
Tapisserie : La chasse à la Licorne
Un prince avisé et éclairé parlait à une Licorne. Elle était farouche et peu encline à la conversation, ayant vécu, jadis, une expérience assez douloureuse. Il lui avait fallu plonger dans les plus improbables mondes, ceux des merveilles qui se traduisent, la plupart du temps, par de la musique selon l’entendement des mortels, les mots s’étant transformés en symboles essentiels. Il lui avait fallu remonter des abysses que l’on traverse durant plus de soixante dix mille ans. Divers bassins s’étaient ouverts, chacun portait un nom spécifique. La licorne blanche et éthérée avait retenu les noms de tous ces prodigieux bassins. Ils étaient gravés en elle de la façon la plus incroyable. Pourtant, sa virginale robe était à l’image même de son âme. Elle avait trempé dans tous les éléments de la création et avait connu une infinité de mondes et autant de ponts. Il serait long ici de conter son périple, mais la licorne ne dédaigne personne. Sa nature, présentement, est ainsi, et lors qu’elle apparaît, il faut y voir le plus doux des présages et ne projeter sur elle rien du monde actuel. Elle n’appartient plus à la nature éphémère. Elle est au seuil, accueillante et bienveillante. Le sage prince lui parlait jour et nuit, et savait se tenir à distance. Il comprenait la Licorne et la saluait chaque matin. Il la remerciait d’être là. Elle avait mis du baume à ses plaies. Un paysan qui passait par là, avec une grossièreté déconcertante, demanda subrepticement : A qui donc parlez-vous ainsi, Ô prince de cette contrée ?
– Je parle à l’être le plus féerique qui soit, lui répondit-il, avec beaucoup de simplicité.
Alors, le paysan regarda alentour et aperçut un âne. Il se mit à rire et se moqua du prince. Celui-ci lui répondit par une plate indifférence. A travers les yeux de l’ignorant, la licorne se montre semblablement au petit âne dans un pré.