Le voyage de Kafka

Il saisit, dans le secret d’une antichambre, la cellule de son corps, la prison d’une descente, les cauchemars au goût de métal, les visions exsangues, les rues amoncelées de poussière, de brume latente, de réverbère sans flamme, la crudité d’une obsession, la sortie impalpable, l’âme à bout de souffle. Il déchira d’une voix vorace, sur les feuilles blanches, les tortures que l’on cache. Il trempa sa plume, dans les abysses incontournables, et aux prises avec ses affres, il vit ce que décrivit Dante. Lugubre et tenace, la sidérale impasse. Son château croulait sous le délire et les monstres de toutes sortes envahissaient chaque pièce scellée par le fer. L’âge de fer, l’âge inversé dans lequel il avait sombré. La souffrance de Kafka jeta un trouble sur la jeune fille, et tandis qu’il poursuivait les dédales du sombre escalier, mortifère cafard, toutes suffocations avérées, cette jeune fille appela Kafka et lui de répondre, lors de son trépas : ils ne me comprennent pas !

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A propos des commentaires

Je remarque depuis un petit moment que mes commentaires disparaissent et ne sont donc pas visibles sur les blogs amis. J’ai moi-même retrouvé certains de vos commentaires dans les courriers indésirables. J’invite chacun de vous à les consulter de temps à autre. Ceci doit être lié à un dysfonctionnement… Merci beaucoup.

Béatrice

Jour de sable et nuit d’or

Le monde enchanté de notre ami. Un grand merci pour tous ses accompagnements. Un grand merci pour son univers dense et multiple. Un grand merci !

Pays de poésie

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Composition de Cochonfucius

Au jour de sable, un astre se déchaîne
Sur le tournoi des chevaliers d’argent ;
Bien maintenue est la lance de frêne,
Car l’un pour l’autre ils ne sont indulgents.

Dans la nuit d’or rit la lune d’azur,
Celle qui porte un excellent présage :
Les arbres bleus, dont le bois est si dur,
En ce printemps vont changeant leur feuillage.

Bons chevaliers, n’en soyez point surpris :
Qui en tournoi sur tous aura victoire
Ne recevra qu’une feuille pour prix,
Mais qui provient d’un bel arbre de gloire.

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Aimer ou ne pas aimer, telle n’est plus la question

Chers amis,

Pour être en accord total avec mon être, j’ai supprimé le bouton « like » car, je n’écris pas pour cela. J’écris uniquement par amour. J’écris pour le partage. Si « aimer », c’est attendre, alors ce n’est pas aimer. Mon véritable souhait est de vous aimer sans besoin d’être aimée par un bouton. L’Amour et le partage sont une lumière. Lumière et paix. De même, vous lire est aussi un partage mutualisé. Merci chers amis.

Béatrice

Ode à une perle

J’avais dix ans quand je reçus trois prix (à cette époque, dans notre belle commune, la mairie offrait des livres aux enfants), Maria Chapdelaine de Louis Hémon, Les lettres de mon Moulin d’Alphonse Daudet et la perle : La petite Fadette de George Sand. Pourquoi était-ce une perle ? Pour avoir eu le bonheur d’entrer dans la lecture très tôt, et l’on peut dire que l’on entre en lecture comme on entre dans les ordres, j’avais plongé dans la féerie des contes et légendes, fabuleuses séries, qui de région de France en régions plus lointaines, m’ouvraient au champ lexical le plus inouï : celui du monde invisible. Un véritable régal. Une jubilation savoureuse qui jetait un pont réel entre la nature sauvage que je découvrais depuis mon enfance, et sa surnaturelle omniprésence. Georges Sand m’a fait frémir dans ses mots et aussi dans sa pointilleuse délectation de la féerie. Au-delà de Sand, il y a encore Sand. La magie d’une effervescente rencontre. Cette rencontre continue. Je remercie pour cela, Sylvie, Ô2lys qui participe encore à cet enchantement et j’espère que son projet aboutira. Tout de même, la féerie est bien là, au-delà de nos réussites, au-delà de nos concrétudes. Cette merveille nous tient et nous fait palpiter à tout moment. Je suis du signe astrologique poisson, avec un ascendant encore eau. L’eau s’écoule dans mes veines. L’eau est source de connaissance et de relation. Elle relie…Et cela ne fait que commencer… J’en suis sûre.

Béatrice d’Elché

Nous ne sommes pas dupes

Peinture (détail) de CHIE YOSHII

Nous ne sommes pas dupes, nous ne l’avons que très peu été.

Nous n’avons pas vécu grisée par la duperie, mais nous avons tout de même été dupe de nous-mêmes. Cette seule faille nous a valu de retenir les temps de nos deux mains, peut-être aussi de nos deux mâchoires ; cette faille a eu pour effet de retenir les temps, puis le temps d’un monde qui n’a jamais eu véritablement d’impact sur nous, car nous étions libre, libre jusqu’à la moelle, libre jusqu’à ce qu’un immense éclat de rire nous ceint de ses deux bras et nous montre combien nous tenions le bon fil. L’homme n’aime pas entendre la vérité, oui, c’est vrai. Par conséquent, comment expliquer que nous avons eu l’audace de nous tenir face à elle, et même de plonger dans son flot vagabond ? Nous avons couru, comme tout le monde, oui, nous nous sommes prise au sérieux, comme tout le monde, puis, quelqu’un a tiré, derrière notre dos, cette chemise, la chemise de nos prétentions, manquant même de nous étrangler. Il nous a retenu d’une poigne ferme et nous a demandé : où vas-tu ? Quelle sorte d’extravagance nous a prise ? Quand le temps s’arrête, nous entrons nu dans la vallée. La vallée est d’abord la vallée de la peur, incisive, oui sans conteste ; elle est assurément le rendez-vous avec la vérité et la vérité est extraordinaire. Peut-être vous en confierai-je quelques secrets ?

Je suis là

Il n’était pas tout à fait minuit. Elle travaillait sur un projet qui l’occupait depuis quelques jours. L’appartement était silencieux. Parfois, elle jetait un regard sur la nuit profonde qui semblait avoir couvert le grand parc d’un manteau noir. L’immense baie vitrée était située à sa droite. Elle était assise sur un fauteuil à bascule qui lui permettait ainsi de plier aisément ses jambes. Elle aimait particulièrement cette position. Quand elle se sentait lasse, elle se balançait lentement tout en plongeant son regard à l’extérieur. Parfois, elle se levait, enveloppée d’un châle et se tenait bien droite, face à la grande baie vitrée. Ses yeux semblaient captivés par quelque mystérieuse et inconnue destination. Le signal qu’un message lui était parvenu sur sa boite mail retentit. Elle fit un pas vers son bureau et consulta son courriel. Un message pour le moins inattendu, celui d’une récente relation virtuelle, commençait ainsi : Où que vous soyez, priez pour moi ! S. Elle lut et relut le mot, éprouvant soudain une peur indicible. La phrase résonnait pareil à un appel au secours. Que savait-elle du monde ? Elle vivait depuis des années comme une recluse. Peut-être cette personne l’alertait en un dernier recours avant de passer à l’acte funeste ? Il fallait lui donner le change… Coûte que coûte ! Cette personne était là, derrière l’écran, dans son espace secret. Elle la retint comme l’on se retient soi-même, la menant, peu à peu, à oublier son désarroi. Elle jeta une corde solide vers l’homme et écrivit : je suis là. Elle se mit à écrire tout et n’importe quoi, à tapoter sur ce clavier, juste le retenir, puis se retenir dans la nuit noire. Juste l’aimer comme on aime l’humanité entière, sans retenue.

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Peinture de Tom Roberts (1856 – 1931)

Miroir 鏡子

鏡子是一個新的面貌

J’entendis un miroir se briser dans le plus grand des fracas, ou bien n’était-ce que les mille vagues de l’océan ? Je cherchais à retrouver chaque morceau du miroir ; pourtant, je ne pus en trouver aucun. Le vent les avait tous emportés, quelque part. Puis, j’entendis une voix me dire : Veux-tu retourner dans le passé ? Je ne pouvais simplement pas m’y résoudre. Cela me semblait impossible. Les effluves du temps sont, parfois, à ce qu’il paraît, d’authentiques pièges terrifiants. Je pressentis un gouffre sans fin. Je répondis en faisant un geste négatif de la tête. Non, je ne désirais nullement retourner dans le passé. C’est alors qu’un vent, quasi surnaturel, souleva mon corps et je fus transportée loin des mouvements de la ville. J’entendis un son de cloche, mais le clocher s’était rapetissé à vue d’œil. Il n’était plus qu’un point minuscule sur la terre. J’aperçus alors un minaret et le muezzin appelait à la prière de sa voix d’homme. La voix resonnait au quatre coins du monde. Puis, l’on me transporta encore plus loin et je me vis survoler une mer d’un bleu profond. Plus rien n’avait de couleur ; tout semblait se dissoudre dans une multitude de réalités et une roue gigantesque tournoyait avec un bruit presque féroce. La puissance de ses rotations étaient effrayantes. L’on me transporta encore plus loin et une nuit laiteuse me submergea. Tout en étant obscure, la nuit était paradoxalement claire. Chaque chose était à sa place. Les hommes avaient disparu et d’autres avaient vu le jour. Le monde semblait se renouveler. A mon grand étonnement, je vis l’immense Miroir flotter au-dessus des eaux. Il s’agissait d’un gigantesque Miroir, étincelant et réverbérant mille mondes à la fois sans pour autant sembler être confus.

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L’ESPOIR EN DIEU

Je viens de découvrir ce poème, synthèse parfaite du cri de l’homme, d’un appel au-delà de la forme, au-delà des réductions et d’une poignante beauté. Que dire de plus ? Prenez le temps de l’accueillir.

Musset
(1810-1857)

Tant que mon pauvre cœur, encor plein de jeunesse,
À ses illusions n’aura pas dit adieu,
Je voudrais m’en tenir à l’antique sagesse,
Qui du sobre Épicure a fait un demi-dieu.
Je voudrais vivre, aimer, m’accoutumer aux hommes,
Chercher un peu de joie et n’y pas trop compter,
Faire ce qu’on a fait, être ce que nous sommes,
Et regarder le ciel sans m’en inquiéter.

Je ne puis ; — malgré moi l’infini me tourmente.
Je n’y saurais songer sans crainte et sans espoir ;
Et, quoi qu’on en ait dit, ma raison s’épouvante
De ne pas le comprendre et pourtant de le voir.
Qu’est-ce donc que ce monde, et qu’y venons-nous faire,
Si, pour qu’on vive en paix, il faut voiler les cieux ?
Passer comme un troupeau les yeux fixés à terre,
Et renier le reste, est-ce donc être heureux ?
Non, c’est cesser d’être homme et dégrader son âme.
Dans la création le hasard m’a jeté ;
Heureux ou malheureux, je suis né d’une femme,
Et je ne puis m’enfuir hors de l’humanité.

Que faire donc ? « Jouis, dit la raison païenne ;
Jouis et meurs ; les dieux ne songent qu’à dormir.
— Espère seulement, répond la foi chrétienne ;
Le ciel veille sans cesse, et tu ne peux mourir. »

Entre ces deux chemins j’hésite et je m’arrête.
Je voudrais, à l’écart, suivre un plus doux sentier.
Il n’en existe pas, dit une voix secrète ;
En présence du ciel, il faut croire ou nier.
Je le pense en effet ; les âmes tourmentées
Dans l’un et l’autre excès se jettent tour à tour,
Mais les indifférents ne sont que des athées ;
Ils ne dormiraient plus s’ils doutaient un seul jour.
Je me résigne donc, et, puisque la matière
Me laisse dans le cœur un désir plein d’effroi,
Mes genoux fléchiront ; je veux croire et j’espère.
Que vais-je devenir, et que veut-on de moi ?

Me voilà dans les mains d’un Dieu plus redoutable
Que ne sont à la fois tous les maux d’ici-bas ;
Me voilà seul, errant, fragile et misérable,
Sous les yeux d’un témoin qui ne me quitte pas.
Il m’observe, il me suit. Si mon cœur bat trop vite,
J’offense sa grandeur et sa divinité.
Un gouffre est sous mes pas : si je m’y précipite,
Pour expier une heure il faut l’éternité.
Mon juge est un bourreau qui trompe sa victime.
Pour moi, tout devient piège et tout change de nom ;
L’amour est un péché, le bonheur est un crime,
Et l’œuvre des sept jours n’est que tentation.
Je ne garde plus rien de la nature humaine,
Il n’existe pour moi ni vertu ni remord.
J’attends la récompense et j’évite la peine ;
Mon seul guide est la peur, et mon seul but la mort.

On me dit cependant qu’une joie infinie
Attend quelques élus. — Où sont-ils, ces heureux ?
Si vous m’avez trompé, me rendrez-vous la vie ?
Si vous m’avez dit vrai, m’ouvrirez-vous les cieux ?
Hélas ! ce beau pays dont parlaient vos prophètes,
S’il existe là-haut, ce doit être un désert.
Vous les voulez trop purs, les heureux que vous faites,
Et quand leur joie arrive, ils en ont trop souffert.
Je suis seulement homme, et ne veux pas moins être,
Ni tenter davantage. — À quoi donc m’arrêter ?
Puisque je ne puis croire aux promesses du prêtre,
Est-ce l’indifférent que je vais consulter ?

Si mon cœur, fatigué du rêve qui l’obsède,
À la réalité revient pour s’assouvir,
Au fond des vains plaisirs que j’appelle à mon aide
Je trouve un tel dégoût, que je me sens mourir.
Aux jours même où parfois la pensée est impie,
Où l’on voudrait nier pour cesser de douter,
Quand je posséderais tout ce qu’en cette vie
Dans ses vastes désirs l’homme peut convoiter ;
Donnez-moi le pouvoir, la santé, la richesse,
L’amour même, l’amour, le seul bien d’ici-bas !
Que la blonde Astarté, qu’idolâtrait la Grèce,
De ses îles d’azur sorte en m’ouvrant les bras ;
Quand je pourrais saisir dans le sein de la terre
Les secrets éléments de sa fécondité,
Transformer à mon gré la vivace matière,
Et créer pour moi seul une unique beauté ;
Quand Horace, Lucrèce et le vieil Épicure,
Assis à mes côtés, m’appelleraient heureux,
Et quand ces grands amants de l’antique nature
Me chanteraient la joie et le mépris des dieux,
Je leur dirais à tous : « Quoi que nous puissions faire,
Je souffre, il est trop tard ; le monde s’est fait vieux.
Une immense espérance a traversé la terre ;
Malgré nous vers le ciel il faut lever les yeux ! »

Que me reste-t-il donc ? Ma raison révoltée
Essaie en vain de croire et mon cœur de douter.
Le chrétien m’épouvante, et ce que dit l’athée,
En dépit de mes sens, je ne puis l’écouter.
Les vrais religieux me trouveront impie,
Et les indifférents me croiront insensé.
À qui m’adresserai-je, et quelle voix amie
Consolera ce cœur que le doute a blessé ?

Il existe, dit-on, une philosophie
Qui nous explique tout sans révélation,
Et qui peut nous guider à travers cette vie
Entre l’indifférence et la religion.
J’y consens. — Où sont-ils, ces faiseurs de systèmes,
Qui savent, sans la foi, trouver la vérité,
Sophistes impuissants qui ne croient qu’en eux-mêmes ?
Quels sont leurs arguments et leur autorité ?
L’un me montre ici-bas deux principes en guerre,
Qui, vaincus tour à tour, sont tous deux immortels ;
L’autre découvre au loin, dans le ciel solitaire,
Un inutile Dieu qui ne veut pas d’autels.
Je vois rêver Platon et penser Aristote ;
J’écoute, j’applaudis, et poursuis mon chemin.
Sous les rois absolus je trouve un Dieu despote ;
On nous parle aujourd’hui d’un Dieu républicain.
Pythagore et Leibnitz transfigurent mon être.
Descartes m’abandonne au sein des tourbillons.
Montaigne s’examine, et ne peut se connaître.
Pascal fuit en tremblant ses propres visions.
Pyrrhon me rend aveugle, et Zénon insensible.
Voltaire jette à bas tout ce qu’il voit debout.
Spinoza, fatigué de tenter l’impossible,
Cherchant en vain son Dieu, croit le trouver partout.
Pour le sophiste anglais l’homme est une machine.
Enfin sort des brouillards un rhéteur allemand
Qui, du philosophisme achevant la ruine,
Déclare le ciel vide, et conclut au néant.

Voilà donc les débris de l’humaine science !
Et, depuis cinq mille ans qu’on a toujours douté,
Après tant de fatigue et de persévérance,
C’est là le dernier mot qui nous en est resté !
Ah ! pauvres insensés, misérables cervelles,
Qui de tant de façons avez tout expliqué,
Pour aller jusqu’aux cieux il vous fallait des ailes ;
Vous aviez le désir, la foi vous a manqué.
Je vous plains ; votre orgueil part d’une âme blessée.
Vous sentiez les tourments dont mon cœur est rempli,
Et vous la connaissiez, cette amère pensée
Qui fait frissonner l’homme en voyant l’infini.
Eh bien, prions ensemble, — abjurons la misère
De vos calculs d’enfants, de tant de vains travaux.
Maintenant que vos corps sont réduits en poussière,
J’irai m’agenouiller pour vous sur vos tombeaux.
Venez, rhéteurs païens, maîtres de la science,
Chrétiens des temps passés et rêveurs d’aujourd’hui ;
Croyez-moi, la prière est un cri d’espérance !
Pour que Dieu nous réponde, adressons-nous à lui.
Il est juste, il est bon ; sans doute il vous pardonne.
Tous vous avez souffert, le reste est oublié.
Si le ciel est désert, nous n’offensons personne ;
Si quelqu’un nous entend, qu’il nous prenne en pitié !

Ô toi que nul n’a pu connaître,
Et n’a renié sans mentir,
Réponds-moi, toi qui m’as fait naître,
Et demain me feras mourir !

Puisque tu te laisses comprendre,
Pourquoi fais-tu douter de toi ?
Quel triste plaisir peux-tu prendre
À tenter notre bonne foi ?

Dès que l’homme lève la tête,
Il croit t’entrevoir dans les cieux ;
La création, sa conquête,
N’est qu’un vaste temple à ses yeux.

Dès qu’il redescend en lui-même,
Il t’y trouve ; tu vis en lui.
S’il souffre, s’il pleure, s’il aime,
C’est son Dieu qui le veut ainsi

De la plus noble intelligence
La plus sublime ambition
Est de prouver ton existence,
Et de faire épeler ton nom.

De quelque façon qu’on t’appelle,
Brahma, Jupiter ou Jésus,
Vérité, justice éternelle,
Vers toi tous les bras sont tendus.

Le dernier des fils de la terre
Te rend grâces du fond du cœur,
Dès qu’il se mêle à sa misère
Une apparence de bonheur.

Le monde entier te glorifie ;
L’oiseau te chante sur son nid ;
Et pour une goutte de pluie
Des milliers d’êtres t’ont béni.

Tu n’as rien fait qu’on ne l’admire ;
Rien de toi n’est perdu pour nous ;
Tout prie, et tu ne peux sourire
Que nous ne tombions à genoux.

Pourquoi donc, ô Maître suprême,
As-tu créé le mal si grand,
Que la raison, la vertu même,
S’épouvantent en le voyant ?

Lorsque tant de choses sur terre
Proclament la Divinité,
Et semblent attester d’un père
L’amour, la force et la bonté,

Comment, sous la sainte lumière,
Voit-on des actes si hideux,
Qu’ils font expirer la prière
Sur les lèvres du malheureux ?

Pourquoi, dans ton œuvre céleste,
Tant d’éléments si peu d’accord ?
À quoi bon le crime et la peste ?
Ô Dieu juste ! pourquoi la mort ?

Ta pitié dut être profonde
Lorsqu’avec ses biens et ses maux,
Cet admirable et pauvre monde
Sortit en pleurant du chaos !

Puisque tu voulais le soumettre
Aux douleurs dont il est rempli,
Tu n’aurais pas dû lui permettre
De t’entrevoir dans l’infini.

Pourquoi laisser notre misère
Rêver et deviner un Dieu ?
Le doute a désolé la terre ;
Nous en voyons trop ou trop peu.

Si ta chétive créature
Est indigne de t’approcher,
Il fallait laisser la nature
T’envelopper et te cacher.

Il te resterait ta puissance,
Et nous en sentirions les coups ;
Mais le repos et l’ignorance
Auraient rendu nos maux plus doux.

Si la souffrance et la prière
N’atteignent pas ta majesté,
Garde ta grandeur solitaire,
Ferme à jamais l’immensité.

Mais si nos angoisses mortelles
Jusqu’à toi peuvent parvenir ;
Si, dans les plaines éternelles,
Parfois tu nous entends gémir,

Brise cette voûte profonde
Qui couvre la création ;
Soulève les voiles du monde,
Et montre-toi, Dieu juste et bon !

Tu n’apercevras sur la terre
Qu’un ardent amour de la foi,
Et l’humanité tout entière
Se prosternera devant toi.

Les larmes qui l’ont épuisée
Et qui ruissellent de ses yeux,
Comme une légère rosée
S’évanouiront dans les cieux.

Tu n’entendras que tes louanges,
Qu’un concert de joie et d’amour,
Pareil à celui dont tes anges
Remplissent l’éternel séjour ;

Et dans cet hosanna suprême,
Tu verras, au bruit de nos chants,
S’enfuir le doute et le blasphème,
Tandis que la Mort elle-même
Y joindra ses derniers accents.