Très cher,
Quand nous n’avons plus aucun désir, l’expansion arrive. Il s’agit à proprement parler d’une ouverture qui vient au moment propice. Celui qui goûte à cela ne peut plus y échapper. A ce moment-là, nous ne comprenons pas plus, mais nous sommes saisis par ce qui ravit notre cœur. Pour certains, cela ne vient jamais ; pour d’autres, le cœur est en permanence en cette légèreté et ils ne peuvent désormais plus vivre autrement. Oh ! ils savent sans aucun doute faire les gestes de tous les jours, mais jamais ils ne s’adaptent à ce qui n’est pas cet émerveillement. D’ailleurs, ils marchent précautionneusement sur la terre, ils se promènent en ville de la même manière. Ils ne songent pas un seul instant que le bruit furibond des voitures leur ôte la vision exquise d’un moineau égaré dans les tourbillons citadins, ni n’exclut la lecture des signes qui palpitent comme le cœur venu au monde. Rien, ni personne ne peut leur enlever la mémoire vivante des choses. Ce sont les yeux qui se transforment en une multitude de papillons évanescents. Le visage d’une femme que l’on croise, celui d’un moribond qui suffoque de fantomatiques gestes dans la lenteur de la marche, l’enfant qui geint par caprice, le vent qui saisit les branchages et ces parfums subtils du langage intérieur. Quand nous ne connaissons rien, l’univers devient une page infinie et le corps s’arrête et les bras se lèvent, sans complexe, alors que le corps chante au milieu de la foule, en volutes d’amour. Plus rien n’est ombre, ni même incertitude, mais effervescence de sens que la dilatation ne sait retenir. Les perceptions de cette exaltation enveloppe chaque chose, alors qu’en réalité, nous savons que le monde périt de la séparation. Un jour, l’encre sera asséchée, mais quelque chose de juste, de beau, de pur, de vrai, d’amour nous sera révélé.
De tout coeur,
votre B.
PS : vous confierai-je ceci ? Sachez que ce qui nous semble injuste, cruel, voire laid, ne l’est absolument pas.