Les étourneaux

L’homme pétri d’émotions, voit son regard arrêté tout de net, et quand il sirote une pensée, il baisse le bras, s’appuie sur le genou, et dodeline de la tête. L’avez-vous vu cet homme ? L’avez-vous considéré, dans la vastité de son horizon ? S’est-il entremêlé dans le ciel de vos yeux ? Il se peut qu’une enfant le découvre en silence et le suit toute une vie, tandis que vibre cet instant qui bat au rythme du cœur suspendu. L’homme des petits gestes, et d’indicibles souffles que l’on vient cueillir à l’aube de l’âme, afin que la main se glisse et dise ce que les mots taisent. Mais au loin, les étourneaux dansent et se rassemblent, faisant du crépuscule, le commencement d’un long voyage.

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Cœurs blessés

Dans l’ombrage dont semblent nous vêtir certaines liqueurs,
J’entends le cri de désespoir des plus grands soubresauts.
Parfois, d’oublier sur le chemin le grand savoir de nos cœurs,
Un écheveau de larmes, une téméraire dérision,
La misère des voix de nos frères et veuillez m’expliquer
Ce déni sans plus que nos mains atteignent les rives mortifères,
Pourchasser par les bruits de l’insolente répression,
Veuillez me dire pourquoi l’homme s’efface et laisse agir les pourceaux ?
Dans nos bulles, comment garder nos larmes, cette triste misère ?
Certains hommes n’ont pas oublié et nous allons les trouver.
J’aime les cœurs blessés, dans leur tourmente vérité,
Je n’ai pu les quitter et continue de les aimer.

Liang 亮

Dans la petite maison, le feu crépitait et même ronronnait grâce à la théière en fonte qui se trouvait toujours placée sur le feu, jour et nuit, à diffuser une chaleur rassurante. Souvent accroupie, Māmā préparait le repas. Elle lavait dans une bassine les légumes, puis les découpait en fines lamelles sur la planche. Quand il faisait trop froid, elle cuisinait à l’intérieur. Mais la plupart du temps elle aimait être dehors sur la petite terrasse et s’activait avec une telle souplesse que la jeune fille en restait sans voix. Tandis que la marmite faisait son office, Māmā s’activait à la lessive. Comme elle aimait la regarder, trop jeune encore pour mettre les mains dans le bac à eau. Sa mère tordait le linge, le frappait avec une pelle en bois. Puis, elle rinçait le tout dans un autre grand récipient en versant dessus une belle eau transparente et lumineuse. Liang, je sais pour quoi je suis venue au monde. J’y ai réfléchi. Je crois que nous venons tous pour une ou plusieurs choses. Nous devons bien le faire. Nous devons accomplir avec beaucoup d’amour tout ce que nous sommes venus faire. Nous devons ressembler à nos actes. Liang, je sais que je suis venue au monde pour toi. C’est cela ma mission.

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Correspondances XX

Cher,

Chaque fois que vous écrivez, j’aime à laisser l’oiseau se poser, délicat, vous savez, cet oiseau que nous connaissons, celui du temps, celui que l’on enveloppe de nos deux mains afin que rien ne l’atteigne. Votre âme, je la ressens, ici, comme n’ayant jamais quitté cet instant. Je vous sais semblable à ce petit oiseau. Je le pressens, même si nous mettons longtemps à nous voir. Mais nous nous voyions, n’est-ce pas ? Je sais que vous comprenez que ce qui s’écrit là, s’adresse à la part intacte en vous, qui n’est jamais altérée. Elle peut être représentée par telle ou telle chose. L’oiseau s’est posé. Et je le regarde. C’est l’âme avec ses yeux qui percent l’invisible et l’incommensurable. L’âme n’a pas d’âge et voyage. Quand je vous écris, m’adressé-je à un autre ? Seule l’âme comprend l’âme. En cette pureté de l’instant, rien n’est fané. Ni ce cœur, ni ce visage, ni cet élan. Je repense à ce que vous m’avez dit tantôt, et je le prends, sans rien changer, comme l’oiseau que je regarde. A quoi bon ? Le corps peut se mouvoir, il peut même se transformer. Le cœur peut être assailli. Il peut trembler, comme surpris par le froid matinal. Et alors ? Vous ai-je dit combien j’aime à vous mettre en ce repos ? Mon repos est le vôtre, et le vôtre est le mien. Oui, je peux vous dire ces choses que peu osent, mais, je peux les dire. Elles sont simples, et puis surtout, elles proviennent du temps qui ne change pas. Un temps qui appartient à un autre espace. Cher, je vous reçois et je vous redonne. Prenez ces mots dans la grâce et dans la paix. C’est justement là que nous nous trouvons.

Bien à vous,

B.

Correspondances XIX

Cher,

Nous avons appris, ou bien apprenons-nous que nous avons appris ? Apprenons-nous chaque jour à découvrir que nous avions depuis toujours ce que nous découvrons ? La plupart du temps, je ne cherche rien, mais je suis surprise. Par exemple, je suis chaque jour à découvrir quelque chose de nouveau. Un rien attire mon attention. Cela peut-être à l’extérieur, mais cela peut tout aussi bien être à l’intérieur. J’ai découvert que le monde que nous voyons correspond au degré d’ouverture et d’unité qu’il y a en nous. J’ai aussi découvert que nous pouvons tous avoir des yeux, un nez, une bouche et tout autre sorte d’organes sensoriels, mais nous ne somme pas, en absolu, semblables. Pourquoi l’homme a-t-il tenu à ce que tous les êtres humains soient identiques, alors, que nous ne le sommes pas du tout ? Pourquoi confondons-nous unité et uniformité ? J’aime beaucoup rencontrer mon semblable, singulièrement unique et différent. Mais tous les êtres humains ne se rencontrent pas. Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait que nous ne parvenons pas à nous entendre ? Quand sommes-nous à nous séparer et quand sommes-nous une réalité humaine, fraternelle ? Il est assez étonnant de tenir un tel langage, je le sais. Il est même déroutant. Mais, je ne m’y arrête pas moi-même. Je suis à m’entretenir avec vous en ce fameux dialogue que nous aimons depuis notre enfance. Ce dialogue, d’un commun accord, nous l’appelons dialogue platonicien. Vous me l’avez maintes fois dit et je vous écoute toujours très attentivement. Il me semble qu’à chaque fois, une précieuse révélation a lieu, en cet instant. Le monde devient palpitant et notre cœur s’ouvre avec cette résonance impossible à limiter. Impossible, vous-dis-je ! Est-cela la liberté ? Il me faut écourter cette lettre car Abi frappe à la porte. A bientôt.

Bien à vous,

B.

Les voix souterraines

Que de voix souterraines
Enterrées par les flots
Que de voix hurlantes
Saisies par les clameurs souveraines
Que de voix désarmantes
Dans l’oppression aveuglante
Que de germes en latence
Pour te rencontrer
Et que de putrides arrogances
Dans les mers déchiquetées
Mais que de fausses semblances
Qui tuent nos enfants

Et que de vaines paroles
Qui suffoquent d’avoir trop parlé
Coupables d’ignorances
Subversives à souhait
Voulant boire au vin d’innocence
Que de voix qui me hantent
Qui se sont effondrées
Dans les méandres
Insoupçonnées

Et que de voix qui me disent
Les douleurs de l’incohérence,
Quand la nuit est à tomber
Et que viennent les présages
Et que chantent nos âmes
Dans le cœur de l’aimé,
Sans être plus désarmés.

Liang 亮

Un jour, elle se perdit sur la route qui menait à la grande ville. Une lueur ensablée avait tout balayé et sous les rafales violentes, titubante, elle dût s’attacher à un arbre. Elle se couvrit de la tête aux pieds d’un long châle. L’air n’était plus qu’un énorme sifflement qui voulait rageusement tout arracher sur son passage. Elle appela dans le noir, de toutes ses forces, de toute son âme : Liang ! Liang ! Mon ami Liang ! Le visage semblait crisser sous le sable. Elle eut peur de plus jamais le revoir. Elle eut peur de ne plus sentir la main de son ami. Elle eut peur, peur… Et elle sanglota durant de longues minutes. Et puis, soudain, elle sentit des bras l’entourer et la serrer très fort. Là, là, ma petite, tout va bien, je suis là.

Instantané

Eiho HIREZAKI

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Chaque jour est celui qui passe, sans revenir, et chaque nuit est celle de notre veille. L’année n’est guère l’impasse, mais instantané. Il n’y a pas de commencement, il n’y a pas de fin et si je m’endors c’est de ne pas rêver au lendemain, puisque chaque aurore est une promesse faîte à hier. Quand même je ne reviendrai pas, je suis là d’avoir toujours été. Comme je vogue et vous visite de l’art qui est vie et joyeuseté. Souriez, mes amis, souriez jusqu’à ce que le cœur n’échappe plus à vos heures. Chaque jour est amour qui même loin de vous est encore proche. Prenez, prenez donc et ensemencez !

Le 31 décembre 2019, Béatrice.

Correspondances XVII

Cher,

Je vous écris un peu à la sauvette, jetant sur cette feuille blanche, les mots que l’on aime ciseler auprès d’un angle de fenêtre. Je vous vis tantôt, dans cette euphorie qui me donne à ces longues méditations et vous savez combien les mots nous ont non pas liés, car le mot est par trop connoté pour que j’en fasse ainsi usage, mais rapprochés. Les mots ont voyagé depuis les temps immémoriaux et nous les avons gravés avant que de pouvoir les extirper de nos magmas. Vous savez que j’aime ce mot : magma. L’on pourrait aussi évoquer ce qui n’est à mes yeux aucunement le chaos, au sens de confusion, mais d’organisation secrète de la vie, agencement parfait. Les mots ne se sont pas inventés mais ont de nouveau jailli, comme lavés de toutes interprétations, jubilants de notre instant. Mais qu’est-ce que l’instant que l’on évoque sans cesse ? Qu’est-ce que la présence ? Qui est présent à qui, ou à quoi ? Vous ai-je dit que votre visage est de vos mots nimbés et jusqu’à l’offrande de cette seule présence qui nous donne à goûter à votre lumière de par l’intensité du regard, non pas inquisiteur, mais tout attentionné par le cœur vibrant ? Ce qui se goûte ainsi, donne à la saveur profonde du magma, puis l’éclaire de son rayon de discernement pour enfin le traduire en mots. Au moment où les mots s’irriguent de cette essence, se gonflent de leur substance, nous restons suspendus à ce qui nous donne à la résonance et là, précisément là, nous devenons nous-mêmes les mots, nous leur donnons vie, et nous les regardons voler, s’étreindre, danser, comme lorsque je vous regarde et que votre visage est la sève de votre cœur et de votre âme. A plus tard, cher, car, je vous rejoins pour ce moment près de la lucarne que vous chérissez. Et nous écouterons ensemble les étoiles chanter.

Bien à vous,

B.

Impétuosité 火熱 (Huǒrè)

Mille fois
L’on s’en va,
Et mille fois,
C’est encore là.
Que peux-tu
Contre l’impétuosité ?
Que peux-tu
Quand le jour s’est levé ?
J’aime autant marcher
Sur les bordures

Du temps exalté
Et de mes yeux égarés
Vivre sans rien mesurer.
Sans doute,
Je vais vers cet enfant,
Puis la main dans la main,
Nous parlons au silence
,
Puis, soudain,
Nos têtes se sont tournées,
Vers notre étrangeté.
Enfant !

La pression d’un instant,
Nous nous sommes envolés…