Correspondances LIV

Très cher ami,

Nous n’avons pas peur de la mort, ni n’avons peur de ne rien posséder, car, nous ne possédons rien. Pas même notre voix, ni nos mots, ni nos gestes. Ils sont la manifestation de notre corps; ils sont la révélation de notre âme. Quelle joie de ne rien posséder et d’être cet instant, fugace qui nous mène au repos. Nous ne sommes ni nos pensées, ni nos possessions, ni notre nom, ni même nos messages, encore moins nos projections. Nous avons du « geste », l’ébauche. Nous sommes ce corps balbutiant ; nous sommes l’être de passage et nous nous apercevons de ce « geste », regard témoin de notre force, regard témoin d’une merveille. D’où vient celle-ci ? Où s’en va-t-elle ? Quel prodige d’aller au-delà ! Quelle merveille d’être touché par la merveille, ce prégnant regard ! Nous sommes semblables à cet enfant qui voit tout pour la première fois. Notre cœur vibre et cogne, puis nous nous penchons sur l’instant qui fait sa loi. Il nous retient de la main ; il nous bouscule et se rit de nous. Mais, comme je l’aime ce temps qui passe et comme je l’aime ce temps qui ne passe plus, qui s’engouffre au-delà du présent, au-delà de tous les temps. Je l’aime, à tel point, lui qui glisse entre nos doigts, je l’aime pour en faire un être à part entière et rire avec lui, à n’en plus finir. Il est une féerie. Il est une beauté. Moins l’on pense posséder, plus l’on se défait de l’illusion et plus nous nous trouvons face à l’absoluité. Celle-ci nous enseigne et nous parle et nous tient et nous fait rire et nous fait pleurer. Extraction des formes : nous entrons dans la pleine vérité. Et je lisais cette belle phrase, issue d’une âme éclose au ciel de l’éthéré* : l’âme peut parler de vérité si elle s’est laissée éroder par la vérité. Or, la pierre abrasive de notre cœur soulève des milliers de poussières, et chacune d’entre elles est une lettre de l’univers. Rien n’est vain. Celui qui comprend cette poussière est entré dans le secret de la matière et de l’essence. Il danse. Il applaudit. Il se réjouit et pourtant, rien ne lui appartient. Il n’est pas de plus profond appel que celui de renoncer à tous les autres appels. Entre-les-deux, l’union. Celui qui découvre le secret de la matière, de la terre et du ciel, est arrivé dans le pays que l’on ne nommera pas. Il se nomme, seul. Il nous atteint au plus incroyable phénomène de la préexistence. Il s’enveloppe de connaissance et révèle d’autres mondes, simultanément. En le plus crucial de l’instant, l’apnée, l’on bascule et l’on découvre d’autres perceptions. Il s’agit du véritable monde, du Réel. Le monde des royaumes éthérés. Le royaume de la parole vibrante et révélatrice. Je ne puis me figer dans les formes, car l’esprit souffle sur toutes choses, tel qu’Il le veut. Simplement. Et cet esprit est précisément l’infinie création, l’éternelle création. Tels des yeux de chat, la vie s’offre aux regards aimants, aux regards d’Amour, au sein même des plus terrifiantes ténèbres. Telle est la Lumière.

Votre B.

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*Allusion à un propos de Kabîr, dans son recueil intitulé : La Flûte de l’Infini, publié aux éditions Gallimard

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Painting of Gilbert Williams

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Naissance

Aux limites du réel,
Quand l’âme recèle l’autre âme,
Alors, l’aube perle.

S’écorche le jour de la nuit, et tandis que sans jamais se perdre, tous deux forment un cercle. Toi, saisi par le secret, lors que toute chose se révèle, différente et plus belle, ton cœur s’extasie. Au delà de l’âme, il est encore une âme et chacune se rencontre. Telle est la naissance ! Telle est aussi l’essence d’un autre monde. Ici, la vérité a un prix. Pourquoi s’accrocher à la coque ?

Correspondances LI

Très cher,

Nous cueillons les passerelles, comme nous cueillons l’Amour, ou plutôt comme nous accueillons l’Amour, le temps d’être touchés par l’esprit des choses, la quintessence de la réalité, et nous naviguons après avoir brisé les figements de la pierre et avoir été saisis par le jaillissement d’une Lumière, Elle, source depuis le cœur, et s’il n’y a pas d’existence, c’est que nous n’avons jamais été extraits de rien. Nous avons un Père et nous avons une Mère. Nous n’avons que faire des bruits au long cours ; ils finiront par se taire. Tôt au tard, la Vérité finit par triompher. Nous ne cherchons pas à nous défaire de nos frères, ni même à les railler. Sur les rives d’un Fleuve, rayonnent mille et un miroirs. Nous sommes faits pour les voir. Nous avançons avec une simple étincelle, mais à notre regard, elle brille déjà comme mille soleils. Notre Âme appartient à Dieu. Je vous écris, à vous, mon frère, et par la même occasion, j’écris à tous mes frères et à toutes mes sœurs, et je souris, car, là-bas, nous savons que Celui qui est l’Âme de toutes les âmes nous appelle et nous fait la plus belle des invitations. Depuis l’Aube des aubes, nous n’avons jamais désiré autre chose que de réaliser sur Terre comme au Ciel, l’union. Si nous avons souffert, c’est que nous sommes passés par le plus éprouvant des voyages. Il nous a fallu déchirer les voiles, traverser des milliers de mondes, porter en soi, au creux de notre plus intime foi, le joyau. Mais, chaque étape fut, à la fois, un renoncement, puis une investiture. Nous avions promis et nous avons tenu notre promesse. Depuis la rencontre d’une fourmi, depuis le mille pattes, depuis le pétale d’un bouton d’or, depuis les œuvres infinies de la vie, cette prodigieuse trame, nous sommes en paix. Que nous importe que l’on nous comprenne ou non, que l’on projette sur nous des limitations ou non ! Nous sommes encore assis sous les oliviers et nous écoutons la voix d’un enseignement qui vient depuis les niches les plus reculées, depuis les livres de notre réalité. Notre cœur est ravi. Notre âme est pleine, non pas de joie, mais de reconnaissance et celle-ci est source de plénitude, source d’Amour. Nous revenons perpétuellement à Lui. Nous Le remercions de nous avoir donné à la tourmente qui encercle le Jardin. Ainsi sont les délices.

Votre fidèle amie.

B.

Les esprits

Tous les esprits peuvent se rencontrer, mais quelques-uns ressemblent indéfiniment à deux vagues qui dans un élan extatique, se touchent, du bout de leur blancheur écumée, comme se cherchant avidement, comme affamées l’une de l’autre dans le désert de leur solitude, s’entrechoquant, se fracassant même dans les flux de leurs improbables rencontres, mais transpirant suavement des flux de leur intime retrouvaille. Vagues, qui se mêlant dans le tumulte de leur aspiration, forment à elles-seules le bouillonnement d’un océan. Quels sont donc ces esprits vigoureux, inépuisables, ces esprits trempés dans les fleuves de leur intégrité, de facture semblable, et qui échappent à la rumeur du siècle ? Libres sont ces âmes qui s’élancent ensemble, sans jamais se disjoindre, dans les violences mêmes de leur nature irréductible, s’écartant sans le vouloir de toutes les dissociations et s’unissant dans la plus grande joie afin de s’élever dans l’ivresse de leur incandescence. Deux vagues échappées des sentiers battus. Deux vagues dansantes, ne bravant plus les dangers, ceux-ci même dissipés dans la puissance de leur union. Exaltation pure qui vit, comme ici, comme là-bas, sans faillir à sa réalité.

La vie des mots

Si le cœur n’est pas le mot, alors le mot ne représente rien. Si la vie n’est pas l’acte, alors la vie n’est pas la vie. Combien de mots deviennent des flèches empoisonnées qui tuent l’instant frémissant ? Combien de barrières dont les frontières sont le sortilège des points ? Si le cœur n’embrase pas le corps, alors le corps n’est pas le corps. Si le corps n’épouse pas l’esprit, alors chaque chose glisse vers sa décrépitude, irrémédiablement. Si le souffle n’est pas allié au vent, alors celui-ci emporte tout sans distinction. Combien de comédies dans ces mots qui deviennent les pièges de l’inconscience ? Les mots nous cherchent doucement et nous saisissent par leur essence, ou ne nous saisissent jamais. Que deviennent-ils alors ? Où s’en vont-ils ? N’ont-ils jamais eu leur réalité ? Les mots m’ont hébétée.

Correspondances XXVI

Cher,

Nous aimons paisiblement nos retrouvailles le soir, quand de l’aube, tel le flambeau du jour, vous accueillez nos aspirations. Nous avons fréquenté le monde, tous ces gens qui semblaient s’engager fiévreusement sous toutes les latitudes et puisaient dans les réserves putrides de leurs mensonges. Nous avons regardé les gens animés sourdement de faconde, sans vraiment y croire. Nous avons traversé les sphères les plus insolites, allant jusqu’aux confins des terres, là où l’âme se réfugie avec étonnement et bravant mille bravades pour enfin reconnaître que nous avions à le comprendre. Hier encore, nous en parlions avec Noémia. J’aime nos petits moments, assises autour de la table ronde. Comme de coutume, elle vient se poser le temps d’un café. Rares sont les personnes qui ont le ton juste de la rencontre. Nous parlons de ce qui nous occupe, depuis des années et des années avec cette constance indéfectible. Nos amis sont ceux de l’esprit et nous savons que par-delà même nos rencontres physiques, il est celles qui sont l’alchimie du cœur. Offrir au monde l’intelligible, sous quelles que formes que ce soient est à nous donner l’acte de présence. Un jour, nous devenons un groupe, nous devenons une assemblée, et même une cité entière. Nous sommes ces esprits épris du cœur et de l’âme. Alors, nous regardons la route qui est un labeur. Invisible au début, mais toujours concentrée en un désir de vrai. Puis cette route rencontre d’autres routes et nous entrons à l’intérieur par la conscience qui nous éclaire et nous délivre de tous les schémas empruntés. Nos amis sont une promesse équitable, sans posture, sans leurre, sans fard. Ils sont aussi à l’intérieur et nous les reconnaissons. Mais qui sont-ils vraiment ? La réalité ne repousse jamais par aucune barrière, mais invite à entrer en silence avec les gestes qui sont ceux du cœur. Sans celui-ci, sans cette âme vibrante, qui est qui ? Ce sont les actes, les paroles, ce sont nos corps qui nous révèlent durant le grand voyage. J’aimerais dire à l’humanité que la vie est un grand voyage. Soyez à ne pas le manquer. Oui, tel est notre désir. Rien de plus.

A vous de tout coeur,

Votre B.

Correspondances XVI

Cher,

Comme j’aime nos rendez-vous que vous avez marqué de votre empreinte, et j’aime la douceur qui émane de votre être. J’avais parcouru en amont quelques unes de vos compositions, et de même, j’avais surpris, en certains de vos écrits, le même esprit qui se love comme une chair au verbe, comme un effluve au corps de l’âme. J’avais déposé les armes. De fait, je le croyais. Nous venions de traverser d’incroyables contrées, nous avions été pris par la vague qui submerge tout et qui nous avait laissés dévastés. La vie se résumait à cet étroit passage. Il n’y avait plus rien alentour. Je vous avais confié quelques bribes de cette effroyable expérience. Mais, quelque chose de plus fort m’avait soulevée sans que je ne sache comment nommer cette imprévisible puissance. Je vous écrivais presque à tâtons, ne sachant plus rien de ce monde. On m’avait déposée sur un vierge rivage et comme je me levai doucement, je découvris, avec le plus grand étonnement qui soit, ce qui n’avait jamais péri. Outre cette expansion, outre cette imprévisible dilatation, je me sentais en paix. Ma fragilité se reposait en votre force. Je rencontrais votre esprit, je rencontrais votre être-au-monde. Lors que l’enfantement a lieu, nous sommes l’enfant et la mère. La mère en moi vous recevait. Votre propre fragilité vous donnait à votre force. Jamais nous ne jouâmes à être autre que nous. Nos expériences mutuelles nous avaient menés jusqu’en cette ouverture, et même s’il demeurait des scories, nous savions les voir et les vivre comme ne faisant plus partie de notre réalité, car chacun nous avions été en une longue et indicible quête spirituelle. Notre rencontre n’était pas uniquement la nôtre, elle devint très vite le jaillissement de notre amour inconditionnel. Chaque pas fut une pierre posée. Nous nous rencontrâmes sur la passerelle qui faisait effectivement la jointure de nos deux mondes. Nous sommes nés ce jour-là.

Femme

La plume est incisive des lucidités que l’on préfère taire quand la femme délivrée du narcissisme, des volontés de plaire, de son abîme, quand elle s’extrait des mains du marionnettiste, en elle, en ses jougs inopportuns, quand son âme s’épure des luttes sans fin, quand la parole volubile des babils s’étourdissent des asservissements du corps sous l’emprise, et que libre, libre, libre du regard destructeur, finalité sans fin, sens sans essence, de celui qui l’emprisonne, l’esprit en elle respire et jouit du flux de son être, quand l’âme virile n’est plus annihilée en son besoin de séduire, ni de dominer, quand la femme marche semblable à l’homme, devenu lui-même la femme des principes de gestation et de réception, son souffle devient le filet libérateur des jours de plénitude, des jours de son orchestration, ivre et nullement aux abois. Je ne suis pas ton objet, je suis ton autre toi…

La Paix 和平

La rumeur de l’hiver
Devance notre esprit,
Et parce que le froid mord,
Le vent nous inspire,
Et le corps d’élire,
Les promesses du bois mort,
Quand tout désir,
Révèle l’âme alanguie,
Mais la nostalgie nous aspire,
Sans qu’une seule feuille,
Volée à l’automne,
N’ôte le moindre de nos soupirs.
Au seuil de la grande porte
C’est la paix qui nous respire.