Correspondance LVII

Très cher ami,

Je suis pleinement d’accord avec vous. Les mondanités, quelles qu’elles soient, me sont totalement indifférentes. Les salons littéraires, les exploits de la publication, les prétentions, les outranciers affichages, les postures intellectuelles, les mots sans substance, sans moelle, sans vérité me laissent de marbre. C’est bien à dix-neuf ans que j’ai tout quitté. Je me suis retrouvée dans une sorte de désert. Le vent soufflait. Le soleil était haut. L’on m’a dit : Abandonne tout ! Il s’agissait presque d’un ordre. J’ai regardé avec étonnement l’impérieux signe, avec le cœur, soudain, meurtri, mais j’ai obéi. Je n’ai pas triché. Le vent soufflait, très aride et j’étais courbée dans la poussière du grain immense. J’avais chaud, j’avais froid, mais, j’étais émerveillée d’avoir tout quitté. Je suis restée ainsi durant de longues années. Quand j’étais jeune, l’écriture me servait à vivre d’incisives introspections, des moments suspendus. Le calame bruissait, mais, j’entrais dans les plus abyssales profondeurs. Les mots me burinaient et je devenais leur instrument. J’accueillais cela avec un grand bonheur. Avec les mots, j’allais dans le silence. Mais, l’on me dit : Tu seras absente de la scène publique. Alors, j’acquiesçais. La vie a le goût puissant de la vie. Point besoin de regard, point besoin de compagnon. De toutes les façons, le compagnon arrive, tôt ou tard. S’effacer est un long apprentissage. Alors, mon ami, je suis d’accord avec vous : l’essentiel nous a dépassé. Il nous tient avec vigilance dans le véritable monde. C’est en lui que l’on découvre l’enseignement, la beauté. Nous balbutions, nous tombons, nous nous relevons et nous continuons. En cette intention, notre cœur devient un miroir. Il nous révèle notre être. J’ai vécu ma vie de femme, ma vie de mère, ma vie au sein de la vie. Mais, le milieu était le seul fil conducteur. Il a écarté les branchages. Il a montré le ciel.

De nouveau, nous avons regardé avec étonnement. Nous L’avons vu. Partout. Toujours. A deux ans, à quatre ans, à six ans, à onze ans. Il venait et me parlait. Ah ! le cœur s’épanche d’étoiles. Nous avons regardé notre père. Nous avons regardé notre mère. Leur être résonnait longtemps. Nous avons regardé nos frères ; nous avons regardé nos sœurs ; nous avons regardé nos enfants, notre compagnon et nous sommes devenue une arche pour ceux que nous retrouvons et nous les retrouvons, un à un. Nous n’avons pas été faite pour nous figer. Ni dans les mots, ni dans les sons, ni dans la société. Nous ne plions pas le genou devant ceci ou cela. Or, un jour, l’on nous dit : Sème ! Alors, nous regardons avec étonnement. Nous regardons avec les larmes du cœur et nos mots deviennent légitimes. Ils ne nous appartiennent pas. Nous ne nous appartenons pas. Soudain, la petite brise souffle sur notre cœur et, où que nous soyons, nous sommes semblable à ces envolées qui sèment, qui sèment encore, sans désir de ceci ou de cela.

Votre B

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Peinture de Charles Courtney Curran

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12 réflexions sur “Correspondance LVII

  1. Pingback: Correspondance LVII — Art et Semence🌻 Très cher ami…… – P&P drops

  2. La vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre les gens et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants. Elle est en cela pareille à une pluie : la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie. Se détacher de cette vie mondaine et revenir aux sources est la marche à suivre pour les gens d’esprit

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