A pleins poumons

Peinture de Anka Zhuravleva

J’ai marché de travers sur un trottoir, penchée sur les effets miroitant de la pluie, l’humeur joyeuse, éclaboussant l’ordre par trop rectiligne et il m’a fallu de longues années pour ne jamais me défaire de l’air taquin qui flotte dans l’air. Que voulez-vous, C’est ainsi. Je ne cache pas ma joie, même au milieu d’un magasin et quand je vois les gens mornes déambuler avec leur masque, il me faut briser leur muselière. D’avoir été si sombres, les hommes ne rient plus. Ils ne dansent plus et jouent à être des adultes mortifères. Quand ils se prennent d’euphorie, il leur faut quelque verres de whisky. Je n’y ai jamais cru. Je dis bravo à la vieille dame qui a oublié son masque et nous sourions toutes les deux, complices. Un homme, qui avait baissé son masque blanc, lance, dans le train, à un contrôleur, qui le rappelait aux règles sanitaires : respirez à ma place si vous le pouvez ! Oui, respirez, respirez fort le bon air de l’hiver et ressentez les gouttes de rosées vous caresser le visage. Vive le ciel, et vive le bon air à pleins poumons ! Que voulez-vous, il s’agit de ma folie et sans whisky, je vous prie !

Veuillez considérer cela comme le plus extravagant des interludes qui se puisse être.

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Singe 猴子

Quand ce singe, quelque peu vieilli, parvint aux abords du Nil, il fut fatalement vaincu par la beauté, celle reflétée par les doux miroirs éclatés du fleuve. Il s’allongea parmi le fameux parchemin des roseaux circulaires et scruta, l’air un peu vague, le non moins vieux crocodile et le salua avec le geste lent de ceux qui se reconnaissent. Ce singe-là appartenait à une espèce en grande voie de disparition. Le clapotis ancestral des bords d’Assouan lui fit une élégante révérence. Il semble qu’ils reconnurent en lui quelqu’un de bien. Quant aux luxuriants palmiers, ils s’étonnèrent de sa présence, mais n’y prêtèrent guère plus d’attention. Le vieux singe opina de la tête et se résigna puis émit un long soupir, un soupir qui remontait à ses vénérables aïeux. Il avait parcouru le désert afin d’arriver en ce lieu magique. Il s’était contenté de peu et avait survécu à la faim et à la soif. En ce qui concernait les hommes, ceux-ci n’avaient pas vraiment changé. L’animal les observa un moment. Ils marchaient, comme flottant dans leurs vêtements couleur de sable. Un petit passereau s’approcha de lui et se lova tout contre sa poitrine. Le vieux singe s’endormit. Il se revit en rêve, alors qu’il était jeune, beau et facétieux. Quand il se réveilla, il se dit : dans le fond, j’ai vécu une vie de singe...

Les mots sillons

Les mots ont tracé un sillon dans les nuages, et ils ont fait de moi une danse, mais, ils sont venus aussi en rangs serrés comme des farandoles m’ôter toutes les illusions et ont forcé le sens de l’avoir pour creuser ma folie au burin de mon être, mais les mots boivent encore dans les semences de chaque seconde qui passe pour me voir disparaître en un sentier sur lequel mes pas, croches noires et croches blanches font des bonds, ici et puis là-bas, jouant sans cesse. Par l’essence de l’être, les mots m’ont frappée et j’ai répondu à leur rire par leur rire. Les mots sont les papillons de mon corps, puis, ils me surprennent comme un moment crucial et par les mots, je jette les ponts qui nous relient, car les mots parlent et aiment provoquer. Ils sont avant nous, mais ils sont aussi ce « nous » par lesquels ils se bousculent allégrement et appellent de toute leur force comme pour renverser nos points de vue. Puis, les mots me poursuivent et je gage que je n’en finirai jamais avec eux. Ils sont des tourbillons de joie, révérence sur révérence et je les écoute comme on écoute une douce voix.

Au bord d’un lac

A la beauté, coupe est pleine,
Je marche bâton en main.
Ne me crois pas si vilaine,
Depuis l’enfance l’âme vagabonde.
De surprise en émoi,
J’ai rencontré une naine,
Elle sautait à pieds joints.
Quant à moi, je file la laine,
Au bord des sentiers muets.
C’est parce que l’année prochaine,
Je deviendrai bergère,
Et que dans les nuages,
J’ai vu passer mille et un présages.
Puis, quand vient le soir,
Au bord d’un lac je m’assois,
Et je chante le murmure des branchages ;
Là-bas, je consens à l’adage.
Ne m’en dis pas plus !
Je finirai par rencontrer le sage…

Ironie du sort

L’on voudrait se suspendre,
A l’amour frileux,
Au milieu des bois,
Perdu,
Dans je ne sais quel scénario,
Puis rire de joie,
Comme ne pas…
Quand il n’est aucun sens,
Il n’en est pas.
C’est alors qu’un monstre surgit,
Du fond des gorges mendiantes,
Et le fin mot fut de surcroît.
Quelques ombres nécrophiles aux abois,
Quel jeu dans la perdition de narcisse,
Ou bien est-ce la dérision du moi ?
Ne jamais se moquer des friandises.
Je ne dis pas que le macabre,
Dans le fond est une horreur,
Mais cela me surprend,
Quand de sens il n’en est pas,
Alors, par où dois-je aller ?
Non, non, ne me le dites pas,
Ça ne se fait pas.
J’ai rencontré le sort.
Croyez-moi !
Il ne joue pas.

Cœur ouvert

Cœur ouvert,
Signifiant sens.
Cœur fermé,
Tout à l’envers.
Atome particulaire,
Tout en vers,
Mais contre tout,
Immatérialité.
Quand naquit l’univers,
Exquise banquise,
Je m’en vais envers,
Les aspérités,
Retrouvant toute stabilité,
Mais quand l’un s’exaspère,
Le vent a tourné,
Depuis l’étrange sphère,
Le pli se révèle d’équité.
Quand l’un dit vert,
Je vole sans discontinuité.
Ce que les yeux s’accommodent
De tant de lumière !
Puis arrive l’obscurité.
Viens donc boire ce verre,
N’en dis pas plus !
Au bon endroit,
Me suis amusée,
Ni plus ni moins,
Le cœur se répand sans sourciller,
La maison joue,
Puisque rien n’est consommé,
L’atome m’a envoûtée,
Si succombe,
La vie a tout à gagner,
Si péris, qu’ai-je à t’enlacer ?

Instantanéité

L’instant ne fut pas commandité,
Il vint en silence,
Cueillir,
Un moment de prévenance,
Il fut surpris,
Puis s’arrêta.
A la cime d’une montagne,
Les arbres tinrent le discours,
Qu’évoqua le chambellan des bois,
Mais sieur, que s’est-il donc passé ?
L’instant est né d’instantanéité.
Détaché, vous en conviendrez
Le reflet est pourtant roi.
Quel est donc ce langage ?
De l’absurde est devenue écuelle
Qui aux quatre vents soudoie
Quelques ribambelles
D’éloges d’autrefois.
Mais pourquoi parlez-vous ainsi ?
Ce n’est pas moi qui parle
Mais l’instant est né d’instantanéité.
Ah ! Je vois.

Le lapin

Image associée

Quand glissent les mots,
Il n’est plus aucun sursaut.
Sur le givre, j’ai posé mes mains.
J’ai fait deux ou trois pas avec entrain,
Puis j’ai ri au vent marin.
Monsieur le lapin est un farceur,
Mais il porte une robe plutôt blanche.
Quand je sème du foin,
Il revient.
Mais quand c’est de la luzerne,
Il ne comprend rien.
J’ai planté ma lanterne,
Comme on plante du romarin.
Et si de la roche surgit un chemin,
Je continue jusqu’au matin.
Ne riez pas !
Ceci est le saut d’un lapin.
Il n’a pas ouvert encore la besace,
Mais il va bon train.

Lettres mortes

Je m’en vais
Sans les mots,
Défaite de toutes les voyelles,
Juste avec mon pinceau,
Et je brave les timides hirondelles
Qui s’en viendront bientôt.
Je m’en vais,
Courir les petits ruisseaux,
Et tremper les consonnes,
Afin qu’elles se parfument d’ambre,
De paradis nocturnes,
D’étranges morceaux,
De notre chère lune,
D’humeurs opportunes,
Des bêtises de nos heures,
Quand attirée par la lueur
Les lettres se heurtent
Aux arbres, puis aux fleurs,
Et voilà qu’elles s’étonnent,
Et se regardent.
– Tiens-donc !
– J’ai vu un A qui bousculait un B
N’en dites rien à personne
Je vous en sais gré.
Les lettres ont fait une ronde
Je me suis mise à danser.
– Mais quelle est donc lettres mortes
Qui gisent à vos pieds ?
– Ce n’est rien,
Je viens tout juste d’éternuer.

Correspondances XI

Cher,

La solitude ne nous trahit jamais de nous donner entièrement à cet indéfinissable. La force vient de ce qui nous libère en permanence de toutes les emprises, quelle qu’elles soient. Il existe une forme d’obéissance qui exclut toute autre forme d’esclavage. Bien souvent, les gens ont peur de faire l’expérience de ce qui n’a jamais été exploré. Il existe une sorte de gouvernail qui n’en admet plus aucun autre. Cette solitude renforce en permanence l’observation, et je disais à Abigaëlle abruptement : l’imprenable n’est plus un défi ni même un choix. Il s’agit d’une réponse et soudain, la vie est un tournoiement sans fin. Pour avoir méconnu souverainement cette solitude, nous voici aliénés. Vous souvenez-vous comme nous avons tacitement agréé, non pas notre indépendance, mais notre mutuelle vigilance à ne pas nous laisser envahir par ce qui a tôt fait de nous imposer sa tyrannie, c’est-à-dire ce que j’ose appeler notre asticot prétentieux ? Vous savez comme je suis prompte à l’auto-dérision. J’aime à en rire, parce qu’il est lui-même à me céder à cette autodérision notoire. Sans cette dose d’humour, nous sommes d’un ennui proprement mortel. Cet ennui vient de nos affectations spontanées qui est de nous identifier en permanence avec la vie qui passe. Je crois que cet asticot me chatouille fortement et sans avoir cet excès et indécent penchant à la raillerie qui serait dirigée vers les autres, je m’amuse bien autrement avec mon propre asticot. Ici, il n’est aucune retenue possible. Bien au contraire. Comme nous avons ri ensemble à nous en faire mal au ventre ! Faut-il avoir traversé les fragilités inouïes de notre être pour sourire sans jamais faillir ?

Bien à vous

B.