Correspondances LV

Très cher et bien aimé ami,

D’un point de vue humain, nous serions à nous demander si tous, nous ne cherchons pas, finalement, la sainteté. Mais qu’est-ce donc ce désir d’être un modèle ? Qu’avons-nous en nous qui nous y pousse ? Nous pourrions nommer une chose, dire autre chose, mais cela ne changerait rien. Rien ! Il est un « inexorable » qui tend vers l’être. L’Être. Nous ne savons pas que nous existons, tous, en étages, superposés, et que le plus petit point de vue n’est pas un absolu. Il n’est pas non plus modélisable. Il fait partie intégrante d’un Tout, mais il est d’abord un point de vue périphérique. Je m’étonne de la volonté que certains déploient pour réduire la vie à un tout petit point de vue. Sans doute n’ont-ils pas beaucoup vécu, ni beaucoup voyagé en eux-mêmes. Je crains, cher ami, que la plupart des gens ne savent pas vivre. Ils n’ouvrent aucune porte, ni ne tentent de sortir de la caverne. Je gage même, que dans le fond, ils aient peur de l’inconnu et vivent de façon très grégaire. C’est ainsi.

Chacun voit le monde selon son point de vue. Vous souvenez-vous lors que je vous faisais part d’une de mes réflexions à ce sujet ? Un point de vue dépend de l’ouverture de l’œil interne. Je pourrais parler de « l’angle » intérieur et sans doute l’angle le plus incroyablement ouvert est celui que très peu expérimentent. Faut-il pour autant les condamner ? Vous savez bien que telle n’est pas notre nature, et même nous ne nous soucions pas de cet aspect des choses. Néanmoins, aujourd’hui, je sais que plus nous avançons dans le couloir de la conscience, plus nous apprenons les secrets de l’âme, et plus nous nous rendons à l’évidence : Seuls les doués d’intelligence, ceux vivants la présence, et ceux qui vivent dans la stabilité sont ceux que nous devons suivre. Vous savez bien, mon ami, que le reste est un balbutiement. La petite goutte de pluie nous en dit bien plus long que le vocable incessant des hommes. Oui, je l’affirme sans crainte : nous imitons la poésie, mais nous ne sommes pas encore Poésie. Nous le sommes très peu, ayant connu de sa réalité, qu’un éclair fugace. Il a percé les voiles mais, nous ne sommes pas encore Poésie. Celle-ci tremble, fragile, et musicale, à la gorge évanescente des êtres qui s’effacent. Pour que la poésie soit, il nous faut lui laisser la place. Et tel un feu de joie, elle vient et vibre et nous fait le récit de toute chose, écartant la coque qui s’émeut un instant, un espace. Vous savez, mon bien-aimé ami que nous avons souffert par ce terrible constat. Oui, car, nous ne connaissions rien. Nous ne savions pas que cette confusion générale était à se répandre. Nous avons été les enfants mutilés par les petits angles, les angles les plus étroits, les plus exigus, les plus abrupts aussi. Aujourd’hui, cette souffrance s’est transmutée en un inspir profond, un silence apnéique, et une joie. En cette solitude, dans l’effacement, nous sommes heureux. Nous dansons. Le cœur rejoint la grande danse. Pourtant, nous n’avons aucune prétention. Nous attendons l’instant, celui qui nous transporte dans la véritable conscience, celle qui transperce nos quotidiens et fait de chaque seconde, un avènement.

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