Correspondances LXIV

Très cher ami,

S’il fallait redescendre, nous sommes descendus. Certes, qui peut comprendre cela ? Nous sommes à des milliards et des milliards d’années lumière de saisir notre réalité. Notre corps s’est affaibli. Notre mental s’est appauvri. Notre âme se limite à nos cinq sens. Nous nous sommes appropriés un lieu de vie, un lieu de passage et nous l’avons réduit à notre limitative préhension. Nous considérons les choses d’un point de vue uniquement social et à peine psychique. Nous sommes obsédés par un « morceau » d’existence et nous finissons par en perdre le sens, l’essence. Nous n’aspirons pas à la connaissance, parce que la connaissance nous déserte et passe son chemin, s’envolant vers le territoire encore vierge des montagnes. Nous exultons face à quelques gadgets technologiques et nous ruisselons d’égoïsme éhonté. Nous ne supportons ni la critique, ni non plus l’inconfort. Nous pensons comme nous vivons et nous vivons comme nous mangeons. Une poignée d’irréductibles se sont arrêtés et ont considéré la vie sous son aspect entier, mais guère plus. Quant aux autres aspects visibles de l’humanité, cela se manifeste par une névrose, celle d’une « fast fooderie » prenant l’apparence de tous les possibles d’une consommation effrénée. Mais : Nothing before and nothing after. Telle est la devise qui donne les droits à une liberté sans mesure.

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Correspondances LXIII

Mon Aimé et cher ami,

Rien n’est vain. Tout ce qui apparaît en ce monde est un sens, et j’écris bien un sens. Nous discutons vaillamment, au matin, au zénith et le soir. Nous parlons longtemps, la nuit aussi et même dans ce qui semble être un sommeil profond. Nous voyageons sans discontinuer. Nous nous tenons le cœur, la main du cœur.

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Lignée

Nous n’avons pas aimé l’intrusion systématique des violences répétées d’un monde qui condamnait la délicatesse d’une démarche et nous n’avons pas aimé de voir si peu d’Amour. Les uns et les autres ont considéré que le corps n’était pas un Temple, et chaque jour, sans voir en lui, leur frère, leur sœur, leur mère, leur père, ils ont commis des viols collectifs, des incestes, des fratricides, des génocides par leurs yeux dépravés, par le vol illégitime des corps, outrance manifeste au nom de la liberté. Je n’ai pas aimé cette liberté, moi qui a vu en l’autre la dignité de l’être, la beauté de son âme, l’origine de sa présence. Je n’ai pas aimé la haine de certains devant la pureté d’un velours, les soieries des parures, le respect des alcôves. Non ! Je n’ai pas aimé cette brisure constante, ces pillages et ces débordements, à la fois narcissiques, pervers, immatures. Je n’ai pas aimé les tartuferies de la liberté, ni de la contre-tradition. Je n’ai pas aimé que l’on jette ma sœur en pâture aux loups, que l’on abuse de son secret féminin, de sa puissance élévatrice et qu’on en fit le siège de la luxure et du vice. Il me souvient des légèretés et des petits pas dans les jardins où l’on savait savourer la poésie d’un clignement royal de paupière et que l’on y lisait la profondeur du langage du Sacré. Et j’aime ces mots cachés sur les lèvres du cœur, et les intimes confidences des âmes. J’aime que le corps ne soit pas une marchandise, mais le Temple de la Vision pure. Les acharnements impitoyables pour faire de la chair la luxure d’une déviance sont simplement une orgie sans nom, une démonie macabre et je ne suis pas prude pour autant, mais, aujourd’hui, qu’on le sache, les hommes et les femmes vont parler. Ils vont retrouver le secret merveilleux de leur lignée. Ils vont réapprendre à devenir le Temple sacré.

Raison et folie

Il n’aima pas devenir fou, car de cette folie, il voyait une entrave à la raison. Il regardait le godet, mais elle voyait une coupe. Le monde changeait, il s’y enfermait. Que lui fallait-il ? Pas grand-chose. Du moment qu’il pouvait de temps à autre s’occuper à quelque bricole. Il ne supportait pas la poésie. Il ne s’ouvrait pas à ce qui était autre. Il n’écoutait jamais la radio, ni ne perdait son temps devant la télévision. Il lui semblait qu’on lui volait ainsi sa vie. Il n’avait pas non plus une pratique très poussée du téléphone. Un balbutiement ici ou là. Des nouvelles à l’emporte-pièce. Quand il était adolescent, il avait vainement penché pour le parti communiste. Mais, au bout de quelques lectures de Marx, il s’en était royalement désintéressé. Depuis, il haussait les épaules quand on abordait avec lui des sujets politiques. Il s’était fait siennes les paroles de Platon. Personne ne lisait Platon. Personne ne lisait les grands métaphysiciens, les vrais philosophes. Il s’ennuyait à mourir quand il entendait les inepties des penseurs d’aujourd’hui. Il bâillait sans discontinuer face au mimétisme ambiant. Il trouvait ses contemporains très peu cultivés. Les académiciens, les théoriciens lui semblaient pompeux et sans consistance véritable. Il faisait une pichenette sur tout cela. Tout s’écroulait. Il se rendit compte qu’il n’aimait rien, que la vie était insipide. Quand il la rencontra, elle dansait avec les mains. Elle riait de ses airs taciturnes. Il ne comprit jamais pourquoi elle vint vers lui.

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La croisière s’amuse

Ne plus se connaître, quelle étrange chose ! Ne plus savoir, bien moins que l’enfant, ne plus rien savoir, quelle troublant constat ! La croisière discount. Croisière du monde tout kit en main. Comme elle se veut donner le change ! Mais, dans le fond, je suis sûre que personne ne s’amuse. C’est un tricot de couleur qui n’existe pas. Tous ces tableaux qui s’agitent, ces images faussement profuses, tout cela, une illusion de plus, un véritable désastre. Qu’est donc devenue la vie ? Qu’est-ce donc que cette orgie ? Ce déversement n’est pas abondance, mais plutôt le déversoir d’un manque. La luxure, un libertinage que l’on nomme ridicule. La luxure, trahison de vie, une maladie qui ronge les cœurs et certains ont de cette luxure une appétence mentale, marchande, terrifiante et sans discernement.

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Œuvre de Louis le Brocquy 1916-2012

Confidence d’un servant

機密

L’art de dresser une table au milieu d’un salon, sans prétention, en posant une simple chandelle. Celle-ci tremble de toute sa flamme dans la nuit éclairée par le petit geste d’un souffle. Mettez-y un capuchon, ou bien une feuille d’érable d’un vermillon prononcé. Grenade émerveillée au-dessus d’une nappe mordorée. Quel est donc ce poussif élan forcené, au-delà des pins sylvestres ? Plait-il à sa majesté de poser son séant à la place indiquée ? Non, par ici, majesté, un fauteuil d’une couleur grenat vous est réservé. Comment faites-vous pour continuer de vivre sans être indigné, sans même vous révolter ? La vie ineffable trace une certaine conformité, et lors que ce monde vous assigne à une résidence, portez-vous bien, innombrables petits numéros dans la vaste machinerie ! Comment faites-vous pour croire aux sornettes des palefreniers, des bas lignages et de certains chimpanzés ? Ah non ! je ne suis pas le moindre du monde contre la race des primates. Ce sont de petits animaux drôles et quelques fois espiègles, pouvant causer, néanmoins, de sérieux dégâts. Comment ? Que dites-vous ? Il me semble que nous tenons depuis quelques temps un fameux discours de sourds et de muets. Veuillez ne pas m’en tenir ombrage. Je suis, vous le savez bien, un enfant gâté.

公案, gōng’àn

Incontinence mentale

閱讀和連結是永恆的事實。

Lire et relier, tel est le fait de l’intemporalité.

永遠不要讓自己被野兔超越。他不知道如何抓住他的尾巴。他的爪子走得很遠,他的耳朵對他毫無用處。

Ne te laisse jamais dépasser par un lièvre. Il ne sait pas attraper sa queue. Ses pattes vont loin, et ses oreilles ne lui servent à rien.

為什麼要害怕?人民的弱點來自於他們的無知。

Pourquoi avoir peur ? La faiblesse du peuple vient de son ignorance.

告訴我智慧 它承擔所有的臉,並沒有保留其中任何一個。走自己的路。

Qu’est-ce que la sagesse ? Elle prend tous les visages et n’en retient aucun. Suis ton chemin.

告訴我智慧. 輕風是一種以舒緩效果為特徵的微風。

Qu’est-ce que la sagesse ? Le vent léger est une brise caractérisée par son effet apaisant.

Soleil et Lune

La sagesse consiste à prendre le temps de peser toutes choses et de se laisser irriguer des réalités de la vie profonde. Vivre au rythme du pouls terrestre, regarder les nuages, les fleurs, tout cela ne peut être une anecdote en passant. Quand je le vis, je me lançais à corps perdu, à corps abandonné dans les bras de son étonnante magnanimité, dans les confins de sa préciosité. Cela peut sembler aussi fin qu’un cheveu, cela peut ressembler à un proton, l’effet d’une touche précise et délicate. Cela peut aussi ressembler à des milliers d’années-lumières, à une myriade de constellations, aux vents les plus improbables de millions d’étoiles. Tant que le soleil suit sa lune, que voulez-vous qu’il advienne ? Tant que la lune suit son soleil, que voulez-vous qu’il advienne ? Tant que l’Amour est la plus puissante des lumières, et qu’un orbite se met à poursuivre ce qui le poursuit, vous ne craignez rien et vous êtes forts de cette Joie incommensurable qui vous saisit perpétuellement. Celle-ci est le plus grand de tous les boucliers. Voyez comme la lune rit aux éclats, et comme le soleil est fidèle à son amante !

Paroxysmique paradoxe

Dédié à l’Ami, dédié à tous ceux qui sont cet Ami, car l’Ami a tous les visages des Amis, femmes ou hommes, nous sommes ces Amis mutuels.

Inébranlable forfaiture, mais Ô pur Amour !
A la seconde des ramures qui viennent de naître,
N’ai-je pas consenti à ne plus autrement être
Qu’en la transparente déclinaison d’un noble jour ?

Indéfectible outrance, Ô nitescent séjour !
Dans la clarté de nos gestes et complice Maître,
Nous vivons pour Te magnifier et Te connaître,
Et je gage qu’avant longtemps, arrive Ton tour.

Il n’est point d’instants justes qui ne se lamentent ;
Il n’est plus de remous, ni de larmes violentes,
Car au-dessus, bien au-dessus, se balance un fanal,

Et c’est par lui que les justes suivent le Guide,
Car, quand pleurent les femmes, malheur au vide !
Quelque part, à l’horizon, sombre déjà le mal.

Peinture de John Maler Collier (1850-1934)

Long rêve

Photographie prise par l’auteur, le 29/01/2021

J’étais un homme des cavernes et me réveillais avec le chant du soleil. Je poursuivais un rêve bien au-delà des rochers, et m’asseyais pour inscrire les heures, comme l’on inscrit son bonheur, celui que l’on sait parfait. J’aime la caverne qui m’abrite et le feu qui me réchauffe. Le matin laisse passer quelque œuvre, le soir, la forêt chante et répand sa clameur. Je suis un homme des cavernes et je passe des heures à marcher dans la plaine sans me soucier de rien. La douleur ne m’arrête pas. La rivière caillouteuse ne m’indispose pas. Je la traverse pieds-nus et l’eau froide transforme ma fatigue en douceur. La nuit tombe et la lune poursuit son chemin. Cette nuit est mon amie tandis que les jours s’équilibrent et les nuits veillent. Tous vivent en harmonie et notre cœur vibre au son de l’univers. Le grand cerf s’élance vers les hauteurs et le loup partage en secret les pitances avec ses frères. Les animaux parlent et font un cercle autour des étoiles. Ce moment n’a jamais cessé d’être puisque je me rappelle de tous ceux qui ont plongé au creux de mes pupilles et s’y trouvent encore. La forêt possède un cœur et, chaque soir, je l’entends battre au diapason avec le mien. Le feu crépite entre deux pierres et il me souvient d’un futur qui déplore l’essentiel et le méprise à tort. Mon frère d’un autre monde est venu me voir. Il semble complétement démuni devant ce qui lui semble soudainement l’évidence. Je lui offre de s’assoir car je le connais bien. Mon frère pleure longtemps et je n’esquisse aucun geste. J’attends en silence que ses sanglots cessent. De longs siècles nous séparent. Je le regarde. Il lève la tête, tandis que secoué encore par de violents soubresauts, il aperçoit le grand cerf qui l’observe. Il se tourne vers moi et dans le silence frissonnant de la nuit, il essuie ses dernières larmes, celles du long rêve.

Je n’étais pas inculte, contrairement à ce que mes frères du monde futur croient et tout ce que j’éprouvais était enseignement. Nous parlions des heures entières avec les astres et ceux-ci nous répondaient aussitôt. Nos conversations étaient multidimensionnelles. Nous étions chez nous. Un brin d’herbe nous invitait au voyage. Le monde était un grand livre ouvert et la joie débordait comme une eau abondante dans un désert. Nous ne connaissions pas le malheur. Rien n’était souffrance. Comme nous voyagions dans le futur, nous savions que les hommes ne comprendraient plus rien, qu’ils en oublieraient même d’entendre, de voir et de parler. Nous n’avions aucun moyen pour empêcher cette décadence. Il nous fallait patienter et prier pour les générations futurs. Sur le sol, sur les parois des cavernes, dans les roches, nous inscrivions le langage de la paix. La paix est notre lien. Nous ne connaissons pas autre chose. La connaissance fait partie du cycle rayonnant de l’apprentissage.

Les hommes ont perdu les vestiges ; ils ont perdu le trésor. Ils errent et altèrent la vie. Ils ne connaissent plus les liens d’aucune sorte. Je respire lentement et mon frère s’est endormi près du feu. Doucement, j’entretiens le feu qui nous réchauffe et j’écoute sa chanson. Le monde futur connait une grande dérive. Je pose sur mon frère une couverture faite de laine de mouton.