Murmure

Quand même tu viendrais nuire à mon âme, et quand même, ta trahison ferait de moi une âme en lambeaux ; quand même, l’aube se changerait en nuit, et quand même, le ciel écraserait de tout son poids mon corps ; et quand même, tu viendrais manger mes entrailles par le feu de ton absence, et quand même mes tumultes me jetteraient aux récifs implacables, et quand même, je hurlerais de douleur, submergée par l’immensité de ce mystère, je ne cèderai pas. Je demeurerais évanouie à la morsure du venin de ton indifférence, au venin de ton ignorance, et par ces épreuves, je trouverais la lumière, buvant à sa radiance, à sa glorieuse virginité et c’est vers elle, non que dis-je, en elle, que je marcherais, à l’éclatante écume de sa puissance élévatrice, je lui lancerais : Oh ! j’ai mal, viens ! J’ai mal et ton intensité ravage mon être, jusqu’à l’insolente brisure et je crierais encore : Viens ! Les rafales de lumière valent mieux que celles des ténèbres. C’est donc ainsi. Quand même, tu ne peux comprendre ces vérités, quand même tu serais le pire des manants, je ne me laisserais pas envahir par aucun poison, et si la trahison fait mal, l’Amour, Lui, est entier. C’est par Lui que je renaîtrai et c’est par Lui que mon poing jaillira de mes souffrances et le défi le plus sauvage sera de proclamer : Victoire ! Victoire ! Fiel ! Je ne te laisserai pas assiéger mon âme. Je ne te laisserai pas détruire mes verts pâturages. Dussé-je mourir, je combattrai jusqu’à la dernière larme, et allongée, sans force, sans vie, je t’appellerai, Ô lumière ! Avec mon cœur, jusqu’à mes lèvres meurtries, dans un cri ou bien dans un murmure.

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Photographie de Roberto de Mitri

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Le vieillard

Un mendiant se tenait près de sa hutte et scrutait passivement l’horizon. Il étreignait, par son regard, certains nuages et s’envolait, ainsi, sur les mirages de ses pensées. Il n’y avait aucun remède à sa maladie. Elle avait fini par le ronger comme un ver ronge le bois. Il était assis à même le sol, voûté par les années, au milieu de la forêt. Les saisons avaient passé sans guère l’épargner. Il n’était ni soucieux, ni même indifférent. Pourquoi ce vieillard s’était-il ainsi éteint ? Certaines placidités sont en vérité l’antre d’une véritable mort. Alors que la morosité venait le tirailler, il vit passer un homme. Celui-ci chantait et dansait. Parfois, il s’arrêtait et tirait de la poche de sa veste un petit carnet et inscrivait ses joyeux chants. Longtemps, le mendiant le suivit du regard. Toute sa mémoire remonta et la vie entière défila comme si cela avait duré un seul instant. Il porta tout contre sa poitrine un poing de douleur et des larmes s’écoulèrent sur son visage buriné. Le jeune homme se tourna vers lui et s’arrêta un moment, puis, pris par l’évidence, s’écria stupéfait : Mais, ce vieillard, c’est moi !

Histoire torturante

Un soir, je rencontrai cette femme dont l’histoire me parut torturante. Elle était assise sur le bord d’un trottoir. Sans doute ce que je vais raconter est très commun. Beaucoup de personnes doivent endurer de semblables douleurs. Beaucoup doivent être traversés par les tourmentes de l’amour. Cette femme griffonnait dans un petit carnet des mots qu’elle chantait dans la rue sans tenir compte de personne. Au début, je crus qu’elle était ivre. Avait-elle sombré dans la folie ? Son amant l’avait visiblement abandonné à la suite d’un tragique malentendu. Elle gisait au milieu de ses larmes, étourdie par la brûlure de cette terrible méprise. Cet amour avait consumé complètement son âme. Il était même impossible de lui parler rationnellement, de la ramener à une quelconque raison. Elle ne vous entendait ni ne vous voyait. Elle répétait inlassablement les mêmes mots, déversait les mêmes tourmentes. Il s’agissait d’une femme d’âge mûr. Elle était visiblement d’origine sociale élevée. Ses mots, ainsi que le timbre de sa voix me le faisaient volontiers croire. Ses traits réguliers révélaient une beauté rare. Comment pouvait-on en arriver là ? Les poèmes ainsi que les chants provoquèrent en mon âme une pénible sensation qui mit longtemps à se défaire. Avais-je absorbé sa peine ? J’étais déchirée par l’incandescence de ses propos, par l’effusion de sa sincérité. Parfois, elle poussait un cri quasi sauvage qui résonnait très loin dans mon pauvre corps soudain assailli. Mue par le désir ardent de l’apaiser, je la pris dans mes bras et recueillis tous ses sanglots. Quand elle sembla se tranquilliser enfin, elle me regarda un moment, hypnotisée par ma présence, puis me confia son carnet. Elle s’éloigna et disparut comme par enchantement, me laissant une impression de « hors du monde ».

Peinture de Mark Spain

Les toits de la ville

Bientôt, j’apercevrai les toits de la ville,
L’esprit frôlant les longs peupliers de brume.
L’azur se campera des vergers vaporeux,
Puis s’étagera des douceurs d’une plume.
Quand aux vitres du matin triomphant,
Nous tournions autour du feu des ramures,
Et quelques pigeons faisaient rempart bien souvent,
Au jour impétueux que peuple mon écriture ;
Quelques épanchements de douleurs,
Fatalement délivré du cri de l’anathème,
Puisant la force dans l’étang de notre cœur,
Poursuivant l’éloge et l’emblème.
La haine ne nourrit aucunement l’amour.
Le pied léger, j’avance dans le creux d’un labour.
Ici ont mûri les grappes de notre séjour.
Je vais sans perdre une seule seconde,
La montagne enfante et féconde et le soleil
M’étreint ; je crains les vagues montures,
Océan de lumière, et c’est au jour qui pointe vermeil
Que soupire au trépas vainqueur, notre douleur,
La nuit chargée de sommeil et puis de veille.

La douleur

La douleur nous tord depuis la délivrance dans le couloir de la mort, transformation lente, irrépressible, des feux de la morsure, des incendiaires brûlures, dilatation d’amour, pour que la fleur voit le jour. Traversée sur le pont qui nous appelle et de rejoindre le torrent, ou bien est-ce lui, l’invincible amour, noyade dans les turbulences du corps, l’humus cherchant le récipiendaire, cœur du souffre, mercure des alchimies de la matière, et voici que la lumière transperce le désir, et voici que la fleur surgit des flots.

Derrière un mur

Des milliers de gens qui cognent derrière un mur, ou bien est-ce derrière une vitre, frangée de terre et puis d’armure ? C’est pour cela que je suis partie sur la route. Il fallait bien trouver quelque chose. Tous les discours s’écorchent sur le granit, mais le cœur est la seule réalité, alors j’ai plongé, puisque c’est là qu’il me fallait aller. Plus rien n’embrase mon cœur, ni même l’éternité, puisque tant de gens ont peur et que je n’ai qu’un seul allié.