Voici comme promis, cette nouvelle écrite, il y a bien longtemps, alors que j’avais dix huit ans. J’ai procédé à quelques retouches, mais l’ensemble, ainsi que l’esprit, restent fidèles à mon écrit de jeunesse. Le personnage principal de cette nouvelle est un jeune peintre. Il est le narrateur de l’histoire. En voici la première partie.
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Quand le temps s’aplanit, il reste parfois celui des suspensions. Mais aucun des souvenirs, si révoltés soient-ils, n’auront raison du temps. Qu’ils soient enlacés de perpétuels commencements ne changent rien au goût éphémère et les images qui reviennent ne sont plus que sable asséché par le vent. Ose-t-on retenir ce qui a vocation de partir ? Peut-on nourrir le vent de nos chimères et regarder cela avec sérieux ? Serge Gavrilovitch Abdoulov, mon grand ami Serge Gavrilovitch Abdoulov, me déclarait encore hier soir, avec son emphase habituelle : la vie est un perpétuel commencement. Je n’étais pas d’accord avec lui et pour ne pas l’entraîner dans une longue conversation philosophique, à laquelle je ne me sentais pas le courage de faire face, je demeurai prudemment silencieux.
Quelque part, la vie est un gouffre profond duquel jaillit parfois une lumière, mais une pure lumière, dangereusement puissante. Je me suis donné ce moment d’arrêt, j’ai laissé la plume sécher, et j’ai plongé dans le vague. Que fais-je à écrire ces moments révolus ? Cette vie a-t-elle un sens ? Si j’ai vécu, n’ai-je vécu que pour ce passé qui me hante ? Douloureux passé, heureux ou malheureux, qui dans mon confinement, fait resurgir inlassablement ma secrète et incisive intimité ? Tout ce qui est advenu à la suite de cet événement, n’a été qu’une greffe mûrie au vermeil de ma souffrance, fruit mûri jusqu’au renoncement le plus radical. Je suis entré en errance et la vie m’a semblé insipide.
Cela survint quand je décidai de m’installer, durant cet été caniculaire, dans un petit village au sud de la France. Il me fallait oublier les mouvements incessants de la capitale. L’atmosphère y était particulièrement pesante. Le jour, Paris croulait de léthargie mortifère ; la nuit, la béance orgiaque faisait de la ville un ventre ouvert à la putride effervescence. Les boites de nuit croulaient dans les sueurs bestiales, et la débauche de chair avide, dans des troubles quasi insurmontables. Rosamonde m’y entraînait avec la vanité des femmes désœuvrées. Elle s’essayait à une multitude de sensations mondaines et je dirais même discourtoises. Elle se vautrait dans les cocktails parisiens insipides où régnait un ennui saumâtre, tout en se donnant des airs faussement indignés. Elle se flattait d’être encore convoitée. Pourquoi avais-je ainsi succombé à ses appels de veuve joyeuse ? Pourquoi avais-je été fasciné par ses airs de femme fatale ? Aujourd’hui, je me le demande encore. Du talon haut jusqu’à la courbure des hanches, du regard mascara à la bouche ensanglantée, tout sonnait la platitude et la fausseté. Son despotisme était à la mesure de ses lingots d’or, transformés pour la plupart dans les rivières factices des diamants que son cou arborait avec hauteur.
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*La peinture est d’Irene Sheri