Erreur et Délivrance

Nous ne naissons pas égaux, quoi que nous disions. Observez le monde. Vous ne verrez pas les mêmes réalités. Observez votre rue. Vous ne verrez pas les mêmes personnes. Nous ne sommes pas une valeur numéraire. Nous ne sommes pas quantifiables. Nous ne sommes pas non plus un seul chemin. Nous ne sommes pas une seule manifestation. Ce que ce monde a oublié, c’est cela : Quoi que l’on fasse et quoi que l’on dise, la semence donnera sa réalité-une et plénière. Elle éclora de sa germination et de nulle autre. Elle libèrera ce qu’elle est. Sa nature s’accomplira, qu’on cherche à l’en empêcher ou non. Elle sera visible ou non. Cela ne lui importe pas. La semence est conforme à ce qu’elle est. Nul n’a le droit de réduire ceci ou cela, de combattre la nature des choses. Chacun nous devons entrer dans la Danse, harmonie des harmonies.

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Zombies

Qui y a-t-il en toi qui dort,
Homme sans véhémence,
Es-tu déjà mort ?

Je parlais de grandeur et il m’assommait de son poing afin de me faire taire. Je croyais m’élever jusqu’au plafond et le poussais de mes deux mains avec force. Je parlais de l’âme mais il ne voyait qu’un alinéa de masse. Je parlais de fondement mais il m’assommait encore afin de faire taire la voix de mon cœur. J’écartais les murs de la torpeur et finissais par comprendre l’étrange et insidieux mal du siècle. Je courais par-ci, par-là, m’accrochant à la réalité d’un Absolu. Depuis que je suis petite, je marche, incognito, parmi les zombies.

Epopée

La vision prophétique, liée aux oracles successifs, accablent les Muses, et chacune semblent vouloir apparaître aux hommes selon les disponibilités de chacun. Mais, Polymnie, qui s’adresse à ses sœurs, lors d’une assemblée dans l’Alast des origines, est étonnamment en colère contre le siècle. Elle évoque le temps, la décadence des hommes, et s’insurge contre leur pleutrerie. Elle mande Platon et tous ses frères. Ceux qui, dans d’autres mondes, écoutent avec une attention requise, demeurent, pour le moment, sans voix.

Acte III

Scène I : La Muse Polymnie à ses huit sœurs.

Ce monde, un cloisonnement,
Une incapacité sans consistance,
Un débordement déferlant,
Une croisée sans lendemain,
Une étrange effervescence,
Puis, l’assèchement des liens.
Ce monde, une terre stérile,
Et la pluie indifférente,
Aux faux instants,
Des nœuds fatals
Dans la rapacité du sombrement,
En cœur fractal,
Car, une orgie de non-sens,
Qui se pique de géométrie variable,
D’incontinence mentale,
Puis, de putrides délaissements,
D’inavouées trépanations,
D’inconsidérées verbalisations,
De muettes séparations,
De cannibalisme sans honte,
De trottoirs calcinés,
De restes comme de l’abondance,
De logorrhées et de machinations,
Quand les mots se mâchent,
Turbulents et pestiférés,
Dans le sable des bouches de la diffamation.
Le temps a tout saccagé,
Le temps emprisonne l’éloquence,
S’acharne dans la purulence,
Au bord des gouffres déversés,
La parodie avérée de la bonté.
Mais de te surprendre, Ô noble Platon,
Là-bas, quand surgit l’horizon,
Drapé de reflets et vénérables propos,
De voiles défaits qui volent au vent,
Tandis que s’achève la lente montée,
De l’esprit pur et ordonné,
Jusqu’au noyau d’une amande,
Les tréfonds d’un temps oublié,

Polymnie tourne son regard vers l’horizon de l’Alast Divin :

J’aperçois une lueur,
Notre espoir renaît.

Je suis là

Il n’était pas tout à fait minuit. Elle travaillait sur un projet qui l’occupait depuis quelques jours. L’appartement était silencieux. Parfois, elle jetait un regard sur la nuit profonde qui semblait avoir couvert le grand parc d’un manteau noir. L’immense baie vitrée était située à sa droite. Elle était assise sur un fauteuil à bascule qui lui permettait ainsi de plier aisément ses jambes. Elle aimait particulièrement cette position. Quand elle se sentait lasse, elle se balançait lentement tout en plongeant son regard à l’extérieur. Parfois, elle se levait, enveloppée d’un châle et se tenait bien droite, face à la grande baie vitrée. Ses yeux semblaient captivés par quelque mystérieuse et inconnue destination. Le signal qu’un message lui était parvenu sur sa boite mail retentit. Elle fit un pas vers son bureau et consulta son courriel. Un message pour le moins inattendu, celui d’une récente relation virtuelle, commençait ainsi : Où que vous soyez, priez pour moi ! S. Elle lut et relut le mot, éprouvant soudain une peur indicible. La phrase résonnait pareil à un appel au secours. Que savait-elle du monde ? Elle vivait depuis des années comme une recluse. Peut-être cette personne l’alertait en un dernier recours avant de passer à l’acte funeste ? Il fallait lui donner le change… Coûte que coûte ! Cette personne était là, derrière l’écran, dans son espace secret. Elle la retint comme l’on se retient soi-même, la menant, peu à peu, à oublier son désarroi. Elle jeta une corde solide vers l’homme et écrivit : je suis là. Elle se mit à écrire tout et n’importe quoi, à tapoter sur ce clavier, juste le retenir, puis se retenir dans la nuit noire. Juste l’aimer comme on aime l’humanité entière, sans retenue.

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Peinture de Tom Roberts (1856 – 1931)

L’homme

J’aimais l’homme d’un Amour infini et me plongeais dans son silence comme l’on plonge dans l’immensité d’un océan. J’aimais l’homme sans pouvoir m’en défaire, étourdie par mes pas discrets, vers lui. J’aimais l’homme comme on aime la vie entière, par ses résonances et ses mystères et c’est ainsi que j’étais attirée par le fait d’entrer dans son univers. J’aimais l’Amour qui me menait vers son être et j’aimais cette approche du silence. Je regardais l’homme comme l’on regarde le frémissement de l’eau, les balancements d’un arbre, les nuages cotonneux. Je contemplais son origine, et j’y trouvais la grâce de m’émouvoir, suspendue à sa sincérité. Je façonnais de mes mains invisibles cet homme avec la tendresse d’une mère, la compassion même d’une montagne qui retient son souffle pour ne pas écraser la fourmi. J’aimais l’homme comme l’on aime le secret du roseau, ou celui d’un puits infini. J’aimais l’homme du silence, l’homme qui marche avec tempérance et ne froisse pas le moindre velours d’un pétale d’une rose. J’aimais l’homme de la méditation et de la prudence, celui qui atteint le voile des opacités et celui qui épouse les réalités de l’âme. J’aimais l’homme de l’arrêt et de la singularité, celui qui esquisse un geste et puis l’efface. J’aimais le Maître et l’enseignant, comme j’aimais l’homme qui passe et qui parle avec le cœur d’un enfant. J’aimais l’homme du dialogue et celui de la question, tout comme j’aimais le pécheur devenu le vieux sage. Je les ai aimés, ces hommes, comme on se souvient de leur âme et comme on cherche l’intensité de notre propre écho. Ai-je été jusqu’à aimer l’homme dans ses tourmentes et ses dérives ? J’ai embrassé les pauvres mains d’un mendiant aux veines usées. L’Amour a dépassé la forme, puis, a visité l’essence.

Les velléités

Le temps qui passe ne revient plus. Le temps passe et s’use par diverses velléités et quand même, il faut que certains êtres s’extraient de tous les combats qui n’ont autre vocation qu’à rassurer les apeurés, ces stupéfaits par la vie, abasourdis par sa force, et dont ils ne reviennent pas. Comment revient-on de la vie ? Comment le pourrait-on ? Comment considérer cette énormité sans cesser toute activité et s’interroger ? J’avais quatorze ans lorsque les questions se mirent à se bousculer. Je pointais d’un doigt certains énoncés, et je tournais les pages avec enthousiasme, parfois même frénésie. J’étais aussi une hébétée. La vie est un prodigieux mystère. La folie des hommes m’interpellait. Je les regardais ahurie : êtes-vous bien des hommes ? leur demandai-je secrètement. Le Ciel parle. Le Ciel nous dit des choses. Les paroles du Ciel vous heurtent jusqu’au plus profond de votre âme. Votre âme s’étend aussi loin que la vaste terre, puis s’élargit encore plus. Vous ne pouvez plus alors vous contenter de la petitesse, de la réduction, des mouvements psychiques, des névroses. L’homme en se coupant de Dieu est devenu un terrible névrosé. Est-il seulement un homme ?

Peinture de George Dunlop Leslie (1835–1921)

L’homme et le petit singe

L’ignorance a ses vertiges et le monde ses dérives. Quelles sont donc ces étiquettes que chacun déverse sur d’hypothétiques boîtes de conserves ? Plus que l’ignorance, la bêtise est l’éhontée méprise. Sommes-nous née dans un monde qui délimite la liberté, touchant du bout des doigts les plaies et les meurtrissures de nos âmes ? Les choix et les engagements sont monumental rapiéçage, l’inertie d’un puzzle poussiéreux. Alors, j’ai cherché ailleurs et ailleurs est devenu prodigiosité. Ailleurs a soulevé le monde qui s’est mis étonnement à tournoyer, libre comme une incroyable retrouvaille. La maturité est une connaissance savoureuse. Elle ne vient ni de l’insouciance ni de la négligence. Il n’y a pas de place pour cette sorte de vide. L’engagement est conscience. Mais le sage déserte la place publique et se retire loin, avec ses amis. Telle est la sagesse. Un homme tenait un petit singe dans ses bras comme l’on tient un précieux trésor. Une lumière vint à passer semblable à une féerie. L’homme l’appela aussitôt et lui tendit le petit singe, tout en demandant le secours. Mais la lumière attira l’homme et l’enveloppa comme il enveloppait son singe.

Infâmie

Cessez-donc, mais que cesse donc l’inertie de la légumineuse impavidité, et que cesse cette propagation lourde de vitriol fustigeant l’intelligence, acidités déformantes, quand les canaux de la folie sont une transe ambiante et que l’eau peine à s’écouler jusque dans les robinetteries insalubres. L’on peut voir une chose et une autre, mais soudain s’échappe, violente, l’indécente ironie d’un monde déliquescent. Une impériosité de mots jaillis comme le rejet total et irrémédiable de la démence. Folie douce du poète, démence informe du magma involutif. L’ancien monde tombe en déchirure et l’absurde ruse pour devenir la main ordurière qui répand son infâmie. J’éprouve la honte des rêveurs parce que les esprits fraudeurs ne s’arrêtent jamais et font de l’humanité une monstrueuse improbité.

Peinture d’Edvard Munch

Pétales sur la rosée

Insensibilité du geste,
Injuste cruauté,
Mais les pétales sur la rosée,
Ne se sont point rebellées.

J’ai levé la main,
Pour m’éprendre du matin,
Il a chanté,
La grâce.

Le sourire nous engage,
Le cœur est humain,
L’amour sans relâche,
Le souffle enivré.

Le nuage passe 雲通過

Le vent souffle et sans doute amène-t-il comme un languissement crucial d’autres objectives paroles ? Sans aucune considération vindicative, il penche sur les obliques vagues, ces herbes hautes ainsi que les branches des arbres. J’ai rencontré beaucoup d’hommes murmure le singe, et certains de mes frères ont des vues bien étroites. Si les hommes se heurtent, les singes se disputent violemment quelques bouchées prises à la dérobade. Je suis vieux et mon poil blanchi. Quand je vois passer le héron sur les vastes plaines d’Afrique, je souris, mais quand je vois se poser certains vautours autour des carcasses amoncelées, leur marche me semble plus pitoyable que la blancheur remarquable des os gisants. Mon esprit est clair et si vous me voyez dodeliner de la tête, c’est parce que je vous regarde. Ce que je pense n’est qu’un nuage qui passe.

Aquarelle sur papier de Johann Wilhelm de Graaf