Correspondances XXXVI

Très cher,

Le temps de l’amour ne se compte pas, tout comme le temps des mots ne se compte pas non plus, ni le temps de savourer l’âme des mots. L’écriture est semblable aux mille sucs que l’on pressent dans la plus intime des amitiés, celle qui ne se disperse jamais, car, tel le fil d’Ariane, l’on sait où aller. Ce chemin tracé est une reconnaissance, et cette touche légère de la complicité est de nature à éveiller. Oui, cela est prodigieux, cela est la lumière qui nous parle et nous dit : entends-tu ? Je lui réponds sans hésiter : oui, je t’entends et je perçois même que nos âmes parlent à l’unisson, qu’elles échangent une douce, très douce promesse, entente que je sais être véritable. Bien sûr, cette promesse est un au-delà. L’amitié est un au-delà. Sentez-vous que je suis heureuse comme un pinson, et que je chante comme les gouttelettes de pluie ? La fauvette lance son suave parfum et éclabousse le ciel de sa générosité. Le rossignol entonne un air qui ne saurait altérer les airs printaniers. Quelque chose du lilas et même de la grisaille soudaine me fait remonter au temps de mes marches, alors que j’étais à me promener dans la campagne, un livre sous le bras, ravie de pouvoir communier avec les mots, avec les chants de tous les oiseaux, et, que dis-je, tout l’entourage. Il m’arrivait de partir rejoindre mon frère qui était hospitalisé à une dizaine de kilomètres, à cause d’une lourde fracture du bras. J’étais bien jeune et je connaissais la route par cœur. J’allais lui tenir compagnie, durant les longues après-midi du samedi. Je me sentais aussi légère que le doux lilas, flottant ça et là. J’admirais les beaux jardins, perdus parfois dans d’étranges demeures qui me semblaient féeriques. Une fois arrivée, je serrai tout contre moi mon petit frère, fragile et perdu au milieu des draps blancs. Je lui lisais des petites histoires ou finissais de lui tricoter une écharpe en laine rouge et blanche, pour l’hiver prochain…

Votre B.

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Correspondances XXXIV

Cher,

Il est des êtres d’une rare délicatesse, dont la maturité est, non pas exclusivement le fruit de l’âge, mais plutôt celui d’une acuité alchimique, le fruit d’une rare sensibilité poétique. Un mot extrait de leur monde me transporte en l’infini univers et me laisse hébétée. Je peux lire et relire leurs écrits, mais je crois bien que c’est eux que je relis, eux qui me parlent en moi-même et entrouvrent les secondes de leur temps éternisé. Quand l’âme rencontre l’âme, un mot nous donne à l’univers entier. J’y suspends mes points et mes virgules et la poésie de l’âme fait son chemin. Celle-ci se déploie et je marche avec toutes ces âmes. J’apparais dans les boutons de fleurs à peine écloses et je leur murmure les fraîcheurs du temps retrouvé. Même si je ne touche aucun des pétales de la main, et à quoi bon, je sens la paume de l’amitié. Depuis longtemps je le voulais témoigner. Je marche à chaque fois dans les sentiers, et je souffle dans le vent. L’iris du soleil est l’amour que caresse chaque rayon. Être l’amie, ou l’ami, c’est une promesse du présent et même de la présence elle-même. L’ami est une permanence, une longue retrouvaille. Savez-vous que je vous compagne où vous désirez m’emmener ? Oui, doucement, dans l’éloge d’un matin, dans le cœur qui ne s’est jamais fané, ou dans le soir qui s’étire. Car tel est mon regard sur vous et toute la délicatesse de votre propre délicatesse. Comment dire ? Nous nous ne quittons jamais puisque nous nous sommes retrouvés et que la parole de l’amitié est une douceur et une profusion.

Bien à vous,

B.

Châteaux imprenables

S’évader des châteaux imprenables,
Comme d’irisés jardins,
Sous les blanches tonnelles,
Quand la sauge et le romarin,
Courtisent les nouvelles,
Les amitiés que l’on sème,
Dans le vent du doux printemps,
L’abeille et le bourdon,
D’irréductibles compagnons,
Dans le soleil de notre violoncelle,
Les vertes fragrances de l’instant,
Que dis-tu de notre beauté fraternelle,
Résistante, et que font donc tous les moutons ?

***

La peinture est d’Anna Bilinska-Bohdanowicz.

Correspondances XXXI

Cher,

Les êtres qui nous sont chers occupent l’espace de la plénitude et dans les touchers de leur complicité, nous sommes à les vivre sans perdre un seul des fruits de leur beauté. Alors, le silence est une véritable grâce, et l’amour fait succomber tout ce qui n’est pas amour. Eux nous apprennent, eux, dans leur patience, leur constance, leur présence, et ils nous donnent aussi à l’essentiel. Ils sont nos floraisons et ils sont aussi notre abandon. Auprès d’eux, nous avons suscité un monde, y compris à notre insu et nous les remercions. Ils sont autant de prétextes et de gestes pour être, auprès d’eux, et même éloignés d’eux. Ils ont dormi dans le bercement de nos bras et chauffer nos corps de leur cœur. Un être heureux est dans le pur moment et n’a besoin de rien. Alors que peut-il de plus ? Il a vu en lui tous les concepts et toutes sortes d’idéologies disparaître. Le monde nouveau est un monde créatif qui n’a aucune béquille pour apparaître, aucun doute pour avancer, aucune référence pour réussir. Quelle est cette possibilité à laquelle nous goûtons ? Quelle est donc cette émergence que rien n’atteint ? Quelle est cette force aussi qui nous unit ? Quelle est donc cette relation qui nous enrichit et nous délivre du faux ? Cher aimé, en ces moments de confinement, la vie s’observe sereinement, sans peur, sans projection, se découvrant chaque fois nouvelle. Sommes-nous parvenus à nous détacher de tout ? Sommes-nous parvenus à une terre intérieure totalement vierge et qui nous offre enfin la certitude ? De quelle certitude parlons-nous ? Voyez, les gens marchent encore dans la ville qui n’est décidément pas déserte. Dans nos campagnes et vallées, la vie n’a pas changé et les êtres que nous croisons sourient avec amour…

Je vous rejoins dans un moment.

Votre B.

Ces choses

J’aimerais te dire ces choses,
M’entends-tu ?
J’aimerais des bras qui te parlent,
Sans cœur émietté,
Sans même les secondes hébétées.
Le temps qui passe,
Vole sur les ailes,
Du temps qui n’a jamais passé,
Quand surprenantes liesses,
Le parcours sans distance,
Suspend la présence,
Qui vient de basculer.
J’aimerais frôler les pas en cadence,
Te dire que je suis partie,
Sans jamais te quitter,
Puis, j’aimerais aussi te dire,
Ces élans que l’âme n’a pas refréné,
Parce que je suis déjà venue,
Tout te raconter.

Correspondances XXVIII

Cher,

A l’intérieur, il est comme un point de rencontre, et c’est là que nous nous visitons. Sans cela, il n’est que projections. Il est vrai que l’instant est roi, tout comme le silence, tout comme les actes, tout comme le vivant, parce qu’il est une essence, et sans elle, que serions-nous ? Que serait par exemple le goût d’une orange, si son essence n’était pas celle d’une orange ? De même que serait le vent s’il n’avait pas sa qualité intrinsèque ? Une rencontre possède aussi son essence. Elle est n’a pas besoin d’une présence physique, mais surtout d’une soutenue intention. L’on cultive son morceau de terre, et nous le laissons aussi parler. La terre est palpable, tout comme elle ne l’est pas. Notre toucher correspond sans conteste à notre propre conscience de l’essence des choses. Goûtons à l’orange, respirons son parfum. Pourquoi nous est-il à la fois si familier et à la fois si étranger, renouvelé qu’il est en permanence dans sa singularité propre ? Si je ne vis pas l’orange en moi, je ne peux la vivre à l’extérieur de moi. Tout est une question de correspondances. A force d’être saisi par le silence, nous devenons le silence et de fait, nous entrons à l’intérieur de la perception du silence. L’intérieur est un déploiement de gestes, de non-gestes, de découvertes et de mystères. Je sais que l’orange est à me dire des choses sur moi-même, mais aussi en moi-même. Pourquoi ? Quand nous entrons en silence, nous entendons et nous touchons. Nous marchons avec, nous parlons avec. Nous ne sommes pas à nous réduire. Nous sommes à accueillir. Tout ce qui vient de l’essence est vérité. Je n’en doute pas une seule seconde. Alors, nous ne sommes jamais des étrangers l’un pour l’autre. Nous sommes le pur moment qui regarde le moment, puis qui regarde encore dans le regard qui est l’essence même du regard.

Votre B.

Correspondances XXVII

Cher,

Certaines promenades n’ont jamais de fin, ne semblent jamais commencer, nous apprennent à regarder le sentier, les traces du vivant dans les poussières, dans les froidures de la nuit, quand l’on entend le dernier chant d’un oiseau égaré, quand l’errance n’est plus torpeur, dans la grandeur de la solitude, que les mondes se rencontrent sous la forme d’une longue révérence et que notre cœur devient léger depuis la hauteur d’une lune qui courtise un soleil facétieux. Je vous ai longtemps regardé, comme définitivement liée à votre être, et l’univers entier tournoie, ivre de ce qui ne sait se limiter et je puis vous l’exprimer, en petite rosées fines, posées à l’aube sur le bec délicat d’un pinson qui nous suit depuis le soir. Sur le mur d’en face, l’arbre (vous savez, le lilas) nous dit bonjour et je le salue. Les moineaux bavardent et je les rejoins. Ce moment printanier dans les branchages d’hiver est une douce faveur. Bien sûr, je ne sais pas ne pas aimer et quand la nuit se dissout dans le jour, je rencontre de nouveau ce sentier, puis le marronnier, le platane, le chêne, le saule près du ruisseau, l’érable, les joncs et quelques prunelliers. Oui, mon cher ami, la promenade est comme une perpétuelle envolée et notre amour a élargi l’espace, les cellules de notre chair, les clapotis de lumière, les terres sans limite, notre mémoire continue. L’instant est pure joie. La vie est notre parchemin. Il n’y manque rien.

Correspondances XXVI

Cher,

Nous aimons paisiblement nos retrouvailles le soir, quand de l’aube, tel le flambeau du jour, vous accueillez nos aspirations. Nous avons fréquenté le monde, tous ces gens qui semblaient s’engager fiévreusement sous toutes les latitudes et puisaient dans les réserves putrides de leurs mensonges. Nous avons regardé les gens animés sourdement de faconde, sans vraiment y croire. Nous avons traversé les sphères les plus insolites, allant jusqu’aux confins des terres, là où l’âme se réfugie avec étonnement et bravant mille bravades pour enfin reconnaître que nous avions à le comprendre. Hier encore, nous en parlions avec Noémia. J’aime nos petits moments, assises autour de la table ronde. Comme de coutume, elle vient se poser le temps d’un café. Rares sont les personnes qui ont le ton juste de la rencontre. Nous parlons de ce qui nous occupe, depuis des années et des années avec cette constance indéfectible. Nos amis sont ceux de l’esprit et nous savons que par-delà même nos rencontres physiques, il est celles qui sont l’alchimie du cœur. Offrir au monde l’intelligible, sous quelles que formes que ce soient est à nous donner l’acte de présence. Un jour, nous devenons un groupe, nous devenons une assemblée, et même une cité entière. Nous sommes ces esprits épris du cœur et de l’âme. Alors, nous regardons la route qui est un labeur. Invisible au début, mais toujours concentrée en un désir de vrai. Puis cette route rencontre d’autres routes et nous entrons à l’intérieur par la conscience qui nous éclaire et nous délivre de tous les schémas empruntés. Nos amis sont une promesse équitable, sans posture, sans leurre, sans fard. Ils sont aussi à l’intérieur et nous les reconnaissons. Mais qui sont-ils vraiment ? La réalité ne repousse jamais par aucune barrière, mais invite à entrer en silence avec les gestes qui sont ceux du cœur. Sans celui-ci, sans cette âme vibrante, qui est qui ? Ce sont les actes, les paroles, ce sont nos corps qui nous révèlent durant le grand voyage. J’aimerais dire à l’humanité que la vie est un grand voyage. Soyez à ne pas le manquer. Oui, tel est notre désir. Rien de plus.

A vous de tout coeur,

Votre B.