Connaissez-vous le feu du Vin ? Sa noble fille m’a parlé, Soulevant le voile d’ébriété.
Le Tout, et le Tout-Autre ; la sagesse et l’au-delà : voici des couples qui m’ont confié leur secret. Combien de fois je le répète entre les lettres, et combien de fois le voile demeure une évidence ?
Il fut un seul regard qui se jeta dans les profondeurs d’un écho jaillissant depuis le commencement, depuis le tout commencement. Il s’empara de mon cœur et me tint longtemps sous la poigne de son instant. Savez-vous ce qu’est l’Amour ? me demanda le Miroir. Il me sembla que la question était bien plus que vitale, bien plus que salutaire, bien plus qu’un sentiment envahissant. Il me fallait palper cela, étirer les mains un peu partout, les poser sur un objet, ou bien me laisser emporter. La question se répétait inlassablement et la réponse me saisissait de la même façon. Je riais, je courais, me jetais dans le vide abyssal et je jubilais. Il me semblait que la question du Miroir était une moquerie, une absurdité sans nom. L’Amour est aussi vaste que l’infini ! répliquai-je. Il n’y avait pas d’espace, ni non plus de mots pour l’énoncer et dès lors, toute expression Le réduisait. Ne surgissait alors, pour toute réponse, qu’un long rire, le plus long rire qui se puisse être. L’Amour n’a pas de réponses, et pourtant Il les contient toutes. Je me tournai vers Amour et Lui lançai : Hé ho ! Amour ! Amour ! Amour sans Nom. Amour ! Nous nous connaissons ; nous avons plongé dans les plus ravageuses et infâmes vagues de Ta réalité. Nous avons été mille fois réduite en poussière. Puis, nous nous sommes laissée revivifier par Ta puissance absolutoire, par Ta Lumière effusive. L’Amour est tout d’abord une longue histoire, la plus longue histoire qui soit, le mélange d’une terre, le mélange d’une mer. Le glissement et l’expansion. A l’élévation du chant de l’âme, l’Amour devenait une épée, la plus tranchante, la plus implacable. Amour me regarda et Amour me transperça. Ce fut la fin du rêve, mais le début de la vie et plus Amour lançait son arme à travers tout mon corps et plus Amour devenait Ether. Je Le laissais faire. Je L’attendais comme on attend que le vent nous submerge, que l’océan nous noie. Mon corps n’était plus, mon être s’effaçait et Amour m’emportait vers d’autres sphères.
Le long de cette route, chemin de vie, nous avons rencontré beaucoup de personnes. Qu’elles soient restées de simples images, ou que leur réalité se soit animée, comme par enchantement, au sein de notre silence, nous avons regardé chacune d’entre elles avec beaucoup d’intensité. Les rencontres commencent très tôt. L’univers danse avec légèreté dans un monde structuré, en dépit même des ruptures momentanées. D’ailleurs, sans elles, aurions-nous perçu l’onde merveilleuse de la paix, celle qui nous submerge, celle qui nous donne à une mystérieuse unité ? Nos plus belles rencontres s’inscrivent dans le champ naturel d’un ordre et nous le sentons, celui-ci, Oh ! oui, comme nous le respirons, simplement. Lors que nos promenades nous mènent le long des rives d’un cours d’eau, les clapotis vibrent, et nous nous métamorphosons. Cela ne nous appartient pas. Les chants de l’eau font écho à une autre mémoire. Les petites herbes s’envolent, les pétales de chaque fleur sont une page, et les arbres murmurent des secrets pour qui s’arrête et écoute. La plus petite chose devient une féerie. Cela tremble, cela pleure, cela rit. Notre âme s’ouvre. Elle accueille tout l’univers. Il n’est aucune opacité, si ce ne sont nos propres abandons. Le corps est translucide et épouse les mots de la cueillette. Les branches frémissent et le léger vent nous fait signe. Cela commence par une évidence. Tout est transparent. La vie clame l’origine jusqu’au bout des branches. Nous notons, un à un, les mots, sur un petit carnet, avec une encre approximative. Nous ne savons pas vivre autrement.
Quand je pense à Eve, S’éveillant d’une rose fraîche, Aux flancs d’Adam, Mon âme s’envole vers elle, Epousant sa course, Depuis la disjonction, Ses pieds pliant le chemin, A travers les vagues vertes, Les monts et les plaines, Je deviens ses pas affolés, Cherchant son Amant, La couverture de son âme, La caverne de son corps, Puis, j’épouse encore, Les instants de vertiges, Lors que l’aube se lève, Ô Eve ! Je suis ton être, Ta voluptueuse chair, Ton essence pure, Et je cours, dans les méandres, Les secousses du monde nouveau, Quand je pense à Toi, noble Dame, Il me vient le bruit du vent, Les veilles nocturnes, Goûtant à la séparation, Savourant l’union. Ô Mère ! Quand je pense à Toi, Je m’empare en secret de ta main, La presse sur mon cœur aimant. Adam ! Ce pur homme descendu, Portant les morceaux de l’Eden, Et je descends avec Toi, Ô Adam ! Tour à tour, Embrassant votre détresse, Votre émerveillement, Les oiseaux vous précédant, Le chant des volutes d’Amour, Les cascades de joie, Et quand je pense à Toi, Ô Mère, J’épouse ton enfantement, Tes lueurs chancelantes, Les retrouvailles de ton Amant, Et je danse avec vous, Vos descendants, A la lumière de votre rêve, L’Eden jubile, Votre âme est semée d’enfants, Sur le dos de mon père, Le Jardin, Ensemence la terre, Et le ciel se réjouit de votre mémoire, Lors qu’Eve s’éveille, Mon cœur tremble d’Amour, Ô Mère !
Nous nous tenions la main, Dès le berceau, Nous mêlions nos doigts nacrés, Les rubans de soie, Les laitances de nos matins, Mais, nous nous tenions la main, Mon frère, Nous courions dans les prairies, Nous courions avec des lassos, Les lassos de notre impétuosité, Nous étions au Paradis, Nous nous aimions, Mon frère, Nous tressions des couronnes de joie, Le soleil au-dessus de nos émois, Et nous riions, Nous riions mon frère, Nous avions les cœurs unis, Jutant d’innocence, Sans moi, ni toi, La perle de nos souffles, Et nous nous aimions, Oui, nous nous aimions, Mon frère. Nous étions dans une prison, Et nous rêvions, Oui, nous rêvions, Mon frère, Et nous partagions le pain, La manne de nos cœurs, Les saveurs de nos échanges, Les promesses de l’aube, Mais, nous y crûmes, Oui, nous y crûmes, Mon frère. Les étoiles valsaient, Comme d’autres étranges mondes, Et les neiges écrivaient des poèmes Sur nos mains aimantes, Comme la liturgie d’un autre monde, Et nous volions, Oui, nous volions, Mon frère, Et nos doigts mêlés, Comme une chaîne inviolable.