Correspondances XXXIV

Cher,

Il est des êtres d’une rare délicatesse, dont la maturité est, non pas exclusivement le fruit de l’âge, mais plutôt celui d’une acuité alchimique, le fruit d’une rare sensibilité poétique. Un mot extrait de leur monde me transporte en l’infini univers et me laisse hébétée. Je peux lire et relire leurs écrits, mais je crois bien que c’est eux que je relis, eux qui me parlent en moi-même et entrouvrent les secondes de leur temps éternisé. Quand l’âme rencontre l’âme, un mot nous donne à l’univers entier. J’y suspends mes points et mes virgules et la poésie de l’âme fait son chemin. Celle-ci se déploie et je marche avec toutes ces âmes. J’apparais dans les boutons de fleurs à peine écloses et je leur murmure les fraîcheurs du temps retrouvé. Même si je ne touche aucun des pétales de la main, et à quoi bon, je sens la paume de l’amitié. Depuis longtemps je le voulais témoigner. Je marche à chaque fois dans les sentiers, et je souffle dans le vent. L’iris du soleil est l’amour que caresse chaque rayon. Être l’amie, ou l’ami, c’est une promesse du présent et même de la présence elle-même. L’ami est une permanence, une longue retrouvaille. Savez-vous que je vous compagne où vous désirez m’emmener ? Oui, doucement, dans l’éloge d’un matin, dans le cœur qui ne s’est jamais fané, ou dans le soir qui s’étire. Car tel est mon regard sur vous et toute la délicatesse de votre propre délicatesse. Comment dire ? Nous nous ne quittons jamais puisque nous nous sommes retrouvés et que la parole de l’amitié est une douceur et une profusion.

Bien à vous,

B.

Publicité

Histoire d’ange

L’ironie n’est pas de douter,
Quand le rire n’a jamais aimé,
Le cœur n’est pas un allié,
Mais que dire du forcené,
Puis de celui qui s’est invité ?
Dans l’ingratitude. Or, nous marchons
Dans les prairies indomptées,
Écorchée du rocher ,
Puis du ruisseau abreuvée.
Je ne pleurerai pas la vie qui s’est ainsi offerte,
Quand même les moutons broutent dans les prés.
J’ai vu danser les pluies de poussière,
L’âme est bien plus forte,
Que ces mots qui n’ont pas saigné,
Mais ils ont volé avec la légèreté :
Nous marchons, et si la mort rôde…
Quelle mort quand les morts sont somnolence ?
La vie les a simplement rattrapés.
Dans la montagne, l’aigle a tournoyé,
Tout près d’une colombe, exalté,
L’air des cercles de son amour,
Dans les campagnes, nous marchons.
Même le diable s’est effrayé,
Dans les décombres désencombrées,
La vigne mûre des joies de nos envolées,
Je l’ai vu s’enfuir dans les brumes,
Tandis que l’ange a chantonné ;
Il nous a trouvé à la cime d’une branche :
Je lui ai dit : je te lègue une réponse…
Je suis heureuse puisque je t’ai aimé.

La femme du jardin

Deuxième partie

J’avais loué la petite chambre d’un vieil hôtel de campagne, situé à la limite d’Yzosse, chez Mr et Mme Cyprien, des gens charmants. Était-ce songe d’un été que m’enchantaient les promenades que je faisais très tôt, afin d’éviter les chaleurs estivales, particulièrement marquées cette année-là ? Mme Cyprien me préparait de copieux repas que je ne savais, hélas, à mon grand regret, honorer, même avec la plus remarquable des bonnes intentions. Selon elle, j’étais trop chétif et un peu palot, ce qui me faisait sourire secrètement. Pour mon expédition, je me munissais d’un carnet de dessin, de quelques crayons de couleur et du repas froid que me préparait Mme Cyprien. Le paysage me ravissait et je finis par prolonger mes sorties, en dépit des températures incendiaires. J’aimais me réfugier dans les sous-bois, tout près d’un ruisseau qui s’épuisait pourtant devant les rudesses de la sécheresse. J’éprouvais le besoin de me baigner dans la nature, de m’y laver, me sentant comme par trop tôt pollué par les vices du siècle. Je revisitais mentalement Les rêveries d’un promeneur solitaire et saisissais pleinement, avec un engouement nouveau et sans limite, ce qu’avait dû éprouver Rousseau lors de ses immersions dans la nature. Mon esprit revivait, indépendant et soulagé. Je revins chaque jour étudier le paysage, l’invitant à me surprendre. Quand je rentrai, curieuse, Mme Cyprien venait prendre de mes nouvelles. Elle était fière de surprendre le jeune parisien que j’étais et ne me lâchait plus. A cette époque, j’écoutais avec beaucoup d’amusement ces propos. Je les trouvais frais, sans composition. Cette brave femme me reposait, d’une certaine manière, de tout ce que j’avais connu jusque-là.

– Quand il nous vient de bonnes gens comme vous, on est plutôt content, me dit-elle un soir.

– Ah ? demandai-je, surpris.

– Pour sûr ! beaucoup sont de passage. Ils marmonnent entre leurs dents et nous lancent des ordres avec fierté. On se demande pourquoi d’ailleurs. Ici, c’est un petit hôtel sans prétention. C’est parce qu’ils payent qu’ils nous prennent pour leurs esclaves. Mais, l’argent n’empêche pas le respect.

– Je vous approuve sans réserve, Madame.

– Nos enfants sont partis pour la grande ville. On s’est finalement retrouvés seuls. Ça nous cause du chagrin, mais on s’y fait. Dans le fond, on les comprend. Ils doivent s’ennuyer dans ce coin perdu. A côté de la ville, ici, ça doit leur sembler terne. Pour nous, c’est pas pareil. C’est notre pays et on n’a pas connu autre chose. Il coule dans nos veines. On l’aime, voilà tout, tandis que la jeunesse… elle aime bien se distraire.

Mme Cyprien me couvait comme si j’étais un de ses enfants et je comprenais, qu’à sa façon, elle aurait aimé que d’autres s’occupent de ses petits comme elle le faisait avec moi.

********

*La peinture est d’Édouard Vuillard (1868-1940)

Les toits de la ville

Bientôt, j’apercevrai les toits de la ville,
L’esprit frôlant les longs peupliers de brume.
L’azur se campera des vergers vaporeux,
Puis s’étagera des douceurs d’une plume.
Quand aux vitres du matin triomphant,
Nous tournions autour du feu des ramures,
Et quelques pigeons faisaient rempart bien souvent,
Au jour impétueux que peuple mon écriture ;
Quelques épanchements de douleurs,
Fatalement délivré du cri de l’anathème,
Puisant la force dans l’étang de notre cœur,
Poursuivant l’éloge et l’emblème.
La haine ne nourrit aucunement l’amour.
Le pied léger, j’avance dans le creux d’un labour.
Ici ont mûri les grappes de notre séjour.
Je vais sans perdre une seule seconde,
La montagne enfante et féconde et le soleil
M’étreint ; je crains les vagues montures,
Océan de lumière, et c’est au jour qui pointe vermeil
Que soupire au trépas vainqueur, notre douleur,
La nuit chargée de sommeil et puis de veille.

Correspondances XXVII

Cher,

Certaines promenades n’ont jamais de fin, ne semblent jamais commencer, nous apprennent à regarder le sentier, les traces du vivant dans les poussières, dans les froidures de la nuit, quand l’on entend le dernier chant d’un oiseau égaré, quand l’errance n’est plus torpeur, dans la grandeur de la solitude, que les mondes se rencontrent sous la forme d’une longue révérence et que notre cœur devient léger depuis la hauteur d’une lune qui courtise un soleil facétieux. Je vous ai longtemps regardé, comme définitivement liée à votre être, et l’univers entier tournoie, ivre de ce qui ne sait se limiter et je puis vous l’exprimer, en petite rosées fines, posées à l’aube sur le bec délicat d’un pinson qui nous suit depuis le soir. Sur le mur d’en face, l’arbre (vous savez, le lilas) nous dit bonjour et je le salue. Les moineaux bavardent et je les rejoins. Ce moment printanier dans les branchages d’hiver est une douce faveur. Bien sûr, je ne sais pas ne pas aimer et quand la nuit se dissout dans le jour, je rencontre de nouveau ce sentier, puis le marronnier, le platane, le chêne, le saule près du ruisseau, l’érable, les joncs et quelques prunelliers. Oui, mon cher ami, la promenade est comme une perpétuelle envolée et notre amour a élargi l’espace, les cellules de notre chair, les clapotis de lumière, les terres sans limite, notre mémoire continue. L’instant est pure joie. La vie est notre parchemin. Il n’y manque rien.