Correspondances LII

Très cher,

Depuis longtemps, nous avons cessé de croire en la politique. Il nous semblait que les solutions, intégrations et autres fariboles devenaient saugrenues et nous excluaient définitivement de toute réalité. La vie n’appartient pas à ceux qui se voudraient nous diriger. Que l’on s’appesantisse ensemble sur les modalités d’une organisation sociétale, cela me semble, certes, la plus franche des approches. Depuis longtemps, nous savons que le pouvoir est corrompu. Une véritable gangrène quasi indissoluble. Pourtant, à défaut de sombrer dans le plus grand des désarrois ou de sauter de joie comme la plus niaise des personnes, nous avons opté pour un chemin intérieur, résolument et définitivement. L’on pourrait dire que ce chemin nous a choisi. C’est presque certain. Toutes choses, en nous-même, et même à l’extérieur, participaient de cette vivante orientation. Nous en avons parlé bien souvent. En dépit du fait que ce monde court à sa propre perte, nous avons répondu à l’appel intime de notre être. Nous n’y reviendrons pas. Au point où nous en sommes, nous n’avons pas peur du lendemain, ni peur de mourir de faim ou de froid. Si nous quittons ce monde, nous le quittons avec quiétude. Sans doute, sommes-nous loin de tout comprendre, mais, à ce moment précis, nous n’éprouvons ni regret, ni âpreté, ni rancune. Nous n’espérons ni nous ne désespérons. Nous sommes reconnaissante.

Quel inestimable trésor que cette vie ! Elle a exactement agi selon sa nature propre, selon notre réalité aussi. Nous n’avons jamais été seule : la lumière est amplement suffisante pour éclairer notre petit bout de maison. La douceur atteint notre cœur au plus profond de notre puits intérieur. Quand j’y reviens par l’esprit, je me retourne et déclare, avec grande hébétude : que s’est-il passé ? Est-ce à nous que cela advient ? C’est inouï !

J’ai souvenir de notre dernière marche. Nous avons grimpé le flanc d’une montagne et je vous voyais filer devant, tandis que je m’accrochais énergiquement à mon bâton. Régulièrement, vous vous arrêtiez et vous vous tourniez vers votre obligée. Je soufflais : c’était risible. Il fallait mettre un pas en avant et puis un autre. Savez-vous quel fut le plus beau moment de cette excursion ? Lors que le sentier déboucha sur la vaste campagne. Tout était silencieux, immobile. Pas un souffle. En moi, cela riait. Quelle paix ! Je riais sans vous le montrer. Ce plateau, déroulé à l’infini était féerique. Je le revois encore et il m’enchante tout comme si j’y étais.

Nous avons bien vomi la politique et tout ce qui s’y greffe, de près ou de loin. Nous l’avons vomi depuis longtemps. Je ne m’y reconnais pas ; je ne me crois pas être dirigée par ces marionnettes fiévreuses et outrancières. Ce monde périt ! Adieu ! Sans remord…

Votre B.

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Peinture de Matthew Alexander

13 réflexions sur “Correspondances LII

  1. La corruption a trouvé en l’homme le meilleur soutien qui se puisse être. Chose difficile à croire, pire qu’au temps de la préhistoire, aujourd’hui aux pillards une entente s’installe auprès des tornades. Grimpés au sommet de la colline, je regarde se soulever tes sourcils, ma foi nous sommes encore au sein de cette vie qui nous allaite..
    Bien à toi.

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  2. Merci pour tes mots si vrais, si justes, Béatrice .
    La seule pensée qui m’attriste c’est celle qui me vient quand je vois un tout-petit : Verra-t-il encore ces paysages enchantés, entendra-t-il encore le chant des oiseaux, cette musique sacrée, quand il aura l’âge d’y goûter ?

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    • Merci à toi Hedwige.
      J’ai confiance en la vie.
      Quand je me promène, je vois très peu d’enfants s’émerveiller, même de la moindre petite chose.
      J’en suis affligée.
      Si aujourd’hui, les enfants ne s’émerveillent plus, c’est beaucoup plus grave que nous l’imaginons.
      Re-gardons ce monde !
      Re-donnons aux enfants le goût de la vie !
      Tant que le cœur chantera, ce monde durera.
      La nature est bien plus forte que nous l’imaginons. Elle est même puissante comme nous ne le savons plus.

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      • Merci pour tes mots consolateurs, chère Béatrice
        Et oui, la vue n’est pas donnée, elle se construit quand on parvient à prendre le temps de contempler et d’admirer. Le monde des hommes est si agité, courant sans cesse, ne prêtant plus attention à rien.

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  3. Très chère,
    Petits-z’hommes repoussés, tu peux à l’été laisser mûrir le fruit vers la croissance . J’ai vu le renard frotter sa queue au cou des troncs qui s’accordent à laisser leurs feuilles en échange d’un prochain printemps.
    Bien à toi.

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