Sanglier

Une bête étrange vivait dans la forêt ;
Par ses yeux intenses, je fis un long rêve,
Cousu de sombres arbres, d’herbes et de fourrés.
Cette bête, qui marchait la nuit sans trêve,

M’apparut dans une vaste clairière enchantée ;
Je m’émus de son regard et fus éprise.
Que me voulait-elle, lors que j’étais hébétée ?
Je n’osais respirer, touchée par sa robe grise.

Voici que la lumière fut comme un pont entre nous ;
Son œil, tel un faisceau, dont j’étais sous l’emprise,
Me fit le récit d’une aventure pleine de remous.

J’éprouvai pour la bête un émoi, et sans méprise,
L’énorme sanglier, d’une noblesse incontestée,
Disparut lentement, scellant notre amitié.

 

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La forêt de l’enchantement

Le fait de considérer la vie comme une gigantesque conque de verdure, incluant toutes les couleurs connues ou inconnues à ce jour, considérées, non pas comme les simples représentations d’un énorme nuancier de ton, mais plutôt comme un langage complet et infini, donne une dimension cryptuaire qui nous émerveille et nous tient permanemment en éveil. Un éveil au seuil de l’éveil. Une approche au seuil de l’approche. Un commencement au seuil du commencement.

Emily Kaitlyn, que j’appelle ainsi depuis le début de notre rencontre, sans pouvoir dissocier son nom de son prénom, m’apprenait à entrer dans les sens cachés les plus invraisemblables. Elle ne cessait de me pousser dans mes retranchements, et quand même j’avais cette tendance à m’effacer en elle, elle ne désirait jamais que je m’arrête à sa personne. Dépasse-moi, va au-delà de moi, ne me vois plus, déclarait-elle avec une force qui me donnait le vertige. Je ne comprenais pas ces injonctions. Tout cela me laissait longtemps perplexe.

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Forêt

Photographie de l’auteure

La forêt se réfugie
Dans les bras de l’arbre
De jade, mon envolée,
Le soleil se pose.

Trois qui s’élancent,
Sur la mousse,
Quelques esprits cachés,
Verdoyante joyeuseté.

L’hiver se réfugie,
Dans les bras de notre forêt,
Quelques pas,
Le sol a craquelé.

Au cœur de la nuit

Peinture de Irene Sheri Vishnevskaya, Bulgarie

La pluie a sa vêture. Sache que par moment mon regard est oblique, semblable à un regard de lune. Il pourfend tous les solstices, transperce l’insondable nudité des arbres, et va jusqu’à la profondeur, là où vivent de minuscules bêtes que je distingue dans la pénombre. Elles s’acheminent dans les labyrinthes de la terre. Rien n’est vraiment mort, tout est suspendu. J’entends précisément le vent par l’étrange immobilité de la terre. Il y a des vagues que l’on traverse et elles sont faites de boues froides. L’hiver est déjà descendu partout et couvre un sol silencieux et patient. J’ai parfois marché pieds nus et la terre me parle. Elle est froide de sommeil et, soudain, mon regard devient le faisceau d’un criquet, ou bien d’une dernière synonymie, une sorte de ressemblance avec pareils insectes. Quand j’écris, je le dis : j’ai la démarche d’un crabe, mais je marche bien droite. La feuille dentelée me réchauffe les pieds, et s’y accroche comme une chaussure. Je m’en étonne. Alors, je cours vers la mousse et ce tapis vert me sert de refuge. Le froid me violente jusqu’aux os. Telle est la sensation de l’hiver, gerçures épisodiques, flambées au cœur de la nuit. Maintenant, le feu crépite. Je lui souris. Mon visage est vif d’une chaleur rougeoyante. Il m’envahit de sa texture insoluble, de ses bras de douceur. Mon cœur oublie la nuit et même la peur de la forêt. Le feu est une présence qui danse et je suis sous la lumière d’un automne encore flamboyant.

Légèreté

Le chant de la bruyère
Jusque dans l’enclos ivre
De mousses et d’oronges
Au pépiement d’une clairière
S’envolent les oiseaux,
La fauvette et la mésange,
Éclaboussant les ruisseaux
Léger à la tremblante rive.
C’est un été, c’est un hiver,
C’est la joie de la terre.
L’âme a ses épaules et puis sa chair
Dans les blés de nos branches,
A la pulpe du matin,
Savamment, guérit du froid,
Le vent de tes joues,
Hébétude du vieux hibou,
C’est dans les prunelles,
Cueillies au regard fusain,
Surprenant la robe miel,
D’une biche farouche et de certains daims.
Ils vont vers la terre en friche,
Retrouver le blé du ciel,
Le serment et le grain.