
Les mots m’ont révélé
Le doux bruissement,
De deux vagues indécises.
Les mots m’ont révélé
Le doux bruissement,
De deux vagues indécises.
Souvent, les mots s’arrêtent,
Et tous, tendus d’inconnu,
M’emmènent là-bas.
Entre les mots,
L’infini espace,
Du pouvoir des mots.
Ne pas prendre aux mots,
Une seule lettre, un seul sens,
Leur fleur fragile et grandiose.
Etions-nous hantée par le mot ? L’on y touchait avec le doigt, juste de l’encre noire sur une page blanche. Mais, était-elle si blanche cette page ? Notre corps disparaissait. Nous n’avions pas d’âge. Nous avions un an, puis deux, puis trois, mais nous n’avions pas d’âge. Une main nous serrait très fort. Était-ce un étau, était-ce autre chose ? Le mot pouvait bien être un point, ou bien une mouche, pourquoi pas ? Celle-ci dansait avec ses drôles de petites ailes vitraux. La mouche se frottait à la page blanche, y traçait un sillon et il était noir. Beau noir de l’accomplissement, le parfait, la couleur sans nuance. La mouche voletait ici ou là. A bien considérer les choses, nous n’avions véritablement pas de corps, ou bien le corps avait-il été façonné dans une matière inconnue ? En y pensant longtemps, je le crus possible. En cette réalité de l’instant, tout était possible, n’est-ce pas ? La mouche effaçait les mots, en traçait de nouveaux ; parfois, cela était de petites tâches, très bénignes au demeurant, de si petits points et il fallait pouvoir en trouver le décodage. Pourtant, le mot avait bien commencé quelque part. Il avait dû apparaître dans l’obscurité des temps reculés. Ou peut-être en pleine lumière ? Les mots ont toujours gigoté. Ils ne tenaient pas en place. Il fallut beaucoup de temps pour les voir enfin s’aligner. Néanmoins, lors que vous remontez jusqu’à l’origine du mot, vous comprenez que ceux-ci ne vous appartiennent absolument pas. Ils viennent d’un monde bien précis, bien probable. C’est la mouche, voyez-vous, qui me le confia alors que je lui donnais à boire…
C’est par où le mot
Circule, que la cible
Devient une flèche.
Etourdi, un monde s’efface,
Et l’encre crier,
Sur les vagues,
Algues écumées.
L’inspir d’une seconde,
Tout semble basculer,
Plume d’un nuage,
La pluie étonnée.
Sertis de tes mots secrets,
Les yeux valsent,
Rive sauvage,
Je t’aime à me lier.
L’inspiration vient de deux horizons différents. Plus que tout, l’inspiration est une profonde modulation de l’esprit. Le véritable travail s’opère en plein cœur. Substrat dont la pénétrabilité ne peut en aucun cas advenir d’un artifice. Celui-ci est par nature une tromperie. L’artifice naît d’une dépravation qui pousse l’individu, à son insu parfois, il le faut bien reconnaître, vers la manigance. Les mots entretiennent, selon l’individu, une action assez remarquable. Au cours de notre périple, déjà lointain, nous avions, certes, découvert un autre monde et par lui, nous avions réalisé qu’il existait un grave malentendu avec celui qui nous avait été donné de vivre, presque simultanément, comme une sorte de transfuge inopiné. La lumière est entière ou ne l’est pas. L’on ne peut s’autoriser à être le représentant de quoi que ce soit lorsque notre lumière est inefficiente. Mon travail d’archéologie m’avait appris à m’ouvrir à la nature et à l’intuition. Il est vrai qu’Emily Kaithlyn exerça sur mon être, non pas un ascendant servile, comme on serait enclin à le supposer, mais, bien au contraire, une influence consentie, ancrée dans la confiance mutuelle et la sincérité. Sa personne entière me captivait, parce que cette femme était authentique. Son être résonnait en moi et m’ouvrait à des perceptions peu communes. L’authenticité vous élève. Le reste est, assurément, un marché de dupes.
La magie d’un être vient de ce qu’il fait ressortir le meilleur de vous-même. Il vous apprend à observer, à vous observer, avec cette particularité que seule la subtile intuitivité peut provoquer en vous. Nous commençâmes à être ensemble, Emily Kaithlyn et moi-même, parce que nous l’avions toujours été, et que notre rencontre datait vraisemblablement d’un autre monde. La réminiscence d’une relation est d’une absoluité définitive. Emily Kaithlyn me disait avec beaucoup d’humour : Jeune fille, il n’y a pas grand monde sur terre et nous aurions grandement tort de nous y attarder. Il faut reprendre le travail là où il s’est arrêté, un point c’est tout ! Je savais de certitude certaine que cette femme charismatique disait la vérité. Quelque chose en moi le ressentait si intensément que je me surprenais parfois à trembler, submergée par une émotion indicible.
Néanmoins, amoureuse que j’étais depuis toujours des détails de la vie quotidienne, je ne prenais pas véritablement la mesure du séisme intérieur que je vivais alors. Je continuais ma vie estudiantine avec beaucoup de nonchalance. Je rencontrais parfois d’anciennes connaissances, celles de mon lycée, ou fréquentais de nouvelles personnes, car tout en étant sociale, je me vouais à la solitude avec l’esprit méticuleux des contemplatifs. Avais-je un quelconque mérite ? Depuis toujours, j’aimais me retirer dans le silence de la contemplation, dans sa pieuse inactivité apparente. Je détestais l’agitation et même l’étrange manifestation nerveuse de mes contemporains. J’abhorrais l’affairement. Je n’éprouvais aucune inquiétude quant à mon avenir. Les rivalités et les impostures m’insupportaient. Il me semblait que tout était là et que la vie était un Jardin sans fin. Malgré tout, je m’étais prise de sympathie avec une étudiante iranienne, une réfugiée de la révolution. Elle et son frère avaient atterri à Paris depuis peu. Fereshteh était brune, les cheveux épais et raides ; elle était de taille moyenne, élégante et douce. Nous nous étions rencontrées au cours de Russe. Nous passions beaucoup de temps ensemble. Il me semblait naturel de l’entourer de bienveillance. Ne m’avait-elle pas confié, avec beaucoup d’émotion, le récit des tortures que sa famille avait subies, simplement parce qu’ils étaient sunnites ? J’étais atterrée. Ses parents avaient tout sacrifié afin d’éloigner leurs deux enfants. Ces derniers vivaient dans un petit appartement, sous les toits de Paris et poursuivaient leurs études. Fereshteh me disait que, son frère et elle, avaient été de grands privilégiés, contrairement à certains de leurs compatriotes, la richesse personnelle de leurs parents leur avait ouvert les frontières et permis ainsi d’échapper au chaos que subissait l’Iran. Mais Fereshteh se sentait seule et isolée, totalement perdue dans ce vaste Paris. Son visage laissait souvent entrapercevoir un voile de tristesse insondable. J’étais émue jusqu’aux larmes par son petit être. Je me promis alors de veiller sur elle et de l’entraîner dans la joie simple de l’existence.
*Prénom iranien qui signifie petite fée.
©Béatrice D’Elché
Les mots ont tracé un sillon dans les nuages, et ils ont fait de moi une danse, mais, ils sont venus aussi en rangs serrés comme des farandoles m’ôter toutes les illusions et ont forcé le sens de l’avoir pour creuser ma folie au burin de mon être, mais les mots boivent encore dans les semences de chaque seconde qui passe pour me voir disparaître en un sentier sur lequel mes pas, croches noires et croches blanches font des bonds, ici et puis là-bas, jouant sans cesse. Par l’essence de l’être, les mots m’ont frappée et j’ai répondu à leur rire par leur rire. Les mots sont les papillons de mon corps, puis, ils me surprennent comme un moment crucial et par les mots, je jette les ponts qui nous relient, car les mots parlent et aiment provoquer. Ils sont avant nous, mais ils sont aussi ce « nous » par lesquels ils se bousculent allégrement et appellent de toute leur force comme pour renverser nos points de vue. Puis, les mots me poursuivent et je gage que je n’en finirai jamais avec eux. Ils sont des tourbillons de joie, révérence sur révérence et je les écoute comme on écoute une douce voix.
Si le cœur n’est pas le mot, alors le mot ne représente rien. Si la vie n’est pas l’acte, alors la vie n’est pas la vie. Combien de mots deviennent des flèches empoisonnées qui tuent l’instant frémissant ? Combien de barrières dont les frontières sont le sortilège des points ? Si le cœur n’embrase pas le corps, alors le corps n’est pas le corps. Si le corps n’épouse pas l’esprit, alors chaque chose glisse vers sa décrépitude, irrémédiablement. Si le souffle n’est pas allié au vent, alors celui-ci emporte tout sans distinction. Combien de comédies dans ces mots qui deviennent les pièges de l’inconscience ? Les mots nous cherchent doucement et nous saisissent par leur essence, ou ne nous saisissent jamais. Que deviennent-ils alors ? Où s’en vont-ils ? N’ont-ils jamais eu leur réalité ? Les mots m’ont hébétée.