Cher,
Aujourd’hui, dans ce froid presque neigeux, quand les montagnes frissonnent de ne pas avoir leur blanche vêture, j’ai marché. Je faisais attention de bien me tenir droite, vous savez, à cause de la conversation que nous avions eu hier soir, comme aspirée par le ciel. J’ai croisé quelques personnes dans la ville, comme si elles étaient à dormir tout en marchant. Sont-elles si malheureuses ? Je n’ai jamais compris ces tristesses peintes sur le visage à l’image d’horribles masques. Que cachent-ils donc ? Une grisaille que des lèvres rouges rendent plus blafarde. Est-ce l’hiver, est-ce la vie ? Il peut nous arriver toutes sortes d’événements, la vie peut même nous sembler longue, et pourtant, que se passe-t-il alors qu’un oiseau vous surprend par son envol ? Le ciel descend jusqu’à votre bouche et vous courtise. Oui, l’on pourrait pleurer jusqu’au bout de la nuit, et après ? Quelle est donc cette parodie de vie qui s’épuise presque hideusement avant même d’avoir jamais vraiment fini? Après tout, à voir les passants, on se surprend à ne pas être seul, mais plutôt peuplés d’indicibles boutons de petites perles fleuries ; on se surprend d’avoir vécu ce monde avec constance ; ou bien avons-nous seulement été épargnée par une certaine misère mentale ? Pourquoi le froid de l’hiver qui brise les os fragiles des va-nu-pieds et le bout des orteils ne leur enlève-t-il pas le sourire ? Mon père, dont la famille s’était appauvrie durant la guerre, avait passé de longs hivers pieds nus, alors qu’il était enfant. Combien de fois lui ai-je pris les mains, quand il rentrait du travail, et les lui ai-je massées alors qu’elles étaient gercées par le froid ? Mon petit papa, viens par ici, mon petit papa, viens par là. Et il souriait.
Votre B.