
Emue par ses mots, j’aspirais à le rencontrer, car l’homme de lettres est forcément un homme d’esprit, me disais-je. Au-delà des mots, il y a l’homme. Peut-être ne savais-je rien de la vie et sans doute avais-je perdu tous les doutes, un à un, en cours de route. J’avais longtemps vécu comme une nomade, traversant telle une recluse, un monde au-delà du monde. Je ne l’avais pas prémédité. J’avançais ainsi sans autre but que de laisser la quête de vérité m’attraper et me mener. Je n’avais confiance qu’en elle. Je m’y abandonnais sans mesure. Mon âme était celle d’une archéologue, d’une fouilleuse, et même d’une aventureuse. Tout comme Rimbaud, j’avais jeté, très tôt, les livres dans les ruisseaux du commun pour plonger directement, sans bouée de secours, en plein océan. Les mains intérieures sont des fouilleuses inlassables, elles sont nos pensées qui s’envolent telles des multitudes d’oiseaux. Elles rêvent de vent du large et de mystère, mystère mystérieux, caché quelque part. Elles rêvent de questions et aussi de réponses. Les aspirations des uns et des autres me semblaient bien petites comparées à l’étendue magistrale des possibilités infinies de l’être. Quand donc ai-je commencé à comprendre cela en moi ? Sans doute sur les bancs de l’école. Sans doute qu’à force de rencontrer le vide et les schémas types, je me suis vue. J’ai vu que cela ne collait pas. Bien sûr, je m’élançais sur les routes de l’enthousiasme, même durant le temps que je passais dans les collèges et lycées où je fus enseignante. Je pensais qu’en donnant aux élèves le temps suspendu de la Question, je leur apprendrais à ouvrir les yeux. De grands yeux émerveillés. Les yeux de la surprise, les yeux de l’insolite. Certains sont devenus mes amis intimes. D’autres se sont rangés, telles de confortables boîtes. Avec mes élèves, j’entretenais des relations d’intimité, parce que je les voyais comme de merveilleuses créatures, des âmes enchantées. Je leur ouvrais ce champ. J’étais persuadée que tous les élèves pouvaient réussir, d’une façon ou d’une autre. J’avais établi une pédagogie, toute personnelle et fonctionnelle. C’était une réussite. Je donnais des cours bénévolement dans les quartiers défavorisés. Je ramenais ces enfants à la maison et outre de leur dispenser des cours méthodologiques, nous prenions ensemble un goûter et échangions durant de longs moments. (…)
***
J’avais oublié le monde et les vautours. Je ne le voyais pas. Avait-il fini par disparaître ? Je ne connaissais plus rien. Plus rien des tortuosités de l’homme. Cela n’avait aucune espèce d’importance. Le jardin de lumière est en nous et nous sommes à rencontrer très peu de gens dans le fond. Le passage, c’est l’amour. Celui-ci est une ouverture au milieu d’une jungle kafkaïenne. Quand je le rencontrai, je n’imaginais pas qu’il se puisse y avoir un décalage entre ses mots et lui-même. Je ne connaissais que très peu les hommes. Cet homme avait les mots, non pas de ceux qui séduisent les femmes vénales, ni les femmes vaniteuses, mais il avait les mots de sa réalité, celle qu’il ne connaissait pas encore.
Peinture de Anna Ancher
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詩人
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Caresser un mot
Comme si c’était un chat
Noble et familier.
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詩人
Le mot caresse,
Jusqu’à l’essence du corps,
Le cœur poète.
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