyrannie consentie, un compagnonnage, une révélation, un récit hors pair, une force dynamisante, propulsant les fidèles d’Amour, au-delà de la mort des corps.

Mille et une nuits (2)

Nuit de lumière incandescente ne voyait plus poindre le jour, et lors, celui-ci apparaissait bien, mais sous une autre forme, comme une guirlande ondulante au-dessus du monde. Il s’exprimait ainsi en un autre langage. Tous les voiles étaient percés par mille et un feux, telles des gouttes de nacre. Ses cheveux épars se répandaient sur les coussins. Pourtant, elle ne s’était pas allongée. Le cœur tendu et écorché s’ouvrait comme un appel. Elle entendait la voix tel un écho ; celle-ci lui parvenait depuis un autre royaume et comme elle leva la main languissante, de nouveau, elle entendit le chant poignant :

Je ne t’ai pas oublié et tu m’as conquise. Tu parlais comme un voleur et mon âme ne résistait pas à tes mots. M’as-tu trompée, Ô mon cœur ? M’as-tu fais parvenir l’insondable depuis les vagues de ta propre illusion et qu’ai-je reçu si ce n’est ma propre voix ? Qui es-tu, mon tyran qui ainsi me tyrannise ? Mais qui es-tu donc que je n’ai pas su saisir ? Tu es entré comme le voleur et mon âme vagabonde sur les océans de ton Amour. Mon cœur, comment me dessaisir de ton pouvoir ? Tes lumières ont percé ma nuit et me voici aujourd’hui à genoux, implorant ta douceur. Mais que peut faire la douceur sur la violence de mon cœur ? Et moi, tel un papillon égaré, je danse au-dessus de la flamme espérant son audacieuse espérance.

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Illustration de Rebecca Guay

Âme

Etourdissante âme,
Ni homme, ni femme,
Bien au-delà qui parle.

La lune se fendit au sabre d’un éclair, et la conque s’ouvrit, offerte à l’esprit. Ils conversèrent toute une nuit et plus. Ils se mirent à voyager ici, là-bas, l’Orient d’un Verbe, l’Occident d’une Parole et leurs confidences furent les germes d’un Royaume luxuriant et abondant. Un jour, je vous parlerai des Jardins de l’âme.

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Oeuvre de Steven Daluz, Huile sur Feuille de Métal sur Panneau.

Des mondes et des mondes

Des mondes et des mondes,
L’élégie ! Ah !
Quant au sortir d’ici,
Cela est arrivé,
Et je puis le dire,
L’aube éclot,
Depuis une nuit.
J’ai laissé le cœur,
Devenir celui qui reçoit,
Lors que la pureté d’un éclat jaillit,
L’âme s’élève,
Et l’esprit aussi.
Alors ne dis rien,
Toi que je rencontre,
Quelque chose de l’autre monde,
Celui que tu ne connais pas,
Le monde qui s’unifie,
Sans disgrâce ni parodie,
Reste en silence,
Et n’emploie pas les mots,
Ne les emploie qu’en l’harmonie,
Mon accord !
J’ai ri,
De ne jamais m’attarder,
Aux flatteries ni aux compromis,
Et mon cœur suit les pas des Anciens,
Lors qu’Ils magnifient le chemin,
De leur sagesse,
La rosée du jour nouveau,
La pureté d’une intention,
Cisèle chaque instant,
Des mondes et des mondes,
Te voilà !
Je t’ai reconnu,
Dans les brumes,
Ton exaltation,
L’amour des sens,
Le cœur transi,
Brûlant dans les affres et l’agonie,
Consume tous les mots,
Puis regarde !
Quelque chose est là.

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Peinture de Ellen Day Hale (1855–1940)

Page

Chaque langueur est une page,
Je m’y suis penchée,
J’ai goûté à leur breuvage.

Il avait suivi les pas tracés sur une page blanche, et plus cela se déroulait, et plus la joie augmentait. Il vécut une liesse, puis une autre, et les pages livraient leur secret. Comment faire pour ne plus lire ? La joie avait tout devancé.

Le géant et la lettre

Il s’agissait d’un géant aux mains rustres, des mains qui ne lui servaient strictement à rien et il les laissait pendre partout, tandis qu’il marchait, le dos bien rond, le torse rentré. Ses deux mains, il parvenait à les soulever et se mettait à les tourner dans tous les sens. Etaient-elles semblables à ces marionnettes que l’on jette sur un drap blanc en ombres chinoises ? Son cerveau ne lui faisait guère parvenir les messages clairement et il tournait ses deux immenses mains avec beaucoup d’étonnement. Ce géant des montagnes se nourrissait d’herbes sauvages, lors qu’il s’allongeait de tout son corps et broutait comme les moutons. Il se lavait en plongeant dans le lac argenté. Mais, toujours, il était fasciné par ses deux larges paumes, par ses doigts potelés. Il les faisaient danser avec une grâce insoupçonnée. Ce géant solitaire marchait lentement et s’amusait à regarder les oiseaux voler. Certains s’aventuraient jusqu’à lui et il leur souriait avec une joie profonde. Un jour, cette incroyable créature trouva une enveloppe sur le sol. Etonnamment, elle avait volé jusqu’à lui. N’avait-elle pas traversé mille océans, portée par le vent, son ami ? N’avait-elle pas affronté les vallées, les forêts inextricables, les ouragans, les dragons de la contrée des vieux pirates, franchi les sept continents ? La lettre avait pour mission de le trouver, de trouver ce géant. Elle avait même failli être engloutie par un boa et lui avait échappé de justesse. Mais la lettre, qui avait bravé toutes les épreuves, se répétait avec une grande obstination : Je dois le trouver ! Je dois le trouver ! C’est alors que la délicate enveloppe, qui contenait la fameuse lettre, arriva jusqu’aux pieds de notre géant. Il se baissa et spontanément, fit usage de ses deux mains. Il saisit avec beaucoup de prudence, avec une réelle élégance, cette précieuse missive. Elle se transforma aussitôt en la plus belle des créatures jamais vue. Elle se tint sur la paume du géant avec une grâce peu commune et lui fit une révérence. Les yeux du géant s’écarquillèrent et il entendit, au fin fond de sa caverne intérieure, les battements de son cœur. Il comprit enfin pourquoi il avait deux larges mains. Il comprit, que tout ce temps, elles l’attendaient, elle, cette si fragile lettre.