
Ne pas se sentir de son siècle, marcher à côté, cultiver l’esprit, ne plus dépendre du boire et du manger est l’état le plus singulier qui soit. Vivre avec les sens décuplés, puis entendre cet appel qui vient d’un autre monde. Entrer, depuis, en cette résonnance sans jamais oublier, conduite par le vibrant écho. J’étais assise près de la fenêtre, et recopiais un devoir. Seule dans cette vaste chambre que j’appelais Mansarde, dans un profond silence, silence retentissant au demeurant, je perçus une voix. Elle m’appelait depuis un espace inconnu. Elle m’appelait par mon prénom. Je me levai précipitamment et regardai par la fenêtre, d’où je crus que la voix partait. Mon cœur s’affola et de nouveau, je l’entendis quasi plaintive. Aujourd’hui encore j’en frémis. Il s’agissait d’une voix surnaturelle. Je me mis à pleurer sans raison. Je tremblais de tous mes membres et suffoquais d’une tristesse que je ne m’expliquais absolument pas. J’allai voir ma mère pour savoir si l’on m’avait appelée, mais il n’en était rien. Du reste, je le savais. Alors, m’en retournant vers Mansarde, je couchais sur mon carnet, ce qui apparut comme un poème fébrile. Mon âme n’est jamais revenue du moment hébété et troublé. C’est ainsi que je sus que je ne vivrai certainement pas dans le monde que l’on nous voulait nous imposer. Je décidai de soumettre à mon professeur de français cet écrit, comme pour l’éprouver et m’éprouver de même. Lorsqu’elle acheva sa lecture, elle leva un regard intense vers moi et m’interrogea gravement : « Est-ce toi qui l’as écrit ? » Au bord des larmes, j’acquiesçais. Voici ce qu’elle me déclara alors : « Ton écrit est philosophique. Ce n’est pas de ton âge ». Bien des années plus tard, lors que la vie s’écoulait dans un débordement effervescent que je ne pouvais véritablement partager avec personne, je compris que la voix n’avait assurément pas d’âge, qu’elle n’était non plus philosophique, mais qu’elle venait d’ailleurs. Je compris aussi que j’étais à tout jamais marquée par cet appel lancinant…
Peinture de Lu Jianjun (Chinois, né en 1960)
唱歌
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Une voix humaine
C’est le meilleur instrument,
Le plus poétique.
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七弦琴
La voix, son humain,
Qui peut dire d’où cela vient ?
Le corps lyre de l’âme.
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